Virginie Efira la petite Belge qui monte qui monte…

Vous sentez-vous proche de ce personnage

« J’ai pu moi-même avoir la prétention de croire à la notion de libre arbitre, de penser qu’on peut tout maîtriser dans l’existence. C’est plus tard qu’on comprend vaguement qu’il y a des choses qui nous dépassent. Tout le monde – quel que soit son degré de dépression, de solidité ou des deux mélangées – peut à un moment se révéler incapable de prendre en charge sa propre vulnérabilité. Personnellement, ça oui je connais ! La dichotomie entre ce qui ne va pas bien à l’intérieur et le personnage apparemment solide qu’on a pris soin de mettre en place, ça oui je connais ! Comme tout le monde. J’aime bien quand Victoria, mon personnage, dit à la fin du film qu’elle n’a pas deux secondes de calme intérieur. Quelqu’un nous a dit que c’était un film sur la négociation. J’ai surtout l’impression que Victoria a un problème avec le vide. Comment le remplir »

Votre personnage recelait-il des zones d’ombre

« Bien sûr qu’il avait des zones d’ombre ! Mais je ne cherche pas à tout éclaircir, à tout expliquer. Cela dit, dans la vie on n’arrive pas toujours à se comprendre soi-même et c’est plutôt pas mal de ne pas essayer de trop schématiser. »

Savez-vous pourquoi vous avez hérité de ce rôle

« Je sais par exemple que Justine (Triet, la réalisatrice) m’a choisie non pas pour les films dans lesquels j’ai joué mais à la suite d’une interview donnée à la télévision. Elle pensait que partir de moi, de mon débit n’était pas forcément une mauvaise idée. Et, en effet, il y a beaucoup de texte. Victoria, c’est quelqu’un, comme Justine d’ailleurs, qui a tendance à exposer les différentes strates de sa réflexion avant de les projeter. Ça donne une idée de sa manière de réfléchir. »

« La réalisatrice m’a choisie à la suite d’une interview donnée à la télévision »

Que vous reste-t-il du tournage

« De ma rencontre avec Justine jusqu’à la fin du tournage, ça m’a semblé être quelque chose de très spécial car je ne voyais pas comment passer à autre chose. C’était comme un flux tendu. Comme quand on rencontre quelqu’un. Directement, on s’est mis à fabriquer quelque chose ensemble. J’étais dans un état de tension très particulier, inédit jusqu’alors pour moi au cinéma. Justine Triet, c’est quelqu’un qui, dans la chorégraphie de son tournage, fait en sorte de désacraliser le moment où l’on tourne. Elle brouille un peu les frontières. Ce que l’on tourne est important, mais les intervalles entre les prises le sont également. On est en permanence dans un état d’abandon. »

Vous avez même tourné avec un singe.

« Justine Triet fait beaucoup de prises, ce que nous, animaux dociles, acceptons sans problème, voire avec joie. Mais le singe, un peu moins. Il est arrivé sur le plateau comme s’il était Michael Douglas fils de Kirk Douglas. Nous étions dans une grande salle rouge. Il faisait cinquante degrés. Il y avait cent cinquante acteurs et figurants. Il a beaucoup tourné, il était un peu fatigué. À un moment, il a changé de trajectoire, il s’est mis à pousser le cri de la jungle et s’est emparé d’une figurante qu’il a envoyée valdinguer. On a eu très peur. »

Le film se caractérise par ses ruptures de ton.

« Ça se dessine dès l’écriture. C’est un processus mental. C’est la différence entre le voyage et l’errance. C’est-à-dire « je sais où je veux aller – ah je voudrais parler de la solitude contemporaine, ah je voudrais parler du rapport à la sexualité mais je me refuse à les évoquer ouvertement ». C’est ça que je trouve hyper beau dans la démarche de Justine. Elle n’essaie pas de donner de leçons. Du coup, ça ne crispe pas les choses, ça ne les encadre pas, on peut aller partout. »

La psychanalyse est très présente dans votre milieu.

« Entendez-vous par là que la profession de comédien serait plus sujette à l’analyse qu’une autre Je connais pourtant beaucoup de psychanalysés qui ne sont pas acteurs. Peut-être qu’à la base y a déjà un truc « chelou » de choisir un métier où l’on est constamment à l’avant-plan. Me concernant, oui ça m’est arrivé ! Sans que cela ait forcément un rapport avec le métier. Je crois beaucoup à la psychanalyse. Comme mon personnage, j’ai tendance à appréhender les choses en voulant absolument les comprendre, leur donner du sens. J’ai conscience que ce n’est toujours la meilleure manière d’arpenter le monde et d’y aller. »

Parle-t-on cinéma avec Justine Triet

« On parle mecs, sport et maquillage ! Plus sérieusement, on s’est découvert un goût commun pour James L. Brooks, producteur des Simpsons, et auteur de Comment savoir, Tendres passions, Spangish’ Un cinéaste qui, de prime abord, aborde des sujets qui semblent légers, futiles mais qui se révèlent extrêmement puissants, fragiles, profonds. Pour Billy Wilder aussi. D’ailleurs, Justine m’a offert à la fin du tournage un super bouquin d’entretiens avec lui. Du coup, j’ai moi-même commencé chez moi un petit cycle personnel. J’ai notamment découvert Fedora.

On se rencontre sans forcément parler de soi mais, dans l’absolu, parler de films en dit infiniment plus long sur nous-mêmes’ »

Quel genre de réalisatrice est-elle

« Avec elle, c’est comme si c’était toujours le même texte et, en même temps, quelque chose de nouveau à chaque fois. On ressent une sensation très forte d’improvisation. Toute la journée, Justine crie comme une dératée qu’il faut casser le texte. On ne se sent donc jamais prisonnier du texte ou de la situation. On ne se demande pas s’il faut choper la bonne phrase. On la connaît, mais si elle se modifie en chemin, ce sera tout de même juste. Vincent Lacoste est très fort en ce domaine. Cela dit, jamais l’acteur ne prend le pas sur ce qui est écrit. Le scénario témoignait d’un style très particulier. Ce n’est pas le genre de truc qu’on a envie de réécrire. »

Si Victoria était une chanson

« Ça pourrait être de la variété italienne. Toujours entre deux vents. Apparemment légère mais, en fait, pas vraiment. Elle distille toujours un semblant de mélancolie. »

Victoria aurait le sens du drame anormalement développé, nous dit-on. Elle fait peur aux mecs. Comme Mireille Darc en son temps.

Par
PHILIPPE LAGOUCHE

| Publié le 14/09/2016

Sous d’autres auspices, sous un regard autre que celui de Justine Triet, cette femme divorcée, deux enfants, immense personnage de comédie eût été capable de faire trembler les fondations de la tragédie. Comme dans les meilleurs Blake Edwards et quelques Woody Allen excentriques d’antan, les héros imaginés par Justine Triet sont du genre cataclysmique. Ils broient du noir, perdent pied, glissent de catastrophe en catastrophe et ont un mal de chien à mettre de l’ordre dans leur existence.

Dès son brillantissime deuxième film, de plain-pied dans le monde d’aujourd’hui, la textuelle réalisatrice de La Bataille de Solférino, confirme que le thème de la confusion figure parmi ses obsessions. Creusant le lien ténu entre intimité et vie publique, affirmant un art aigu de la rupture de tons et de la ponctuation musicale, Justine Triet joue à ravir avec les archétypes des genres et témoigne d’un goût immodéré pour l’absurde et le burlesque.

Silencieuse ou volubile, éteinte ou allumée, pathétique ou éclatante, tendre ou au vitriol, Virginie Efira, actrice « mélancomique » par excellence, mène la danse avec élégance au sein d’une troupe d’acteurs fantasques qui jamais ne forcent le trait. Irrésistibles Vincent Lacoste et Melvil Poupaud. Quelles voix, quels timbres ! Tiendrions-nous là la comédie de l’année ‘
PHL

Leave A Reply