Une enquête dénonce les conditions d’élevage intensives des cailles

Une enquête dénonce les conditions d'élevage intensives des cailles

Le Monde
| 09.06.2016 à 17h05
Mis à jour le
09.06.2016 à 17h45
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Par Eva Gomez

Prisées par la cuisine gastronomique, que ce soit pour leur viande ou pour leurs ufs, les cailles sont considérées comme un produit de luxe. Mais une enquête exclusive de l’association de défense des animaux CIWF (Compassion in World Farming) démontre que les conditions d’élevage de ces oiseaux sont loin du raffinement qu’inspirent leurs produits.

L’hiver 2015-2016, l’ONG, qui se donne pour mission de « promouvoir le bien-être des animaux d’élevage (‘) et mettre fin à l’élevage industriel », a visité des élevages de cailles en Italie, au Portugal, en Grèce et en France. Le constat de cette enquête, assortie de vidéos filmées pour certaines en caméra cachée, est alarmant.

Une surface équivalente à la taille d’un CD

Chaque année, 140 millions de cailles sont élevées en Europe, selon le service de statistiques du ministère de l’agriculture (Agreste), le plus souvent de manière intensive dans des cages où elles n’ont que très peu d’espace. Selon l’ONG, 90 % des cailles pondeuses passent leur vie dans une cage basse de plafond, sur une surface équivalente à la taille d’un CD. Les cailles à viande sont encore moins bien loties. Pas de cage, du moins en France, mais un espace de vie de la taille d’un dessous de verre. On trouve parfois jusqu’à 100 oiseaux au mètre carré, et certains élevages italiens atteignent une densité de 184 cailles au m2.

« De telles conditions de densité ne permettent pas aux oiseaux d’adopter leurs comportements naturels, comme construire un nid, prendre des bains de poussière, picorer ou se cacher », assure CIWF. L’association a aussi témoigné de conditions sanitaires déplorables. « Dans l’un des élevages, une caille morte était laissée dans le bac de collecte d »ufs, d’autres étaient en décomposition sur le sol », décrit l’ONG dans son communiqué, sans préciser la nationalité de l’établissement en question.

Aucune norme pour l’élevage des cailles

En France en 2014, 7 680 tonnes de cailles ont été abattues, selon les chiffres de l’Agreste le poids de l’oiseau s’élevant en moyenne à 100 grammes. Pourtant, aucune norme spécifique n’est prévue par la loi pour encadrer leur élevage. Ce dernier est régi par la directive européenne relative à la protection des animaux en élevage. Le ministère de l’agriculture indique que cette directive « est transposée dans le droit français par l’arrêté modifié du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage », dans lequel aucune norme de densité n’est évoquée.

Et la loi de 2012 interdisant les cages dites « conventionnelles » pour les poules pondeuses, au profit de cages « aménagées », ne s’applique pas aux cailles pondeuses. Mais l’espace de 750 cm2 par poule qu’elle impose est encore loin d’être suffisant pour la plupart des organismes de protection des animaux.

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Seul le Label rouge s’avère plus exigeant en termes de respect du bien-être animal. L’élevage de Didier Merceron à Challans (Vendée) remplit ce cahier des charges. « Les cailles sont environ 60 au mètre carré, dans un bâtiment lumineux et chauffé à 35 degrés, explique-t-il. Ensuite, les oiseaux ont accès à une volière et à un plein air durant le dernier tiers de leur vie. A ce moment-là, elles sont entre 25 et 30 au mètre carré. » La densité est, selon lui, la principale différence entre les élevages Label rouge et les autres. Ils sont aussi les seuls à garantir un accès à l’extérieur, déterminant pour le bien-être des cailles. Leurs oiseaux vivent quarante-deux jours, contre vingt-huit à trente-deux dans les élevages standards.

Pour les consommateurs, cependant, il n’est pas facile de différencier les produits des élevages standards ou Label rouge, car aucun étiquetage n’est obligatoire, contrairement aux ufs de poule. Ces derniers sont catégorisés de 0 à 3 selon le mode d’élevage : 0 correspondant aux ufs bio et 3, aux ufs de poules élevées en cage.

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Avec ces révélations, le CIWF compte faire réagir les pouvoirs publics et la filière, pour mettre en avant des modes d’élevage alternatifs plus respectueux du bien-être animal et de l’environnement. A l’image du Label rouge ou de certains élevages anglais, où les cailles sont élevées entre bâtiment et plein air dans une densité qui n’excède pas les 49 oiseaux au mètre carré, et où un accès à une volière et à un herbage est garanti.

Des études en cours pour le bien-être animal

En avril 2016, le ministère de l’agriculture a lancé le « plan d’action national 2016-2020 pour le bien-être des animaux » d’élevage et de compagnie. Il affirme n’avoir eu de retour « d’aucun cas de maltraitance dans des élevages de cailles, lors des contrôles effectués chaque année par des agents habilités des directions départementales en charge de la protection des populations ».

Alors que la Commission européenne encourage la responsabilisation des éleveurs avicoles et le développement d’indicateurs de bien-être animal, l’Institut technique français des filières avicoles (Itavi) a lancé en 2014 le projet Ebene, en partie financé par l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer, FranceAgriMer. Laure Bignon, responsable de la cellule « bien-être animal » de l’Itavi, explique qu’Ebene « a pour but de définir un outil d’évaluation du bien-être animal, pour faire progresser la filière et les pratiques d’élevage ». Il s’appuiera sur des indicateurs tels que l’état corporel, le plumage, la qualité de l’environnement, les blessures éventuelles ou encore la réactivité des oiseaux.

Ce projet s’appuie sur des données concernant les poules pondeuses et le poulet de chair, mais Mme Bignon précise « qu’une déclinaison de cet outil est prévue pour les cailles ». Il devrait permettre à la filière de rédiger un « guide de bonnes pratiques », à partir de fin 2017. Selon le ministère de l’agriculture, « à terme, les résultats d’Ebene seront proposés à la Commission européenne, dans le but d’établir un référentiel européen partagé ».

L’association CIWF salue ces initiatives, d’autant plus « que c’est la première fois en France qu’un plan sur le bien-être animal est développé ». L’ONG craint néanmoins un manque de moyens pour obtenir de réelles améliorations, mais elle considère que le plan Ebene est « une démarche positive qui permettrait des progrès, fondés sur des données scientifiques et avec des critères précis ». CIWF estime que la mise en place d’indicateurs de résultats et de cahiers prévisionnels pourrait servir à l’amélioration des conditions d’élevage et du bien-être des oiseaux.

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