Un élevage de poules pondeuses aux conditions d’élevage  alarmantes 

Un élevage de poules pondeuses aux conditions d'élevage  alarmantes 

Le Monde
| 25.05.2016 à 00h01
Mis à jour le
25.05.2016 à 14h36
|

Par Audrey Garric

Les cages se succèdent et s’empilent à perte de vue. A l’intérieur, des poules se bousculent dans des espaces exigus et grillagés qui surplombent à peine des amas de fientes. Des asticots profilèrent au sol, des poux grouillent sur les ufs et les poules, et des cadavres en décomposition gisent au milieu des autres gallinacés, dont certaines poules déplumées.

Dans une nouvelle vidéo diffusée mercredi 25 mai, l’association de défense des animaux L214 révèle les conditions d’élevage « intolérables pour les animaux et inadmissibles du point de vue sanitaire » qui règnent au sein du GAEC du Perrat, une exploitation de 200 000 poules pondeuses située dans la commune de Chaleins (Ain). L’association a déposé plainte devant le tribunal de grande instance (TGI) de Bourg-en-Bresse pour maltraitance sur animaux une peine passible de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende et a lancé une pétition demandant aux autorités la « fermeture immédiate » de l’élevage industriel.

La ministre de l’environnement, Ségolène Royal, qualifiant cette situation d’« intolérable », a indiqué sur Twitter avoir demandé au préfet de l’Ain une inspection et « une décision dans la journée » ainsi que des « contrôles dans les élevages géants ». « C’est lamentable, a renchéri Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, sur France Info. S’il le faut, je fermerai cet élevage. Il porte une responsabilité pour tous les autres qui travaillent correctement. »

De son côté, le Comité national pour la promotion de l »uf (CNPO) a « fermement condamné » les pratiques montrées dans la vidéo et demandé des contrôles des services vétérinaires de l’État, ainsi que des sanctions. En revanche, l’interprofession « rejette l’amalgame et la généralisation », car selon elle ces images « ne reflètent en rien les pratiques des 700 éleveurs de la filière française ».

Espace d’une feuille A4

Les images ont été tournées le 27 avril dans les deux hangars qui accueillent près de 100 000 poules. Les oiseaux y sont enfermés soixante-huit semaines durant, depuis l’âge de 18 semaines jusqu’à leur réforme, sans jamais voir la lumière du jour. Seule activité : pondre des ufs réceptionnés par un tapis mécanique. Le GAEC du Perrat, qui vante pourtant sur son site Internet « une réelle fraîcheur des ufs » et « une sécurité bactériologique parfaite » grâce à l’élevage en cages, produit 160 000 ufs par jour. Selon l’enquête de L214, ils sont notamment vendus sous la marque Matines (du groupe Avril), dans au moins cinq enseignes de la grande distribution : Auchan, Carrefour, Casino, Intermarché et Super U. Mercredi matin, Matines a annoncé qu’il allait cesser de s’approvisionner dans l’élevage incriminé et que des mesures de « retrait en magasin des ufs déjà commercialisés » vont également être prises.

« La vidéo révèle des infractions graves et répétées aux règles sanitaires et de bien-être des animaux », expose Sébastien Arsac, porte-parole de l’association L214, qui s’oppose à toute exploitation animale. La directive européenne relative à la protection des poules pondeuses, adoptée en 1999 et entrée en vigueur en 2012, exige ainsi que les gallinacés disposent d’un espace vital d’au moins 750 cm2 (en réalité, à peine plus qu’une feuille A4), assorti d’un nid, d’un perchoir et d’une litière permettant le picotage et le grattage. Au GAEC du Perrat, des lanières en plastique font office de nids, des barres de fer de perchoirs, mais il manque la litière.

Les conditions d’élevage des poules en batterie sont connues depuis longtemps et dénoncées par les associations de bien-être animal. L214, à l’origine d’une dizaine d’enquêtes à ce sujet au-delà de ses vidéos sur les abattoirs , avait déjà publié des images de l’intérieur du GAEC du Perrat, en juin 2013. Mais elle avait dû en cesser la diffusion, à la suite d’une décision du TGI de Bourg-en-Bresse, datant de juillet de la même année, avançant une « violation de la vie privée ».

Non-conformités

« Trois ans plus tard, la situation reste inchangée et les conditions d’élevage des poules sont toujours aussi misérables, dénonce Sébastien Arsac. Les défaillances perdurent malgré les nombreuses alertes de riverains, de salariés, des autorités sanitaires et de la direction départementale de la protection des populations. »

Deux arrêtés préfectoraux pris en mars 2015 et en janvier 2016 ont constaté des non-conformités et prescrit des mesures correctives concernant notamment l’accumulation des fientes et l’importante prolifération de mouches. L’élevage a également été mis en demeure sur l’aspect sanitaire, et son activité a été brièvement réduite début avril, sur injonction d’un troisième arrêté préfectoral, après des plaintes de riverains liées aux nuisances.

« Certains travaux avaient pris du retard. Il s’agissait de mettre en place une ventilation dans le hangar à fientes, afin d’en améliorer le séchage », justifie Dominic Raphoz, cogérant du GAEC du Perrat, qui affirme avoir déboursé 4 millions d’euros en 2012 pour rénover l’exploitation de 20 salariés. « On travaille avec du vivant. On n’est donc pas à l’abri de nuisances, même si on fait tout pour les réduire, poursuit-il. Cela arrive dans tous les autres élevages du pays. »

Artifices des marques

La France est le premier producteur européen d »ufs, avec 14,8 milliards d’unités en 2014, selon les données de la filière avicole (Itavi). Soixante-huit pour cent des 47 millions de poules pondeuses sont aujourd’hui élevées en cage, contre 25 % en bâtiments avec accès au plein air et 7 % au sol sans accès au plein air. L’Hexagone reste à la traîne de ses voisins européens, qui enregistrent une moyenne de 56 % d’élevages en batterie.

Pourtant, les consommateurs français étaient 90 % à se montrer favorables à l’interdiction des élevages en batterie, selon un sondage OpinionWay publié fin 2014. Mais les changements de pratique restent freinés par les différences de prix, la méconnaissance du code situé sur la coquille indiquant l’origine (s’il commence par 0, il s’agit d’élevage bio, par 1, de plein d’air, par 2, au sol, et par 3, en batterie), et les artifices des marques comme Matines, qui affiche « ‘ufs frais » sur l’étiquette des ufs du GAEC du Perrat.

Surtout, seulement un tiers de la production d »ufs est vendu en coquille aux consommateurs. Le deuxième tiers est écoulé en restauration hors domicile, tandis que le troisième est destiné à l’agroalimentaire (pâtes, pâtisseries, etc.). A moins d’acheter des produits bio, qui bannissent les élevages en batterie, il s’avère alors quasi impossible de tracer l’origine de l »uf et de sa poule.

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