Un an avant la présidentielle , 5 jours de rencontres avec les habitants du Nord-Pas-de-Calais

Un an avant la présidentielle , 5 jours de rencontres avec les habitants du Nord-Pas-de-Calais

Jour 1. Dunkerque – Herzeele

On sort de la gare de Dunkerque nos vélos à la main et c’est comme s’il nous attendait. Debout, sur le trottoir, avec des santiags, une ceinture de cow-boy, une dégaine de Far West. Un héros un peu fatigué : Michel a 69 ans et sa cible, pour le moment, c’est la manif du 1er-Mai :

« Ç
a fait 47 ans que je suis au PS, j’en rate pas une. » Enfin si il y a eu des absences : il a été soudeur pendant 42 ans sur des plates-formes pétrolières et a fait plus de trois fois le tour du monde, il a bossé pour Total et Texaco, croisé le commandant Cousteau, bossé 12 heures par jour : « Toutes ces années, j’ai été marié avec ma valise, je n’ai pas vu grandir mon fils mais je gagnais 7 millions d’anciens francs par mois, il a eu tout ce qu’il voulait. »

On entend les grésillements des appels de la CGT ; les banderoles d’un petit cortège animent soudain la ville qui dormait, on nous claque des tracts dans les mains, Michel rejoint ses copains. Il lance : « La présidentielle Je n’attends qu’une chose : qu’ils fassent enfin travailler les jeunes en priorité ! Allez venez !
»

La manif a des allures de fête avec les gens qui se font la bise et la fanfare qui joue l’Internationale. On parle d’anciennes luttes, de la jeunesse qui ne se mobilise plus.

Derrière son stand de muguet, Marjorie, 33 ans, affiche un pauvre petit sourire : elle vend des fleurs pour la mémoire d’Hugo, son petit garçon de 8 ans tué le 2 novembre 2014 par un palet lors d’un match de hockey. «
Je viens de créer une association Scooby-Ice pour organiser un match de hockey pour Hugo, je ne veux pas qu’on l’oublie. Il nous faut 9 000 euros. Les Dunkerquois nous ont vraiment soutenus, on a eu des messages sur Facebook, des lettres. En face, les gens ne savent pas trop quoi nous dire, ils sont émus. » Comme nous.

On quitte la ville sous le soleil et le vent froid. On roule entre les petits immeubles de Coudekerque-Branche avec du linge qui sèche sur les balcons et des piétons qui nous saluent. Penché sur le sol au pied d’une tour, Patrick cherche des pissenlits pour ses lapins. Il a aussi des cochons d’Inde, deux chiens et un chat :

« Les enfants ont réclamé et c’est moi qui m’en occupe ! » Ça le fait marrer. Avec son tee-shirt « Je suis un papa qui déchire », ce quinquagénaire parle volontiers de son quartier qu’il adore, de la fête des voisins, de la pêche sur la jetée de Saint-Pol : « En ce moment, c’est la sole mais il y a encore du merlan
» Il n’y a que son boulot qui casse son bonheur tranquille : « Je me suis pété le dos dans le bâtiment à soulever des dalles de béton. Tu soulèves, tu poses et le soir t’as une boule comme ça sur l’épaule. Le patron voulait pas d’élévateur. »

Devenu handicapé, il a cumulé aujourd’hui les contrats aidés dans un lyçée de Grande-Synthe : « Je gagne 600 euros par mois’ Faudrait que les politiques se rendent compte que nous les petits on n’est pas aidés, que les richesses sont réparties n’importe comment. »

Un peu plus loin, Vanessa, enceinte de 7 mois, joue au foot avec son garçon de 5 ans. Cette grande blonde de 31 ans a une idée très précise de ce qu’elle attend de la présidentielle : « Il faut que les heures sup des serveurs soient payées plutôt que récupérées. Je bosse dans une friterie. Avant c’était un resto et, en plus des clients qui me serraient d’un peu trop près, je travaillais 50 heures par semaine pour 1 200 euros. Il fallait récupérer les heures sup, on n’avait pas le choix ! » Elle aussi adore son coin, l’ambiance, les gens : elle ne partirait pour rien au monde.

Sur la route, les arbres répondent aux étangs, les gens tondent leur pelouse. On arrive à Bergues où deux majorettes traversent la place avec des sandwiches : Justine, 17 ans et Manon, 18 ans sont venues de Dieppe pour le festival de Warhem :

«
Hier on était en compétition à Téteghem, on est arrivées troisièmes ! On se déplace dans le Nord avec le club tous les week-ends. » Non, les majorettes, ce ne sont plus ces enfants du pays qui défilent sagement derrière la fanfare : c’est devenu un véritable sport avec trois entraînements par semaine. Plus tard, les deux ados se voient secrétaires médicales et aimeraient plus de contrôles des étrangers, pour empêcher qu’il y ait de nouveaux attentats. Tout en paillettes et jupes courtes, elles nous quittent avec une grâce de danseuse. Sous le ciel bleu, les champs brillent en longues nappes vertes et l’odeur sucrée de la terre s’accroche aux vélos. Arrivée à Socx.

On croise la devanture d’une friperie américaine. C’est Alex, le DJ de la première saison des Ch’tis à Ibiza qui ouvre la porte avec un sourire. Sa femme Marie et lui nous offrent un café au milieu des fleurs de leur jardin.

Tous deux sont beaux, bardés de tatouages, hyper lookés : « On vit comme ça, on est très rock. » Ils se sont rencontrés grâce à l’émission des « Ch’tis à Las Vegas » et à Facebook. Avec son master en finances, Marie est venue de Marseille et n’est jamais repartie. La friperie, c’est elle. Aujourd’hui, Alex, 26 ans, bosse dans l’entreprise familiale comme décorateur d’intérieur : « J’attends des politiques qu’ils investissent plus dans la culture. Il faudrait ouvrir les plages aux festivals et les grands bâtiments abandonnés aux artistes. » La fin d’après-midi approche.

Dépanneur à Herzeele, Thierry revient d’un accident sur l’A25.

Il travaille tous les jours, prend deux semaines de vacances par an et fulmine contre le système français : « Il y a trop de charges, de contraintes ! » Ceci posé, Thierry adore son métier, manier la dépanneuse, parler aux gens, l’absence de routine : « Si on sait ce qu’il va se passer dans les deux heures qui suivent, ça ne sert à rien ! »

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