Trump défie la Chine et renforce les appréhensions sur sa diplomatie

Trump défie la Chine et renforce les appréhensions sur sa diplomatie

Ils ont évoqué « des liens étroits en matière économique, politique et de sécurité entre Taïwan et les Etats-Unis ». Pour la Chine, cet appel est une « man’uvre manigancée par Taïwan ».

Le Monde
| 03.12.2016 à 02h24
Mis à jour le
03.12.2016 à 14h52
|

Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant) et
Gilles Paris (Washington, correspondant)

L’imprévisibilité revendiquée par Donald Trump n’épargne désormais plus le domaine de la diplomatie, soumis d’ordinaire aux règles de la prudence. La dernière manifestation en a été la conversation téléphonique entre le président élu des Etats-Unis et la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, vendredi 2 décembre.

En réaction, la Maison Blanche, occupée jusqu’au 20 janvier par Barack Obama, a réaffirmé son soutien à la politique de « la Chine unique ». « Il n’y a aucun changement dans notre politique de longue date », a déclaré à l’Agence France-Presse Emily Horne, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.

Face aux critiques soulevées par cet entretien, M. Trump a tweeté dans un premier temps : « La présidente de Taïwan M’A TÉLÉPHONÉ aujourd’hui pour me féliciter de ma victoire à la présidence. Merci ! » Puis, il s’est défendu dans un autre tweet : « Intéressant le fait que les Etats-Unis vendent des milliards de dollars d’équipement militaire à Taïwan mais [que] je ne devrais pas accepter un appel de félicitations. »

Une conversation inédite depuis 1979

Cette conversation constitue une première depuis la rupture des relations diplomatiques, en 1979, consécutive au rapprochement débuté huit ans plus tôt entre Washington et Pékin, qui considère l’île comme faisant partie intégrante de son territoire. Malgré cette rupture, les échanges ont été prolongés à un niveau différent, illustrés par la présence à Washington du Taipei Economic and Cultural Representative Office, et à Taipei de l’American Institute, qui traitent l’un comme l’autre des affaires consulaires.

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Pendant la campagne électorale, M. Trump avait vivement dénoncé l’agressivité commerciale de la Chine, l’accusant de manipuler sa monnaie. Il avait alors agité la menace d’imposer des taxes d’importation de 45 % pour les produits venant de Chine. Un sujet qui a cependant été évité lors du premier entretien du milliardaire avec le président chinois, Xi Jinping, pendant lequel ce dernier avait plaidé pour un « respect mutuel ».

Au cours de leur conversation de vendredi, la présidente taïwanaise et M. Trump « ont pris note des liens étroits en matière économique, politique et de sécurité entre Taïwan et les Etats-Unis », selon le compte rendu diffusé par l’entourage du milliardaire. Ce dernier, qui ne s’est jamais exprimé sur Taïwan pendant la campagne, aurait-il l’intention de modifier la position américaine ‘

Des proches de Taïwan dans l’entourage de Trump

D’autant que l’entourage de l’homme d’affaires compte des proches de Taïwan. L’économiste Peter Navarro, contempteur de la politique commerciale de la Chine, fait ainsi partie des conseillers du candidat républicain en matière d’économie.

La presse taïwanaise avait évoqué en juillet, en marge de la Convention républicaine d’investiture de Cleveland (Ohio), le compte rendu élogieux que ce dernier avait dressé à cette occasion du système démocratique de l’île. Pour la première fois, la plate-forme programmatique du « Grand Old Party » avait d’ailleurs intégré les « six assurances » données à Taïwan par le président républicain Ronald Reagan pour protéger l’île des visées de Pékin.

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En octobre, un futur membre de l’équipe de transition de M. Trump, Edwin Feulner, ex-président du think tank conservateur Heritage Foundation, avait pu rencontrer la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen. Le futur chef de cabinet de la Maison Blanche nommé par M. Trump, Reince Priebus, l’a également rencontrée, en octobre 2015, quand elle n’était encore que dirigeante du Parti progressiste démocratique. Alors président du comité national républicain, M. Priebus s’était aussi rendu à Taipei à l’occasion du centenaire de la République de Chine, un titre que Pékin considère comme usurpé.

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Un contexte de tension entre Pékin et Taipei

Le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, a commencé par minimiser la portée de la conversation téléphonique entre Mme Tsai et M. Trump dans des commentaires relayés par la télévision hongkongaise Phoenix TV, un canal d’expression officieux de la diplomatie chinoise.

M. Wang a décrit l’appel comme « juste une petite ruse » de la part de Taipei, peu susceptible d’affecter la politique américaine vis-à-vis de Taïwan. Il a ensuite fait savoir par un communiqué qu’il avait « transmis une protestation solennelle à la partie américaine concernée ».

La « politique d’une seule Chine » est la « pierre angulaire » des relations entre Pékin et Washington, et la Chine espère, a-t-il ajouté, que personne « n’interfère avec ou ne dégrade » ce fondement.

L’écart de Donald Trump survient à un moment de tensions dans les relations entre les deux rives du détroit de Formose, malgré la prudence et la modération de la nouvelle présidente. Pékin a multiplié en effet les pressions indirectes sur Taïwan depuis l’investiture de Tsai Ing-wen en mai. Les communications entre les deux rives ont été suspendues.

La dernière action en date de la part de la Chine est l’interception à Hongkong de matériel militaire singapourien en transit pour la Cité-Etat. Le matériel revenait d’exercices conjoints avec Taïwan. L’action était autant destinée à Taïwan, dont Pékin souhaite limiter autant que possible les relations directes avec d’autres pays, qu’à Singapour.

A Taïwan, la présidente Tsai Ing-wen, qui a vu son taux d’approbation chuter dans les sondages, est poussée par les courants indépendantistes au sein de son parti à défendre davantage la place de l’île sur la scène internationale. L’ancien président taïwanais, Lee Teng-hui, considéré comme son mentor, a même « lâché » à la fin de novembre plusieurs déclarations publiques en ce sens, l’engageant à se distancer du « statu quo » qui préside aux relations avec la Chine (c’est-à-dire ni indépendance ni réunification) pour davantage affirmer l’identité de Taïwan.

Premiers pas diplomatiques surprenants du président élu

La conversation ponctue une semaine marquée par d’autres appels qui ont suscité les interrogations autant sur la maîtrise du président élu des dossiers de politique étrangère que sur son mode de fonctionnement.

Mercredi, joint par le premier ministre du Pakistan, Nawaz Sharif, M. Trump l’avait ainsi couvert d’éloges, selon le verbatim publié par le gouvernement pakistanais. « Vous êtes un type super. Vous faites un travail extraordinaire, qui se voit partout. Je suis impatient de vous rencontrer bientôt. En vous parlant, monsieur le premier ministre, j’ai l’impression de parler à une personne que je connais depuis longtemps, avait déclaré M. Trump. Votre pays est extraordinaire, avec des opportunités énormes. Les Pakistanais sont l’un des peuples les plus intelligents qui soient. »

Alors que le Pakistan alimente les interrogations sur son influence en Afghanistan et ses relations exécrables avec l’Inde, M. Trump avait répondu à l’invitation de M. Sharif d’effectuer une visite sur place en affirmant qu’il aimerait « beaucoup venir dans un pays fantastique, endroit fantastique où vivent des gens fantastiques ».

Le même jour, M. Trump s’était montré tout aussi amène envers le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, au pouvoir depuis vingt-cinq ans. Selon le communiqué de la présidence kazakhe, le milliardaire avait loué « le fantastique succès » pouvant être qualifié de « miracle » réalisé pendant son long règne à la tête d’un pays riche en matières premières.

Alors que M. Trump semble s’affranchir pour l’instant de la pratique qui consiste à coordonner ces échanges avec le département d’Etat, le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest, a assuré jeudi, laconique, qu’en son temps, « le président Obama a[vait] profité du professionnalisme et de l’expertise de diplomates de carrière (‘) qui ont été en mesure de lui offrir de bons conseils ». « Je pense que le président Trump en profiterait certainement de la même manière », a-t-il ajouté.

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