Téléramadan  la revue qui veut  Grand Remplacer  les idées nauséabondes

 Téléramadan  la revue qui veut  Grand Remplacer  les idées nauséabondes

Le Monde
| 06.06.2016 à 06h42
Mis à jour le
06.06.2016 à 10h36
|

Par Elvire Camus

« Nous sommes le Grand Remplacement. » La première phrase de l’éditorial donne le ton. Avec Téléramadan, la revue qu’ils lancent lundi 6 juin, premier jour du mois du ramadan, les auteurs Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, ainsi que le journaliste Mouloud Achour, ne demandent pas la permission. Ils la prennent.

Ces trois-là se connaissent depuis cinq ans. Ils ont notamment collaboré sur la Websérie d’Arte, « Vie rapide », qui raconte la société française sous la forme d’instantanés toujours bien sentis. Téléramadan, leur dernier projet en date, a essuyé plusieurs refus avant de finir par sortir de l’imprimerie. Les maisons d’édition parisiennes sollicitées craignaient que la revue, qui veut faire exister une autre vision de l’islam dans le débat public, ne soit trop communautaire.

« Les gens sont effrayés à l’idée de parler d’islam autrement que sous le prisme de la laïcité, de la République. Nous, on veut en parler sous le prisme du vécu, de la réalité », explique Mehdi Meklat, 24 ans, dont six en tant que chroniqueur sur France Inter avec Badrou Saïd Abdallah, lui aussi né en 1992. Déterminés à ne pas édulcorer leur concept initial, ils décident de publier Téléramadan eux-mêmes. Depuis qu’il a sa propre émission culturelle sur le Web, Cliquetv, Mouloud Achour, 35 ans, ancien animateur au « Grand Journal » de Canal+, « refuse de céder quoi que ce soit sur le terrain de la création ».

« Nous sommes le présent » Editorial du premier numéro de « Téléramadan »

En s’appuyant sur le mécénat et leurs économies, ils fondent leur propre maison d’édition baptisée, en toute provocation : « Les éditions du Grand Remplacement ». Selon cette thèse, développée par l’écrivain Renaud Camus, et portée notamment par la mouvance identitaire d’extrême droite, les populations d’origine immigrée, soutenues par les élites, sont en passe de conquérir la France et l’Europe. Mais le choix de ce nom ne se résume pas à tourner en dérision cette théorie. Il s’agit plutôt d’en prendre le contre-pied, en assumant ce rôle de « grands remplaçants », sur le terrain des idées. « Nous sommes le présent », affirme encore l’éditorial. « On n’est pas là pour s’excuser. Ni pour rassurer qui que ce soit », prévient Badrou Saïd Abdallah.

Lire le portrait :
 

Mehdi et Badrou, denses avec les mots

Au plus près des gens

Téléramadan est la contraction de Télérama et ramadan. Au départ pensée comme une revue culturelle publiée chaque année par et pour ceux qui font le ramadan, que ce soit par tradition religieuse ou culturelle, la ligne éditoriale est réorientée après le 13 novembre. La première conférence de rédaction d’après les attentats donne lieu à des discussions sur le rapport des contributeurs à leur foi, à leur histoire, à eux-mêmes. C’est finalement cela que racontera la revue qui sera commercialisée une fois par an, au prix de 10 euros.

Dans ses pages, une dizaine de plumes (journalistes, écrivains, dramaturges’), dont la moyenne d’âge est de 22 ans, s’expriment à travers des formats divers sur ces interrogations du quotidien. Une seule envie commune, celle de produire une revue dépassionnée, au plus près des gens.

En feuilletant l’épais premier numéro (112 pages au total) à la maquette moderne, on peut notamment lire un reportage sur la façon dont les migrants de Calais, majoritairement musulmans, vivent leur foi malgré la dureté de leur vie en exil ; un récit intime sur l’arrivée compliquée d’une mère de famille en France depuis son Maroc natal ; des témoignages sur les questions que pose le ramadan lorsque l’on est en couple. Autant de sujets qui traitent de l’islam dans sa complexité.

« On n’est plus dans un discours binaire, qui consisterait à se demander si être musulman, c’est bien ou pas bien », estime Mehdi Meklat. « Maintenant, il faut répondre à la question : être musulman, c’est quoi ‘ »

Communauté intellectuelle

« Le ramadan est quelque chose qui existe en chacun de nous. Parce qu’on a grandi dans des quartiers où il était présent », détaille Mouloud Achour pour expliquer leur référence à la fête musulmane. Badrou Saïd Abdallah établit un parallèle plus symbolique. Basé sur le calendrier lunaire, le mois saint ne tombe jamais à la même période d’une année sur l’autre, il est toujours en mouvement. Comme la société. « Téléramadan, c’est une revue qui essaie de raconter un monde qui est en mouvement aussi », expose-t-il. A la différence de certaines personnalités publiques qui voudraient la figer. « Ça ne nous intéresse pas de représenter un monde qui se meurt. »

Lire notre enquête :
 

Le communautarisme, mythes et réalités

En cela, Téléramadan se veut communautaire. Une communauté au sens intellectuel, pas religieux. « On espère attirer des énergies », précise Mehdi Meklat. Avec leur maison d’édition, le projet des trois amis dépasse la seule publication de leur revue, ils entendent aussi rassembler auteurs et lecteurs qui veulent « réfléchir autrement ». « Il y aura un Téléramadan n° 2, c’est sûr, mais la prochaine publication sera peut-être un livre de cuisine, un recueil de poésie, un pamphlet ravageur ! », pressent Mouloud Achour. Les fois suivantes, comme pour celle-là, ils ne demanderont pas la permission.

Leave A Reply