Téhéran met au ban les vendeuses à la sauvette

Téhéran met au ban les vendeuses à la sauvette

Le Monde
| 30.08.2016 à 17h10
Mis à jour le
31.08.2016 à 12h09
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Par Ghazal Golshiri

La municipalité prend des mesures répressives à l’encontre des marchandes ambulantes en les assimilant à des « mendiantes ».

Le métro de Téhéran est un monde à part. Loin du chaos des rues et des avenues enfumées et embouteillées de la capitale iranienne, nulle n’oubliera sa première expérience dans un compartiment réservé aux femmes. Un lieu particulier où les vendeuses ambulantes sont parfois plus nombreuses que les voyageuses. Lingerie sculptante, produits de beauté, essuie-tout magiques qui font disparaître les taches d’huile en quelques secondes ou aliments amaigrissants, dans ces six wagons trois en tête et trois en queue , tout s’achète.

« Regardez ces épingles et ces barrettes à cheveux. Elles vous donneront un look de superstar ! », claironne Rojine, une jeune fille au visage soigneusement maquillé qui promène son sac à dos entre les voyageuses. Le temps de faire volontairement tomber son foulard en République islamique d’Iran, les femmes sont tenues de se couvrir tout le corps, sauf le visage et les mains , et elle entreprend d’exécuter différents chignons. Une autre propose des crayons waterproof pour les yeux tandis qu’une troisième pose des soutiens-gorge sur la poitrine des passagères pour leur prouver qu’il s’agit de la bonne taille. Certaines possèdent des « machines à carte », d’autres proposent que la cliente les règle plus tard par virement bancaire.

Des activités considérées comme « illégales »

La confiance règne et les vendeuses sont solidaires. Comme dans une pièce de théâtre, chacune attend que la présentation de l’autre soit terminée pour entrer en scène. De temps en temps, des vendeurs se glissent même dans ces wagons, où la présence masculine est interdite, sans que cela ne fasse scandale. Parce qu’ici, tout le monde sait combien la vie des marchands ambulants est difficile. La plupart des femmes travaillent parce que leur mari ou leur père est absent, toxicomane ou chômeur. Elles habitent loin du centre, dans les faubourgs de Téhéran ou dans de petites villes proches de la capitale.

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La loi iranienne s’apprête à leur porter un nouveau coup. Il était déjà interdit d’occuper l’espace public sans autorisation de la mairie, et les employés municipaux menaient régulièrement des raids dans les wagons et sur les quais du métro pour confisquer les marchandises. Les noms des vendeurs étaient alors enregistrés, mais la répression s’arrêtait là. Le 3 juillet, le conseil de la ville de Téhéran a décidé que les vendeurs ambulants seraient désormais assimilés à des « mendiants » et leurs activités considérées comme « illégales ». Les employés de la mairie pourront donc les traduire en justice.

Des voix se sont d’emblée élevées contre cette mesure. Le 23 juillet, une lettre ouverte adressée aux chefs des trois pouvoirs judiciaire, législatif et présidentiel, et signée par plus de 500 militants de la société civile iranienne, demandait l’abolition de cette décision qui menace, selon eux, « l’intégrité humaine » et ne fait qu’accentuer les « différences sociales » et le « mécontentement des citoyens ». Sans suite pour l’instant.

« La dernière fois que mes produits ont été confisqués, certaines dames sont descendues du train et ont pris à partie les employés de la mairie. » Samira, vendeuse de lingerie et foulards

Les voyageuses sont également nombreuses à défendre les marchandes ambulantes. « La dernière fois que mes produits ont été confisqués, se rappelle Samira, 31 ans, qui vend lingerie et foulards dans le métro depuis quinze mois, certaines dames sont descendues du train et ont pris à partie les employés de la mairie. Elles leur disaient : Que doivent faire ces femmes ‘ Vous ne savez pas que les jeunes au chômage sont très nombreux ‘ Etre vendeuse, n’est-ce pas mieux qu’aller se vendre dans la rue  » Ça m’a vraiment touchée. »

En Iran, le taux du chômage chez les jeunes entre 20 et 35 ans s’élève à 30 %, soit trois fois plus que celui d’autres tranches d’âge. Nombreux sont ceux qui trouvent dans le métro de quoi survivre. « Parce qu’on n’a besoin ni de piston ni d’un gros capital », explique Azam, 33 ans, qui y travaille depuis sept ans. Sara, 20 ans, vend des vernis à ongles et ne réalise que 600 tomans de bénéfices (soit 15 centimes d’euro) par flacon vendu. « Je gagne 60 000 tomans (15 euros) par mois », dit cette grande fille qui, à cause de son père toxicomane, a dû arrêter ses études vers 8-10 ans, faute d’argent. Comme elle, des dizaines de milliers de personnes ont recours à cette activité dans la capitale. Et désormais, les vendeuses sont devenues un élément à part entière du décor du métro de Téhéran.

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