Tara  au c’ur des coraux du Pacifique

 Tara  au c'ur des coraux du Pacifique

Le Monde
| 23.05.2016 à 16h07
Mis à jour le
28.05.2016 à 13h37
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Par Martine Valo

Tara reprend la mer. La célèbre goélette doit quitter son port d’attache de Lorient (Morbihan) le 28 mai. Le temps d’une petite cérémonie devant l’île de Groix, et la voilà qui ­lèvera l’ancre pour une expédition de deux ans. Le navire ambitionne cette fois de traverser l’Atlantique et d’emprunter le canal de Panama pour aller ausculter les récifs coralliens du Pacifique. Environ 100 000 kilomètres, au bas mot, durant lesquels 70 scientifiques venus de huit pays vont se succéder à son bord pour étudier la biodiversité liée aux coraux, et la ­capacité de ces organismes à résister aux stress dus aux activités humaines et au changement climatique.

« Il existe peu de navires de recherche marine capables d’effectuer des missions de plus d’un mois d’affilée, ­assure Romain Troublé, directeur de la Fondation Tara Expéditions. Nous allons être les premiers à mener une mission de cette ampleur, à traverser tout le Pacifique, une partie du monde où se trouvent plus de 40 % des récifs coralliens de la planète ! » Nouvelle hélice, moteurs neufs, équipements pour la plongée sous-marine : l’ancien bateau de l’explorateur Jean-Louis Etienne a bénéficié d’un lifting. Conçu pour les grands froids, il a été équipé de climatisation dans les laboratoires-chambres de stockage pas dans les cabines des participants.

« On va étudier qui vit avec qui : les bactéries, les virus, le plancton »

« Avec son fond plat, Tara va pouvoir pénétrer dans les lagons, s’enthousiasme Romain Troublé. On va étudier qui vit avec qui : les bactéries, les virus, le plancton. Et puis le rôle des poissons associés : est-ce que le corail dépérit s’il n’est plus nettoyé par eux ‘ Observer la biodiversité en surface, prélever des échantillons d’eau, aussi, mesurer si le bruit autour des récifs est différent d’un bout à l’autre du Pacifique’ Nous allons également effectuer des carottages pour remonter le temps. »

La première année, la traversée va mener l’équipe de Colombie au ­Japon, en passant par l’île de Pâques, la Polynésie, Wallis-et-Futuna, la Micronésie’, tandis qu’elle devrait croiser dans les parages de la Nouvelle-Guinée et de la Chine si tout va bien en 2018. Une perspective alléchante, quand on sait que le nombre d’espèces de coraux augmente de l’est à l’ouest du Pacifique. « Jusqu’à présent, on en a recensé environ 1 500 dans le monde », indique Serge Planes, directeur de recherches au CNRS.

A la tête d’un laboratoire rattaché au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) basé à Moorea, en ­Polynésie française, et à l’université de Perpignan, il est l’un des deux coordonnateurs de l’expédition scientifique.

« A elles seules, précise le chercheur, l’Indonésie, l’Australie et les Philippines concentrent la moitié des récifs coralliens. »

Plus de 30 000 échantillons en deux ans

Ces organismes couvrent moins de 0,2 % de la superficie des océans, mais ils abritent 30 % de la biodiversité marine connue. L’idée de leur consacrer une grande expédition s’était déjà imposée à l’équipe de Tara, au moment où elle mettait fin à sa quête de planctons, en 2013, après quatre années à sillonner la haute mer. Lors de ce voyage-là, une nouvelle espèce avait été découverte dans les îles Gambier, aussitôt baptisée Echinophyllia tarae. Mais il a fallu deux années de discussions et de mise au point des différents protocoles entre tous les collaborateurs, biologistes et océanographes issus de 18 institutions et laboratoires de recherche, pour établir le programme scientifique de cette traversée, dont le budget atteint 5 millions d’euros.

Comme pour le plancton, les échantillons il est prévu d’en collecter plus de 30 000 en deux ans seront expédiés par avion tous les trois mois en France. Ils ­rejoindront le Génoscope du Commissariat à l’énergie ­atomique, à Evry (Essonne), pour le travail de séquençage, dont les résultats définitifs pourraient prendre une dizaine d’années.

Le corail, un ensemble complexe

Des recherches sur le corail, il s’en mène déjà beaucoup, en particulier en Australie. Tara table sur son approche comparative à grande échelle pour se distinguer. A chaque étape, dans près de quarante archipels, deux coraux scléractiniaires (Porites lobata et Pocillopora meandrina) et un corail de feu (Millepora platyphylla) vont être étudiés selon un protocole identique. En parallèle, un poisson, le chirurgien bagnard (Acanthurus triostegus), sera systématiquement récolté. « C’est le manini, un petit poisson que l’on trouve dans à peu près tous les récifs, dit Serge Planes à propos de ce familier dont il a longuement étudié la génétique. Nous allons nous concentrer sur les bactéries, virus, champignons, protides et protistes qu’il a sur son mucus et qui le protègent. » Le corail est un ensemble complexe. L’holobionte désigne les organismes qui le composent : l’animal une méduse , le végétal une algue de la famille des zooxanthelles , qui colonise l’intérieur de ses tissus, mais aussi toute une microfaune qui le recouvre et l’habite.

Les modèles existants permettent d’évaluer à 20 % les coraux détruits depuis les années 1950-1960

Au-delà de sa dimension scientifique, cette aventure de la goélette comme ses onze missions précédentes , a pour objectif de sensibiliser le public aux enjeux de l’environnement marin. Les modèles existants permettent d’évaluer à 20 % les coraux détruits depuis les années 1950-1960. 20 %, à nouveau, sont directement en danger, et pourraient disparaître d’ici à 2050. Le réchauffement des températures et l’acidification de l’océan ne sont pas seuls en cause. Selon les experts, la détérioration des coraux est essentiellement due à des conséquences plus localisées des activités humaines, notamment à la sédimentation engendrée par les effluents de l’agriculture qui finissent en mer.

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