SDF , quand les invisibles deviennent trop visibles

SDF , quand les invisibles deviennent  trop visibles

«
C’est moi où ils sont de plus en plus nombreux
», «
en ce moment ils sont partout !
» ou encore «
moi j’ai l’impression qu’ils sont de plus en plus jeunes !
». Autant de bribes de conversations captées ces derniers jours au détour d’une rue, à la sortie d’une bouche de métro ou devant les vitrines aguicheuses des grands magasins. «
Ils
», ce sont les SDF, ces invisibles que l’on croise pourtant quasi quotidiennement au point qu’ils finissent parfois par devenir’ visibles. Vient alors le moment des interrogations : qui sont-ils, d’où viennent-ils Et surtout, sont-ils vraiment plus nombreux ou s’agit-il d’une simple impression

Une extrême pauvreté en constante progression

Du côté de la fondation Abbé Pierre, le doute n’est plus permis. Voilà plus d’une décennie que l’association, à coup de chiffres et de statistiques, tente désespérément d’attirer l’attention sur l’augmentation croissante du nombre de sans-abri. En particulier dans nos rues. La faute, notamment, à un contexte socio-économique particulier : taux de chômage important (13 % environ, soit 3 % de plus que la moyenne française), spectre de la crise industrielle, augmentation du prix des loyers entraînant parfois des expulsions’ «
S’il est très difficile de connaître le nombre de personnes sans domicile fixe à l’échelle de la région, on sait que l’extrême pauvreté et le sans-abrisme’ y sont en constante progression
», indique Nicolas, de l’antenne régionale de la fondation. Certains indicateurs, comme le nombre d’appels au 115 permettent de se faire une idée de la situation. L’an dernier, 195 788 demandes d’urgences sociales (dont des demandes d’hébergement), provenant de 25 149 personnes différentes, ont ainsi été enregistrées par les SIAO (Services intégrés d’accueil et d’orientation qui réceptionnent les appels au 115). Soit 5 % de plus qu’en 2014. «
Et depuis le début de l’année, le nombre de demandes ne faiblit malheureusement pas’
» Si le territoire lillois est aujourd’hui encore le plus touché par le « sans-abrisme » (3 appels sur 4 concernent la métropole), «
le Sud du département du Nord et le Dunkerquois (8 % des appels) ne sont pas en reste
». Pire encore, on estime que dans les grandes villes, le nombre de personnes sans domicile fixe âgées de 18 à 25 ans ainsi que le nombre de femmes auraient doublé entre l’été 2015 et l’été 2016.

Des structures fermées en été

«
Le problème, c’est qu’on prête davantage attention aux SDF pendant l’hiver, à cause des basses températures. Mais il n’y a pas que le froid qui tue. La situation des personnes à la rue est aussi préoccupante en hiver qu’en été, voire même plus en été avec les fortes chaleurs
», précise de son côté Valentine Cogo, administratrice de la CMAO (Coordination mobile d’accueil et d’orientation) sur le territoire lillois. Elle évoque notamment les structures d’hébergement qui, si elles sont ouvertes l’hiver, sont aussi nombreuses à fermer leurs portes au printemps. «
D’où, peut-être, cette impression de voir plus de SDF ces derniers temps. Non seulement ils sont plus nombreux en général mais, en plus, il faut prendre en compte les personnes qui, faute de structures pouvant les accueillir, n’ont d’autre choix que de retourner dehors.
» Plus nombreux et bien plus visibles, donc. Pour tenter de mieux comprendre la situation, nous sommes allés à leur rencontre. Parce qu’après tout, qui mieux que les SDF pour parler des SDF

Dennis l’éternel optimiste

Son compagnon du jour se prénomme Harry Potter. «
On m’a donné le tome 5, c’est cool parce que j’adore la lecture, l’écriture.
» À tel point qu’à un moment, il a voulu en faire son métier. «
J’ai commencé des études de journalisme mais je ne suis jamais allé au bout. Mais une fois remis sur pied, je les reprendrai peut-être !
»

Il faut dire que le Nordiste n’a que 27 ans. Dans son sac qu’il trimballe depuis trois mois à peine, un duvet, un porte-clés que lui a une fois offert une petite fille et dont il ne se sépare jamais, et une bonne dose de motivation. «
J’ai fait des erreurs, ça m’a conduit en prison. Je sais que c’est de ma faute mais je ne vais pas abandonner
».

Tous les matins, il appelle le 115 «
mais il n’y a jamais de place. Dans la rue, on est de plus en plus nombreux, ça devient difficile de réunir assez d’argent pour dormir en auberge.
» Pour autant, Dennis préfère rester seul. «
Je ne veux pas trop me mélanger aux autres. Et puis, je vais bientôt m’en sortir.
»

Emmanuelle, la dure à cuire

Ce qui l’a conduite ici, sur ce banc à la peinture écaillée «
Un divorce. J’avais tout, un mari, cinq enfants. Et puis’ et puis plus rien.
» C’était il y a cinq ans. Une descente aux enfers aux relents de bière, qu’elle peine parfois à raconter.

Pourtant, elle le jure, elle a déjà réussi à arrêter l’alcool pendant plusieurs mois. «
Mais la rue a été plus forte. » Derrière elle, un ami, SDF lui aussi, la taquine. Il lui dit qu’elle est «
grande gueule
» alors elle sourit, mais d’un drôle de sourire triste. «
Forcément que je suis grande gueule, je suis une femme à la rue. T’as pas le choix, il faut que tu montres aux hommes que tu es une dure à cuire, que tu ne te laisses pas faire sinon t’es foutue.
» Pourtant, elle n’en reste pas moins coquette, « Manue ». Aujourd’hui, par exemple, elle s’est maquillé les yeux «
et pourtant, je savais pas que vous veniez !
». Son plus grand souhait Elle aimerait que ses enfants, restés à la Réunion avec leur père, la trouvent «
aussi jolie qu’avant
».

Sophie, l’étudiante fauchée

De ses ongles, il ne reste plus grand-chose. «
Si ma mère était là, elle me dirait d’arrêter de les ronger, que c’est mauvais pour la santé. Quoique’ Après réflexion, elle s’inquiéterait peut-être plus du fait que sa fille est à la rue’
» À 19 ans, Sophie a quitté sa Provence natale et sa famille pour venir étudier le droit dans la région. Elle s’est trouvé un joli studio, qu’elle payait avec ses économies et grâce à quelques boulots effectués à droite à gauche. «
J’avais l’impression de mener la grande vie ! J’ai obtenu l’une des meilleures moyennes de mon lycée au bac et puis, une fois ici, je me suis mise à faire n’importe quoi.
» Trop de soirées, d’argent gaspillé «
et plus moyen de payer le loyer
».

La jeune étudiante refuse de demander de l’aide à ses parents. «
Je continue de leur faire croire que tout se passe bien, le temps de me remettre sur pied
». Si elle a peur, toute seule et si jeune dans la rue «
Tout le temps mais’ Oh mince, j’ai fini par m’arracher un ongle avec mes conneries’
»

Samuel, le survivant

«
Je suis arrivé dans le Nord il y a trente ans. À la base, je devais y rester deux semaines. Finalement, je n’en suis jamais reparti.
» Une histoire de fille, qu’il raconte avec des yeux espiègles, tout en caressant ses «
bébés
», trois chiens qui font la sieste sur une couverture, à côté.

Des histoires, il en a plein, Samuel. Lui, il les voit bien, tous ces changements dans la rue. «
Il y a de plus en plus de monde, surtout dans les grandes villes. Beaucoup de petites jeunes aussi, c’est triste. Et des femmes, ça doit être encore plus dur pour elles !
» Pourtant, il l’assure : «
il y a beaucoup de solidarité dans la rue, on s’aide entre nous
».

Son âge, sa maladie et son handicap font qu’il ne travaillera plus. Pourtant, il aimerait bien qu’on lui laisse une chance, qu’on le laisse faire quelques petits boulots. Il rêve de s’offrir une maison, pas trop grande mais avec un jardin, pour les chiens. «
Et puis, une copine ce serait pas mal non plus !
»

«Être SDF n’est pas une fin en soi»

Niçoise d’origine mais «
lilloise de c’ur
», Christine est arrivée dans le Nord de la France il y a maintenant douze ans. Très vite, elle décide «
de faire quelque chose de bien, de venir en aide à ceux qui n’ont plus rien
», à sa façon. C’est ainsi qu’elle se met à parcourir les rues de Lille, à pied, à la rencontre des SDF du coin. «
Au début, je m’arrêtais simplement quelques minutes pour discuter avec eux, leur tenir compagnie. La plupart des sans-abri sont habitués à la solitude, ils n’ont pas grand monde avec qui échanger.
» Et puis, les minutes sont devenues des heures.

Aujourd’hui, Christine partage son temps entre l’église Saint-Maurice, dans laquelle elle travaille, et ceux qui la surnomment affectueusement « Mimi ». Tout en maintenant, toujours, une certaine distance. «
Ce sont des personnes qui me touchent. Parfois, j’aimerais pouvoir faire plus mais je pense qu’il est important de mettre quelques barrières, de ne pas trop s’impliquer émotionnellement’ même si c’est parfois difficile !
»

Au cours de ses douze années de bénévolat (elle a toujours refusé de rejoindre ou de créer une association, pour pouvoir «
rester libre »), Christine en a vu, des changements. «
J’ai vu le nombre de femmes seules et jeunes augmenter toujours un peu plus.
»

Mais elle a aussi vu des sans-abri retrouver «
une vraie vie. Je suis restée en contact avec un ancien SDF qui a trouvé un emploi et une maison’ C’est une histoire qui finit bien. Beaucoup ne réussissent pas à se sortir de la rue mais pour d’autres, il y a de l’espoir. Être SDF n’est pas une fin en soi.
»

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