Rugby , les  Springboks  du Languedoc

Rugby , les  Springboks  du Languedoc

Le Monde
| 02.06.2016 à 15h44
Mis à jour le
05.06.2016 à 16h15
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Par Adrien Pécout

La ville de Montpellier a déjà conclu un jumelage avec des municipalités de Chine, du Brésil, de Grèce, d’Israël et même de Palestine. Son club de rugby, lui, privilégie un autre pays. Comme toute équipe du championnat de France qui entend se faire respecter, le Montpellier Hérault Rugby (MHR) compte, certes, des Fidjiens, des Néo-Zélandais, des Australiens, des Géorgiens. Mais s’il fait jaser, c’est bien pour sa proportion de Sud-Africains : treize, soit un quart de l’effectif professionnel, presque assez pour constituer une équipe à eux seuls.

Proportion inédite, à la (dé)mesure d’un rugby français qui songe parfois davantage à recruter ailleurs qu’à former ses propres jeunes. « Certains aiment bien les histoires, ça les fait sourire. En bien ou en mal, on parle de nous, se satisfait Abdelatif Benazzi, manageur général du club depuis cette saison. Maintenant on est là, présents. Dans la cour des grands. »

Ce Montpellier, plus austral que jamais, vient déjà de remporter en mai le Challenge européen face aux Harlequins de Londres. Une compétition continentale de seconde zone, « une Coupe Mickey, diront certains, mais un titre important pour le club », selon Benazzi. Prochain titre escompté : le fameux Bouclier de Brennus. Deuxième du classement, Montpellier se qualifiera d’office pour les demi-finales du championnat de France s’il remporte la 26e et dernière journée de la saison ­régulière, dimanche 5 juin au soir, dans les Hauts-de-Seine, sur la pelouse du Racing.

­« Défaite historique pour le club »

Et tant pis, pragmatisme oblige, si l’enfant du pays risque à nouveau de faire banquette. Déjà le 29 mai, face aux Toulonnais qu’il rejoindra la saison prochaine, François Trinh-Duc avait dû se contenter des tribunes pour assister à son dernier match de championnat devant le public montpelliérain. Réponse timide de l’international français : « Je continue à me préparer, j’espère qu’on va aller le plus loin possible en championnat et je me tiens prêt. » Son ami de longue date et capitaine du club, Fulgence Ouedraogo, a montré un peu moins de compréhension : « Peu ­importe le score de dimanche [Montpellier a finalement battu Toulon], a-t-il écrit sur le ­réseau social Twitter, ce match restera une ­défaite historique pour le club. »

Aucun passe-droit accordé et une remise en question de tous les instants. Qui profite à tout le monde, insiste Benazzi, même aux plus anciens : « Tout le club a bénéficié de cette touche sud-africaine, tous les joueurs ont été boostés. » Un constat que partage Sophie ­Asperti, secrétaire du « Club historique des supporteurs » : « Pour moi, il n’y a pas de Sud-Africains, de Fidjiens, d’Australiens, etc. Il y a une équipe de quinze bonhommes sur le pré. Quinze Montpelliérains. »

Au poste d’entraîneur depuis une saison et demie, le Sud-Africain Jake White connaissait déjà la France pour y avoir disputé (et gagné) la Coupe du monde 2007 en tant que sélectionneur de son pays. Le manageur a débarqué dans le Languedoc avec son CV, sa façon de voir les choses, son franc-parler et surtout son carnet d’adresses.

« J’ai pris des joueurs sud-africains parce que je les connais depuis leur jeunesse, je peux leur parler en afrikaans, j’ai déjà un rapport de confiance avec eux. »

A son arrivée, seuls quatre Sud-Africains jouaient déjà au club. « Pourquoi j’en ai pris autant avec moi ‘ Facile, tranche-t-il en anglais. Regardez en football, Arsène Wenger a bien pris Thierry Henry et d’autres Français à Arsenal. Parce qu’il sait comment les motiver, comment ils ont grandi. J’ai pris des joueurs sud-africains parce que je les connais depuis leur jeunesse, je peux leur parler en afrikaans [langue héritée de la colonisation néer­landaise], j’ai déjà un rapport de confiance avec eux. » Exemple avec l’ouvreur Demetri Catrakilis, bientôt 27 ans : « Lui, je le connais depuis qu’il a 2 ans ; j’ai encore vu ses parents il y a une semaine, quand ils lui ont rendu visite à Montpellier. J’ai connu son père lorsque j’entraînais une équipe de lycée et que lui en entraînait une autre. »

Une pause, puis White ajoute : « J’ai déjà demandé à une dizaine des meilleurs joueurs français de signer à Montpellier. Je leur ai dit : Viens, l’argent que tu veux, on te le donne, j’ai besoin de toi pour gagner des titres.’ Mais ils m’ont tous répondu : Non, d’abord vous gagnez, puis je viens.’ » Les joueurs sud-africains, quant à eux, se montrent moins sensibles au palmarès quasi inexistant de cette maison créée en 1986.

Un club jeune, mais dopé aux investissements de son nouvel actionnaire majoritaire depuis 2011. Le président Mohed Altrad, homme d’affaires d’origine syrienne, a banni « l’à-peu-près, l’amateurisme », pour reprendre l’expression d’Abdelatif Benazzi. D’un simple club sportif, Altrad a fait une entreprise capable de virer son entraîneur il y a deux ans (Fabien Galthié) pour insuffisance de résultats, stade suprême du professionnalisme. Ou encore de proposer « des salaires au moins trois fois supérieurs à ce que le joueur qui perçoit le plus petit salaire du club pourrait toucher en Afrique du Sud », calcule Jake White.

« Je ne viens pas pour l’argent, mais pour gagner des titres »

Le MHR, 23,4 millions d’euros de budget annuel, a pourtant d’autres atouts que ces arguments sonnants et trébuchants. Du moins selon ses Sud-Africains, qui l’assurent tous, la main sur le c’ur. Les uns évoquant la traditionnelle « aventure sportive » ; les autres, les charmes culturels de la vie à la française.

Le demi d’ouverture François Steyn, quant à lui, a connu le championnat du Japon et ses rémunérations avantageuses. Mais il a décidé de revenir en France, après un premier séjour au Racing, pour jouer la gagne avec Montpellier. « Je ne viens pas pour l’argent, mais pour gagner des titres. » Son compatriote Jannie du Plessis, pilier qui n’est pourtant pas le plus maigrelet, souligne pour sa part la longueur des saisons et l’âpreté des combats (le mot anglais tough, qui signifie « dur », ayant été prononcé à longueur de phrase) : « En France, la mêlée est très, très, très importante pour gagner des matchs, beaucoup plus qu’en Afrique du Sud. » Un comble quand on sait que la France a longtemps envié l’impact physique des « Springboks », le surnom des internationaux sud-africains, comparés à une espèce d’antilope.

Dans un mélange d’anglais et de français, le champion du monde 2007 précise qu’il « a inscrit ses enfants à l’école française » depuis cette saison. Et, comme pour mieux décoller l’étiquette du mercenaire, fait valoir ses brevets de bonne camaraderie : « Je resterai toujours un afrikaner, rappelle l’aîné des frères Du Plessis, venu avec son cadet, Bismarck, à l’issue de leur troisième place obtenue avec l’Afrique du Sud au Mondial 2015, mais j’essaie de passer du temps avec les joueurs français, de comprendre la langue. Quand l’un d’eux m’invite,j’essaie toujours de rester jusqu’au dernier moment. Même si je me retrouve le seul étranger et qu’à la longue ça demande pas mal de concentration pour suivre ce qu’ils disent. »

Peut-être leur coéquipier Wiaan Liebenberg, 23 ans, pourra-t-il leur donner des cours particuliers. A 8 000 kilomètres du Cap, sa ville natale, le troisième-ligne fait partie de ces jeunes qui quittent le pays « parce qu’il y a trop de bons joueurs en Afrique du Sud ». La phrase vient pourtant de l’ancien capitaine victorieux des « Baby Boks », champions du monde dans la catégorie des moins de 20 ans en 2012. A la différence de ses aînés, Liebenberg se verrait bien rester en France plusieurs années et, pourquoi pas, « s’il [le] mérite », jouer un jour pour le XV de France. Amoureux du « pain », « des recettes de canard » et de la mentalité « relax », selon lui, des Montpelliérains, Liebenberg est aussi déjà tombé sous le charme d’une Française, « rencontrée le dimanche à l’église ».

Sans dévoiler leur vie sentimentale, d’autres Sud-Africains ont emprunté cette voie sportive, le troisième-ligne Bernard Le Roux étant l’un des derniers exemples en date. Trois années en France et aucune sélection en équipe première des Springboks lui ont suffi pour intégrer les Bleus’ du XV de France.

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