Rugby , le Racing 92 joue pour l’Histoire

Rugby , le Racing 92 joue pour l'Histoire

Le Monde
| 12.05.2016 à 15h22
Mis à jour le
14.05.2016 à 13h57
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Par Adrien Pécout

De là à proclamer l’avènement du nouveau « plus gros match » du club, de là à faire table rase de son palmarès ‘ Quoi qu’il advienne, ce serait oublier bien vite ses 134 ans, ses cinq titres nationaux (1892, 1900, 1902, 1959 et 1990) alors que la Coupe d’Europe n’existait point encore, et ce siècle et demi où l’histoire des Ciel et Blanc se superpose avec celle du rugby.

20 mars 1892. Le Racing, club omnisports, a 10 ans. Rendez-vous près de son siège parisien, dans le bois de Boulogne, pour la première édition du championnat de France. L’épreuve se résume à un simple match. Victoire 4-3 en « finale » face au Stade français. Lointaine époque, celle où les essais valent deux points et les pénalités, un seul. Le rugby débarque d’Angleterre. A Paris, les élèves parisiens du lycée Condorcet se plaisent à imiter le modèle : cette anglomanie déteint sur le nom du Racing ainsi que sur ses couleurs, hommage aux équipes de l’université de Cambridge.

Cet après-midi-là, deux mille curieux se déplacent pour observer ce nouveau sport encore réservé à une élite de jeunes gens. L’arbitre du match, lui, est un baron. Pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de Pierre de Coubertin. Le futur père des Jeux olympiques modernes préside alors l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques. Pour récompenser le vainqueur, Coubertin commande un trophée encore convoité de nos jours chaque saison : le Bouclier de Brennus, ce fameux « bout de bois », doit son nom à Charles Brennus, graveur, ciseleur, et par ailleurs président du Sporting club universitaire de France.

Dès la fin du XIXe siècle, le parisianisme atteint ses limites. Les décennies suivantes, le rugby prend l’accent du Sud-Ouest, et le Racing avec. Dans les années 1950, malgré son siège très sélect du Pré Catelan (16e arrondissement), le club de la bourgeoisie parisienne devient aussi celui de Méridionaux égarés dans la région. Lors du titre de 1959, la lumière jaillit d’une bande d’électriciens en formation. En ces temps d’amateurisme, les sudistes François Moncla, Michel Crauste et Arnaud Marquesuzaa jouent tous au Racing parce que leurs études d’agents EDF les ont conduits à l’école de Gurcy-le-Châtel, en Seine-et-Marne.

Le capitaine Moncla compare Gurcy à un « centre de formation » avant l’heure pour le « Racing »  qu’il prononce à l’anglaise. « Notre directeur d’école était un fana de sport, il s’était bien mis en cheville avec les dirigeants du Racing, raconte au Monde l’ancien troisième-ligne. Et quand on descendait en province avec le club, on était considérés comme des bourgeois, parce qu’on venait de la capitale et que, partant de là, il fallait bien nous affubler de quelques surnoms. Il faut dire aussi que nous étions gâtés, on dormait dans les meilleures hôtelleries. Mais nous, on se mêlait aux gens du coin, on n’essayait pas du tout de faire les titis parisiens ou bien les bégueules. »

Cela n’est rien à côté de la bande du « showbiz », le surnom des joyeux drilles qui vont bousculer la bienséance rugbystique à la fin des années 1980 : Jean-Baptiste Lafond, Franck Mesnel, Philippe Guillard, Eric Blanc, Yvon Rousset. Lors d’un match à Bayonne, en 1987, les voilà qui déboulent avec un béret sur la tête. Ailleurs, ils surgissent sur le terrain vêtus d’un costard ou les cheveux teints en blond. « Une goutte de folie dans la rigueur, de la fantaisie, c’est le moyen pour être sûr de s’amuser », chantent les garnements sur les plateaux télé, dans le morceau Quand on marque un essai. Cette ­année-là, les boute-en-train du « showbiz » se font beaux pour affronter Toulon en finale du championnat. Autour de leur cou, un joli n’ud papillon rose. Insuffisant, cependant, pour la victoire.

Trois ans plus tard, les revoilà de sortie au Parc des Princes. A Paris, les Ciel et Blanc profitent des présentations protocolaires pour remettre un de leurs « n’uds pap’» au président de la République, François Mitterrand. Et à la mi-temps, champagne ! Sous les regards amusés, les Racingmen s’offrent une coupette. Les bulles leur portent bonheur : victorieux d’Agen après prolongation, le Racing remporte là son cinquième et ­dernier titre en date en championnat de France. Cinq Boucliers de Brennus, auxquels s’ajoute une Coupe de l’Espérance (1918), du temps où ce succédané de compétition mobilisait de jeunes joueurs en l’absence de leurs aînés, partis combattre dans les tranchées.

Patrick Serrière, capitaine et deuxième-ligne en 1990, a observé de près les excentricités de ses coéquipiers. « Le Racing avait une génération dorée, mais il avait deux équipes en une. Il y avait ces trois-quarts, toujours à la recherche de l’anecdote qui ferait parler d’eux plus tard ; et puis il y avait les gros’, qui devaient assumer cette audace face aux adversaires. Certains aimaient bien le fait que ça donne un coup de neuf au rugby, que ça change, mais d’autres estimaient qu’il s’agissait d’un irrespect envers le jeu’ »

Le Racing d’aujourd’hui a remisé les excentricités au placard. Fini les pitreries des gamins du « showbiz », place à la froideur aseptisée du « rugby business ». « En province, j’ai l’impression que le Racing de 1990 provoquait un degré de sympathie ou de haine plus important que celui d’aujourd’hui », estime l’ex-pilier Laurent Bénézech.

Un homme incarne l’entrée de plain-pied dans l’ère professionnelle : Jacky Lorenzetti, ancien patron du groupe immobilier Foncia, reprend le club en 2006. « Il connaissait très bien le monde des affaires, mais pas grand-chose au monde du rugby. Pourtant, il venait tous les jours nous voir, à la rambarde », se souvient l’ancien trois-quarts Thomas Lombard. L’équipe se morfond alors en deuxième division et doit sa survie à une fusion avec l’équipe fanion de l’US Métro, émanation sportive de la RATP.

Les investissements du président font leur petit effet. En 2012, inauguration d’un centre d’entraînement futuriste, au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine). Et, en septembre 2017, livraison attendue de l’Arena 92 : un stade de 32 000 places capable de passer à 40 000 pour accueillir des concerts. Reste cependant à remplir le lieu. La saison passée, à ­Colombes (Hauts-de-Seine), seulement 8 000 spec­tateurs convergeaient en moyenne vers le terrain de jeu traditionnel des Racingmen : le stade Yves-du-Manoir, dont le nom rend hommage à un joueur du club mort à l’âge de 23 ans, en 1928, aux commandes de son avion.

Loin de regretter ce prochain déracinement, Lorenzetti défend son Arena : « Nous jouerons dans une salle de spectacle confortable, à l’abri du vent et des intempéries, déclarait-il mercredi 11 mai dans Midi olympique. (‘) Je vous rappelle enfin que 200 000 CSP+’ travaillent à la Défense, à 300 m du stade. » Autre avantage que le président entend monétiser ‘ La présence du compatriote de Chris Masoe, le demi d’ouverture néo-zélandais Dan Carter, dont le salaire annuel approche 1,1 million d’euros : une somme inouïe depuis la première édition du championnat de France. Historique, là encore.

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