Refusée au lycée pour une jupe  trop longue  , y a-t-il eu discrimination

Refusée au lycée pour une jupe  trop longue  , y a-t-il eu discrimination

Le Monde
| 12.05.2016 à 12h41
Mis à jour le
12.05.2016 à 12h42
|

Par Mattea Battaglia

Une jeune fille convertie à l’islam, exclue de son lycée en raison d’une jupe trop longue perçue comme un signe religieux… L’histoire, médiatisée le 3 mai par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), a vite été montée en épingle sur les réseaux sociaux. Dix jours plus tard, deux versions contradictoires s’opposent.

D’un côté, la mère de la lycéenne K., 16 ans, en 1re STMG assure avoir porté plainte pour discrimination, mardi 10 mai, contre le lycée de Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne) où sa fille est scolarisée « parce qu’elle y a été discriminée pour s’être convertie à l’islam ». De l’autre, la chef d’établissement, dont les propos sont relayés par le rectorat de Créteil la proviseure n’a pas répondu à nos demandes , dément toute exclusion de l’adolescente. Elle reconnaît lui avoir interdit l’accès du lycée, mardi 3 mai, « en raison de son attitude d’opposition et de fermeture au dialogue, et non de son vêtement ».

Au c’ur des tensions, une robe trop longue ‘

Le CCIF avait déjà donné l’alerte, il y a tout juste un an, quand Sarah, une élève en classe de 3e à Charleville-Mézières (Ardennes), avait été renvoyée de son collège au motif que sa jupe était perçue comme un « signe ostentatoire d’appartenance religieuse ». La principale du collège l’avait, à l’époque, écrit noir sur blanc dans un courrier adressé aux parents de la jeune fille musulmane. Le rappel à l’ordre était venu de la ministre de l’éducation. « Aucun élève ne peut être exclu en raison de la longueur ou de la couleur de sa jupe », avait martelé Najat Vallaud-Belkacem aux premiers jours de mai 2015.

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Après Sarah, au tour de K. ‘ Pour la mère de l’adolescente, il ne fait pas de doute que c’est bien en raison de sa robe sombre que la sa fille s’est attirée les foudres de sa proviseure. Marie-Christine De Sousa a ressenti chez la chef d’établissement rencontrée le 3 mai un « préjugé personnel », qui l’a poussée à en appeler à la loi « au nom même de la laïcité ». Assistante médico-sociale, se revendiquant catholique, la mère de famille dresse un portrait discret de sa fille, qui s’est convertie à l’islam il y a un an. « J’ai été la première surprise par sa conversion, raconte-t-elle. C’était juste après les attentats de janvier 2015. J’ai enquêté pour m’assurer qu’elle n’était pas sous une mauvaise influence. Mais ma fille a une pratique saine et respectueuse de la religion. Elle fait beaucoup de sport, de la boxe français deux fois par semaine ; elle ne s’isole pas, sort avec ses amis, enlève le voile avant d’arriver au lycée’ Je l’ai accepté. Pourquoi pas l’éducation nationale ‘ »

Un problème de comportement ‘

L’institution balaie, elle, tout lien avec la loi sur les signes religieux de 2004 pour défendre « une logique de vigilance et de responsabilité ». « Lors de la conversion de l’élève, la famille avait elle même fait un signalement en préfecture, fait-on valoir dans l’entourage de la rectrice de Créteil. Pourquoi reprocher aujourd’hui à un établissement de s’intéresser à une élève quand son attitude semble mériter quelques éclaircissements ‘ C’est pourtant ce que demande le gouvernement à la communauté éducative : repérer la convergence, le faisceau d’indices dits inquiétants. »

Dans le cas de K., si les enseignants ont fait état d’un changement de tenue soudain, il n’y a ni suspicion d’embrigadement ni signe de radicalisation : c’est le comportement de la lycéenne « peu coopérative, peu encline au dialogue » qui a poussé le lycée à réagir de manière ferme mais « légitime et justifiée », défend-on au rectorat.

« Lundi 2 mai, il a été demandé à l’élève de porter une tenue plus neutre. Le mardi 3 au matin, elle était vêtue de la même manière. Les échanges qu’elle a pu avoir avec le conseiller principal d’éducation et la proviseure n’ont pas été faciles. La veille, la jeune fille avait quitté brutalement le bureau de la direction. C’est cette attitude qui explique qu’on lui ait refusé l’accès au lycée. » Un refus temporaire : K. était de retour en cours le mercredi 4 mai, « sans doute avec une tenue plus sobre », précise-t-on au rectorat.

Que révèlent ces tensions ‘

Contacté, le lycée de Seine-et-Marne n’a pas répondu à notre demande. « Dans ce type de situation, les enseignants sont souvent mal à l’aise », relève Clément Dirson, secrétaire académique du SNES-FSU, syndicat majoritaire parmi les enseignants du secondaire. « Ces jupes sont-elles un vêtement comme un autre, un signe culturel, un signe religieux ‘ La différence n’est jamais très nette. On peut être confronté à de l »agit-prop’ idéologique comme à de la bêtise institutionnelle’ » Le syndicaliste se défend, pourtant, d’une vision alarmiste : « Ces interrogations, récurrentes depuis la loi de 2004, ont au moins l’intérêt de pousser au dialogue entre les familles et l’éducation nationale. Or leurs objectifs sont communs : une scolarité sereine. »

Du côté du CCIF, l’analyse est moins optimiste : le collectif assure avoir enregistré, en 2015, 177 cas de discrimination de ce type en milieu scolaire et une centaine en 2014. « La ligne des pouvoirs publics n’est pas suffisamment claire, regrette pour sa part Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN-UNSA, principal syndicat de chefs d’établissement. Ils tiennent d’un côté des propos martiaux sur la laïcité, mais, dans la pratique, préféreraient ne pas en entendre parler. Au final, c’est au chef d’établissement de se substituer à l’Etat pour décider si la difficulté qui se pose à lui relève, ou pas, de la loi de 2004. Cela aboutit à des politiques locales très variées qui ne peuvent qu’accroître le malaise. »

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