Purple Rain en 1984 , guitares salaces et rythmes incandescents

 Purple Rain  en 1984 ,  guitares salaces et rythmes incandescents

Le Monde
| 18.08.1984 à 00h00
Mis à jour le
21.04.2016 à 21h03
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ALAIN WAIS.

Il faut le voir, Prince, sur la pochette de son disque, chevauchant une moto rutilante, tous phares allumés et chromes astiqués, redingote satinée magenta, gants en dentelle et chemise à jabot blancs, la moustache clairsemée façon petite frappe, le regard équivoque mais sans quiproquo possible : à ce stade la ringardise atteint au sublime.

Prince, c’est tout le mauvais goût et le clinquant sublimés des Noirs américains : les couleurs agressives, la frime aveuglante, les bagouses scintillantes, un mélange de psychédélisme et de rococo à quatre sous. Mais ici, le tout est tellement exagéré, tellement étudié, que ça finit par avoir de la classe. La classe black en flash-back.

Prince est l’antithèse de Michael Jackson et le seul capable aujourd’hui de lui faire la nique. Un génie du funk, sauvage et farouche, canaille et provocateur en diable. Quand le gentil Michael, angelot rêveur et bienséant, chante des romances aseptisées, des bluettes adolescentes et des effleurements à peine évoqués sur le bout des lèvres, le vilain Prince, traducteur impudique d’un univers interlope, se régale de turpitudes et de bacchanales racontées dans le détail. Sales amours, peut-être, mais amour-propre.

Pas question pour Prince de se faire, comme l’autre, refaire le nez ou blanchir la peau. Il est la personnification du manifeste de James Brown :  » Je suis noir et j’en suis fier.  » Il le dit fort et sans mâcher ses mots, sans s’embarrasser des conventions. Chez lui, Noir se prononce négro, homosexuel s’épelle tapette et si d’aventure on veut s’y frotter, autant  » garer ses miches « .

Son groupe s’appelle Revolution. La révolution est aussi et surtout musicale. Prince est aux années 80 ce que Jimi Hendrix était aux années 60 : un cas d’espèce, un visionnaire solitaire et franc-tireur, briseur de tabous, détrousseur de patrimoine, chahutant les règles et les tendances à une époque où le marché phonographique répond sans sourciller aux exigences du marketing. À la lisière du funk et du rock, hybride perverti, l’inspiration est éclatée, les mises en forme délirantes.

Sans jamais se départir de la fonction dansante de la musique funky et en collant à la nature subversive du rock, Prince en réinvente les vocabulaires, redéfinit en même temps l’utilisation de l’électronique avec sa manière flambeuse et risque-tout. Guitares salaces et tonitruantes, basse lascive et rythmes incandescents, arrangements luxurieux et audacieux, voix sensuelle et ambiguë, on l’a compris, sexe et énergie sont les passe-droits remuants d’une musique inédite et consommable dans l’instant.

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