Présidentielle au Pérou , l’atypique PPK contre l’héritière Fujimori

Présidentielle au Pérou , l'atypique PPK contre l'héritière Fujimori

Le Monde
| 01.06.2016 à 12h29
Mis à jour le
06.06.2016 à 17h17
|

Par Paulo A. Paranagua (Lima, envoyé spécial)

L’ancien banquier de Wall Street Pedro Pablo Kuczynski, 77 ans, dit « PPK », candidat de centre droit arrivé en tête du second tour de la présidentielle dimanche 5 juin au Pérou, devançant Keiko Fujimori, fille de l’autocrate Alberto Fujimori (1990-2000), est vu par une bonne partie de l’électorat comme un rempart contre un retour de l’autoritarisme.

« Kuczynski n’a pas été qualifié pour le second tour à cause de ses mérites, mais par défaut », considère David Sulmont, le directeur de l’Institut d’opinion publique de l’Université catholique pontificale du Pérou, à Lima. A la télévision, le candidat manque de punch, s’exprime avec lenteur et peine à susciter le moindre enthousiasme. « Il manque de style et n’a pas de véritable équipe de campagne », estime M. Sulmont.

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Un père haut en couleur

Star du journalisme péruvien, Gustavo Gorriti a regretté, dans une chronique, que « PPK » n’ait pas hérité des qualités de son père. Maxime Kuczynski (1890-1967) était un personnage haut en couleur, qui avait trouvé refuge au Pérou pour échapper aux persécutions antisémites en Allemagne. Spécialiste en médecine tropicale, il travaillait dans la léproserie amazonienne visitée par le jeune Ernesto Che Guevara lors de son périple à motocyclette, porté à l’écran dans Carnets de voyage, de Walter Salles, en 2004. La médecine sociale avait valu au « docteur Max » un séjour en prison après le coup d’Etat, en 1948, de Manuel Odria.

Un austère qui joue de la flûte

Cousin germain du cinéaste Jean-Luc Godard, le jeune Pedro Pablo a étudié la flûte au conservatoire. Il lui arrive d’en jouer lors de meetings de campagne, comme s’il tentait d’humaniser son image publique plutôt austère d’ancien ministre de l’énergie et de l’économie et ex-premier ministre (2005-2006). L’homme est très secret et ne se répand pas en confidences. Malgré son cosmopolitisme, ses conseillers préfèrent ignorer la presse étrangère.

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Gilbert Violeta est l’un des dix-huit parlementaires élus sur la liste PPK (Péruviens pour le changement), contre soixante-treize « fujimoristes », lors des législatives qui ont accompagné la présidentielle. Il avoue une « relation quasi filiale » avec le candidat, qui l’a approché il y a huit ans, à l’université publique San Marcos. « Pedro Pablo a un charisme différent, qui repose sur l’intelligence et la capacité à expliquer des questions complexes de manière pédagogique, raconte le jeune élu. J’ai d’emblée été frappé par sa profonde sensibilité sociale. »

Image de « gringo »

Ce n’est guère la réputation de « PPK », perçu par l’opinion comme un représentant de l’élite blanche de Lima. L’historien Nelson Manrique compte voter pour lui dimanche, mais le considère comme « un lobbyiste des entreprises et des banques américaines pour lesquelles il a travaillé lorsqu’il a fui le régime militaire du général Velasco Alvarado ». L’image de gringo colle à la peau de « PPK », d’autant qu’il a trouvé ses deux épouses aux Etats-Unis et possède la double nationalité. Il a passé une semaine en Amérique du Nord après le premier tour de scrutin, ce qui lui a été vertement reproché par les commentateurs.

Soutien au secteur privé

Auteur de son programme économique, Alfredo Thorne évoque volontiers « la jovialité, l’humour acide et la répugnance pour les conflits » de son ami et jure qu’il n’a plus aucun lien avec de grandes entreprises. Cela dit, la principale différence entre Keiko Fujimori et « PPK » serait, selon M. Thorne, analyste financier, son soutien au secteur privé : « Ni davantage d’Etat, comme le propose Keiko’, ni privatisations, mais une gestion plus efficace des services publics ». « Le Pérou a besoin d’une révolution sociale permettant à tous d’avoir accès à l’eau, à l’électricité, au gaz », a déclaré M. Kuczynski lors du second débat télévisé, dimanche 29 mai.

Ancien ministre de l’énergie dans les années 1980 puis de l’économie sous la présidence d’Alejandro Toledo (2001-2006), il veut baisser les impôts pour relancer l’économie et combiner investissements publics et privés afin de créer trois millions d’emplois.

Agenda « libertaire »

Le parlementaire Carlos Bruce, premier élu péruvien à assumer publiquement son homosexualité, a été réélu sur la liste PPK. Selon lui, le rejet de Fujimori n’expliquerait pas à lui seul la préférence des jeunes. « Pedro Pablo est libertaire à la fois sur l’économie et sur les sujets de société, argumente ce quinquagénaire. Il a soutenu ma proposition d’union civile des couples de même sexe, tout comme les droits de l’homme, l’inclusion des communautés indigènes et afro-péruviennes, des handicapés et des LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres]. En revanche, Keiko’ est conservatrice, voire homophobe, et considère les défenseurs des droits de l’homme comme des ennemis, responsables de l’emprisonnement de son père. »

Le rapport de forces au Congrès péruvien

L’élection présidentielle à deux tours a été accompagnée d’une législative à un seul tour de scrutin, le 10 avril. Le parti de Keiko Fujimori, Force populaire (populiste de droite), a obtenu une majorité absolue au Congrès, avec 73 élus (sur 130). Le Front élargi (gauche) est devenu le deuxième groupe, avec 20 parlementaires, même si la candidate à la présidentielle Veronika ­Mendoza a raté le passage au ­second tour. Peruanos por el Kambio (Péruviens pour le changement, PPK, centre droit), la formation de Pedro Pablo ­Kuczynski, est en troisième position, avec 18 élus. Trois groupes centristes se partagent les autres sièges.

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