Pourquoi la carte sur les pénuries de carburant ne dit pas tout

Pourquoi la carte sur les pénuries de carburant ne dit pas tout

Le Monde
| 24.05.2016 à 15h58
Mis à jour le
24.05.2016 à 17h22
|

Par Samuel Laurent

Vous l’avez très probablement vue ces derniers jours : une carte de France qui se remplit peu à peu de points orange, représentant les stations d’essence en pénurie de carburant à cause du blocage des raffineries qui se poursuit depuis plusieurs jours.

C’est le site Internet Mon-essence.fr qui fournit cette carte, construite à partir des données de son application pour téléphones mobiles, Essence. Elle est très reprise dans la presse, y compris par Le Monde.fr, car elle est la seule à montrer la pénurie « en temps réel ». Et l’évolution est spectaculaire en quelques jours, comme le relevait un journaliste du Journal du dimanche sur Twitter :

1. Une méthodologie à connaître

Mais peu de sites détaillent la méthodologie de construction de cette carte et de l’application, qui soulève quelques questions :

‘ Des données fournies par 2 % des automobilistes sur 30 % des stations. L’application Essence, développée par des entrepreneurs nantais, est destinée à choisir son carburant en fonction du prix des stations alentour. Elle fonctionne grâce à sa communauté d’utilisateurs qui renseignent eux-mêmes les prix lorsqu’ils se rendent à une station-service. L’application a donc demandé à ces derniers de noter les pénuries et se sert de leurs entrées pour bâtir sa carte.

Ce qui pose une première limite : pour être répertoriée, une station doit avoir été renseignée par un usager. Or, ils ne sont que 500 000 par mois, selon les développeurs de l’application, soit 1,5 % des automobilistes. Par ailleurs, selon l’Union française des industries pétrolières, la France comptait 11 269 stations-service en 2015. L’application n’en recense tout au plus que 30 % qui souffrent de pénurie d’un ou plusieurs carburants, mais ne mentionne pas les 70% de stations qui – en déduit-on – ont toujours essence et gazole à vendre.

– Des carburants pas tous manquants : second problème, l’application ajoute un point orange à chaque fois qu’une station présente une pénurie d’un carburant, quelle qu’il soit. Une station qui distribue de l’essence, mais n’a plus de diesel, sera notée « en pénurie » au même titre qu’une station qui n’a plus rien à proposer.

Pour y voir plus clair, nous avons extrait les données de l’application afin de faire quelques comptages. Ceux-ci ont été réalisés à partir de la carte telle qu’elle se présentait mardi 24 mai en fin de matinée et sont susceptibles d’avoir changé depuis.

2. Seule une station sur dix n’a plus aucun carburant

D’après notre comptage, sur 3 321 stations présentes sur la carte, seulement 380, donc 11,5 % sont en pénurie totale, c’est-à-dire qu’elles n’ont plus aucun carburant à proposer.

Les autres ont encore au moins un type de carburant, le plus souvent de l’essence sans plomb 98, SP95, E10 ou E85. Précisément, plus de 1 200 n’ont qu’un seul carburant manquant (généralement le diesel).

3. 40 % de la pénurie concerne le gazole

En France, plus de 60 % des véhicules particuliers et 95 % des utilitaires ont une motorisation diesel.

Et c’est de loin le gazole qui connaît la pénurie la plus importante. Sur 3 321 stations, en effet, 1 335, soit 40 %, manquent uniquement de gasoil ou de diesel plus.

Le second cas le plus fréquent est le manque conjoint de gazole et de sans-plomb 98, mais il se rencontre bien moins souvent : seulement 391 fois le 24 mai au matin.

La carte est donc pertinente dans une certaine mesure et avec certaines limites. Ainsi, si vous avez un véhicule essence, vous avez de bien meilleures chances de trouver du carburant que si vous roulez au diesel.

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