Pour les producteurs de lait la déception va au-delà des questions de prix avec Lactalis

Pour les producteurs de lait la déception va au-delà des questions de prix avec Lactalis

Le Monde
| 03.09.2016 à 11h00
Mis à jour le
05.09.2016 à 19h36
|

Par Jérémie Lamothe

Il est 13 heures, mardi 30 août, à Cigné (Mayenne), dans l’exploitation de Lucie et Mickael Leroy. La nouvelle tombe à la télévision : les organisations de producteurs (OP) et le groupe laitier Lactalis ont trouvé un accord, à Laval (Mayenne), sur le prix du lait pour les cinq derniers mois de l’année. L’annonce est accueillie sans effusion de joie chez les Leroy.

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La tonne de lait sera payée 280 euros en août et augmentera de cinq euros tous les mois pour atteindre 300 euros en décembre. La moyenne annuelle sera alors de 275 euros. Pour les Leroy, c’est bien loin de leur prix de revient qu’ils estiment à 340 euros sur l’année. « Ça permet au moins d’inverser la tendance. Sinon, ça allait vraiment être compliqué pour nous », prévient Mickael Leroy.

 

A quelques kilomètres de là, à Ambrières-les-Vallées, le fatalisme est également de mise chez Isabelle et Michel Gougeon. Leur prix de revient s’établit à 337 euros cette année. « On est parti de trop bas sur le premier semestre. Sans les négociations des OP réunies, Lactalis n’aurait jamais accepté de payer 290 euros sur les cinq derniers mois », estime Michel Gougeon.

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Mais, pour ces producteurs, la déception va au-delà des questions de prix. Elle est aussi affective, vis-à-vis de Lactalis, société « historique » dans la région, créée en 1933 à Laval par André Besnier et aujourd’hui dirigée par son petit-fils, Emmanuel. Etre producteur pour Lactalis a longtemps été perçu comme une reconnaissance. Michel Gougeon est amer : « Quand on s’est installé, on était vraiment fier de livrer notre lait à Lactalis’ »

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En tant que président de l’Organisation des producteurs Lactalis du Grand Ouest (OPLGO), Jean-Michel Yvard a participé aux dernières négociations avec le géant laitier, qui travaille avec 20 % des producteurs laitiers en France.

La fin des quotas, un tournant

Pour lui, le changement d’attitude est intervenu en 2009, quand le prix de la tonne de lait était à 215 euros. « Cette année-là a vraiment marqué les producteurs, se souvient l’éleveur de Villaines-la-Juhel (Mayenne). Avec la mondialisation, Lactalis a changé son discours, il aurait fallu que les producteurs adaptent leur produit au marché mondial, ou alors accepter de vendre un produit high-tech au prix low cost. » Mais pour le porte-parole de Lactalis Michel Nalet : « Des discussions engagées sur le prix, ce n’est pas nouveau, il ne faut pas l’oublier. Mais il n’y a jamais eu aucun mépris de notre part. »

La fin des quotas, intervenue en avril 2015, a marqué un autre tournant. Pour s’y préparer, la France, par la loi de modernisation agricole de 2010, a favorisé la contractualisation entre les transformateurs et les producteurs. Ces derniers négocient directement leur contrat qui prévoit le volume de lait à produire pendant cinq ans. Une mesure unique en Europe. Les premiers ont été signés fin 2011, leur renouvellement est prévu à l’automne 2016.

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Alors pour équilibrer le rapport de force dans ces pourparlers, l’Etat a autorisé en 2012 les agriculteurs à se réunir en OP. On en dénombre aujourd’hui plus de 50 agréées. Pour M. Nalet, « on ne négocie maintenant qu’avec les OP, pas avec les syndicats. Même si parfois ils sont liés. Au début c’était compliqué de s’organiser mais maintenant elles sont plus structurées. »

« On en a tous la trouille »

Pour M. Gougeon, membre du conseil d’administration de OPLGO, « être désormais reconnu comme interlocuteur, c’est bien. Maintenant il faut qu’ils nous écoutent ». Il a souvent participé aux négociations avec Lactalis, et est régulièrement reparti bredouille :

« Ils arrivaient avec leur prix, nous le nôtre, et on repartait souvent avec le leur. Quand ça durait des heures, on arrivait à un certain moment de la journée, on avait notre boulot à faire dans les exploitations. Alors, qu’eux, négocier c’est leur métier. »

Producteur dans l’Eure pour Lactalis, Laurent Duclos acquiesce : « Ils sont toujours dans le rapport de force, on doit se soumettre à eux. On essaye de résister, mais on ne peut récupérer que des miettes. » Pour Anne-Laurence Fleury, éleveuse dans l’Orne, et membre de l’OP Normandie-Centre (OPNC), « On en a tous la trouille. Dans les négociations, Lactalis arrive à nous avoir à l’épuisement. Ils cherchent à pourrir la situation et à nous diviser entre nous. »

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Alors les OP souhaitent se professionnaliser afin de mieux négocier. Pour M. Yvard, c’est la seule issue possible : « On reste une petite structure. Il faudrait s’entourer de compétences extérieures connaissant à l’instant T’ l’évolution du marché, la situation de la demande et de l’offre. On mettrait alors en place une vraie stratégie de négociation en phase avec la réalité économique de la filière. »

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