Paul Pogba ,  Je veux me tuer pour l’équipe 

Paul Pogba ,  Je veux me tuer pour l'équipe 

Le Monde
| 08.06.2016 à 17h13
Mis à jour le
10.06.2016 à 15h19
|

Propos recueillis par Rémi Dupré (Vinovo, envoyé spécial)

Avant le coup d’envoi de la compétition, le milieu de terrain aux jambes interminables a reçu longuement Le Monde à ­Vinovo (Italie), au centre d’entraînement de la Juventus Turin, club avec lequel il brille depuis 2012. Au début de l’entretien, ­Patrice Evra, alias « Tonton Pat » (35 ans, 72 sélections), déboule dans la pièce pour échanger quelques blagues avec son jeune coéquipier : « Je viens gâcher l’interview de Paul ; je parle fort et je m’assois ici. Je fais tout ce que je veux. » Mais Paul Pogba a envie de parler’

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A quoi penserez-vous, vendredi 10 juin, vers 20 h 50, en entrant sur la pelouse du Stade de France ‘

Il n’y aura pas de pensées particulières. Ce sera un beau moment. Il faut en profiter. Une carrière, ça passe très vite. Il faut prendre du plaisir quand tu arrives sur le terrain. Tu joues un match de foot, tu veux gagner, tu es en France, c’est beau. Je suis un privilégié. Avec mes coéquipiers, on a de la chance. Jouer l’Euro, en France, avec l’équipe de France, ce sont de bons moments.

Vous n’aurez pas de pensée pour vos premiers entraîneurs du club de Roissy-en-Brie, en Seine-et-Marne, ou de votre quartier d’enfance, ­La Renardière ‘

Mes entraîneurs seront contents et verront qu’un joueur de Roissy fait l’Euro en France. Ma famille sera près de moi pendant la compétition. Mes proches seront là. J’espère en tout cas leur faire plaisir et qu’ils soient contents à la fin.

Repenserez-vous à la 79e minute du match contre le Nigeria, le 30 juin 2014, à Brasilia, en huitièmes de finale de Coupe du monde ‘

C’est un très beau souvenir. C’est mon premier but en Coupe du monde. Cela va rester dans ma mémoire. C’était une période où il y avait beaucoup de critiques. Il fallait être fort mentalement. C’était un match très important.

Quel est l’objectif des Bleus à l’Euro ‘

A votre avis ‘ A chaque fois qu’on a disputé une compétition à la maison [Euro 1984 et Mondial 1998], on a gagné, n’est-ce pas ‘ Si le processus se poursuit, et qu’on est sur cette lancée, notre objectif est de remporter le titre. On ne va pas aller à l’Euro pour être seulement en demi-finales. C’est pour le remporter.

Vous donnez donc rendez-vous ­au public français le 10 juillet pour la finale ‘

Je donne rendez-vous au public français le 10 juillet. Même plus que ça : j’ai envie de le faire sauter de joie, de soulever la coupe.

Vous vous mettez la pression ‘

Il n’y a pas de pression particulière. Lors du dernier Euro [en 2012], les Bleus n’ont pas gagné [élimination en quarts de finale par l’Espagne]. Je n’ai pas de boule au ventre. Je suis plutôt confiant et déterminé.

Dans quelle mesure une victoire des Bleus ferait-elle du bien au pays ‘

En 1998, tout le monde était plus’ [il cherche ses mots] Je ne sais pas si cela a quelque chose à voir avec l’économie, mais les gens étaient beaucoup mieux en 1998 quand la France a remporté la Coupe du monde. Une victoire des Bleus, c’est sûr, redonnerait le sourire. Je pense que ça peut avoir beaucoup d’effet sur le pays. J’avais 5 ans en 1998. Je me le rappelle. On était sortis de chez nous, on sautait partout, on criait, on était contents.

Depuis les attaques du 13 novembre 2015, craignez-vous une ­menace terroriste pendant l’Euro ‘

En sélection, on n’en a pas parlé entre nous. Après, si tu penses comme ça, on va y penser tous les jours. Je crois que l’événement sera encore beaucoup plus sécurisé. Tout à l’heure, je peux aller au centre commercial, et on ne sait jamais ce qu’il peut se passer.

Ce n’est pas parce qu’il s’est passé ce qu’il s’est passé que ça va se passer pendant l’Euro. Ils vont faire attention, tout sera plus sécurisé. On a joué en équipe de France [au Stade de France, le 29 mars contre la Russie] depuis. Espérons que tout se passe bien. Mais il ne faut pas y penser.

Qu’avez-vous éprouvé, quatre jours après les attentats, à Wembley, lorsque « La Marseillaise » a été chantée par le public londonien lors du match contre l’Angleterre ‘

Le 17 novembre 2015, cela nous a touchés que les Anglais soient avec nous par rapport à ce qui s’était passé. C’était un ­moment tragique. Aujourd’hui, partout dans le monde, ce sont des choses tristes qui se passent, malheureusement. Mais c’est beau quand on est soudés.

Quel regard portez-vous sur le public français, considéré comme versatile ‘

Il n’y a pas que le public français, ça ­concerne un peu tout le monde. Tu espères que ton équipe va gagner. On essaye de gagner pour nous et pour les supporteurs. Ce qui est important, c’est de faire le maximum pour ne pas les décevoir. On a toujours besoin d’eux, quand ça va bien et quand ça va mal. On a besoin de ressentir qu’on est aimés par les supporteurs.

Comme lors de la victoire (3-0) face à l’Ukraine, en novembre 2013, ­synonyme de qualification pour le Mondial au Brésil ‘

Lors de France-Ukraine, il y avait une ambiance incroyable. Elle a changé, en beaucoup mieux, par rapport à mes premières sélections. Une ambiance comme pour France-Ukraine, c’est sûr que ça nous boosterait.

Après deux ans de matchs amicaux, vous devez avoir des fourmis dans les jambes ‘

Tous nos matchs étaient des tests, des rencontres de préparation. On ne les appréhendait pas comme des matchs amicaux. C’était pour grandir, pour progresser. On ne prenait pas ça à la rigolade. La compétition, bien sûr, on l’attend avec impatience, sans pression.

Etes-vous revanchards après votre ­élimination par l’Allemagne en quarts de finale du Mondial 2014 ‘

On n’est pas revanchards. On a perdu contre l’Allemagne car il y avait une raison. Mais pour l’Euro, on est beaucoup plus forts. On a acquis une grosse expérience. Les Allemands avaient des joueurs qui disputaient la Ligue des champions et étaient déjà arrivés loin en Coupe du monde. C’était une équipe très expérimentée en comparaison de la ­nôtre. Mais là, on se rapproche beaucoup plus d’eux. On a grandi.

Comment voyez-vous votre rôle dans l’équipe ‘

Je ne qualifie pas mon rôle. Je me donne à fond, à 100 % pour l’équipe. Je veux me tuer pour l’équipe. Je ne veux rien lâcher et tout donner pour l’équipe.

Cet Euro est-il celui de la génération Pogba-Griezmann ‘

On ne pourra dire qu’à la fin si cet Euro est celui de la génération Pogba-Griezmann [attaquant et joueur de l’Atletico Madrid]. Je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup avant. On verra sur le terrain. On touche du bois. Antoine Griezmann est en pleine forme. N’Golo Kanté a ­gagné la Premier League [avec le club anglais de Leicester]. On a tout pour nous !

Le milieu de terrain, c’est là que ­réside la force des Bleus ‘

Non, c’est du gardien jusqu’à l’attaque. Après, le milieu de terrain est bien sûr important. C’est la source du jeu. Mais si devant on ne marque pas et que derrière on défend mal, ça ne sert à rien.

Votre sélectionneur, Didier Deschamps, est très exigeant avec vous’

Tant mieux. Si un coach est derrière moi, qu’il est toujours à me dire des choses, c’est qu’il veut mon bien. Je vais être à l’écoute pour progresser. S’il me prend dans son équipe, c’est déjà quelque chose. Alors s’il me dit quelque chose, je ne vais pas me plaindre. Il pense que je peux mieux faire. Donc je ne peux que bien prendre ses conseils.

Surtout que tactiquement, il connaît, il sait ce qu’il fait. Il a travaillé en Angleterre, à la Juve, en France. C’est une ­personne qui a beaucoup gagné. Il a remporté des titres. Il a une étoile mondiale. Cette étoile, il peut l’apporter à l’équipe. C’est le dernier à avoir soulevé le trophée de l’Euro. Et j’espère qu’il le soulèvera encore une fois en tant que sélectionneur.

Quel regard portez-vous sur « Tonton Pat » Evra, votre coéquipier à la Juve et en équipe de France ‘

C’est le plus ancien du groupe, celui qui a le plus d’expérience. Il connaît bien le coach. C’est un joueur qui aide beaucoup l’équipe, il sait nous parler, il nous fait passer des messages. Tu veux te battre pour des mecs comme ça.

Les absences de Karim Benzema et de Mamadou Sakho [auxquelles se sont ajoutés, après l’entretien, les forfaits de Raphaël Varane et de Lassana Diarra] fragilisent-elles les Bleus ‘

C’est sûr, on a toujours besoin de grands joueurs d’expérience dans l’équipe. Karim Benzema et Mamadou Sakho, cela fait longtemps qu’ils sont dans le groupe. Lassana Diarra était super-bien revenu. On est touchés qu’ils ne soient pas là. Parce que c’était un plus. Il faut faire sans. Il ne faut pas qu’on trouve d’excuses en fait. Ce sont deux armes qu’on a et qu’on ne peut pas utiliser.

A quoi ressemblera votre « quartier général » de Clairefontaine durant l’Euro ‘

A Clairefontaine, il faut qu’on se sente à la maison sans pour autant qu’on soit dans une bulle. On va rester entre nous. On s’entend très bien, on a un bon groupe. On va être à « Clairef’», à l’aise, tranquilles, sans pression. Il faut qu’on profite. Cela va peut-être être la première et la dernière fois.

Vous n’avez que 23 ans. Vous semblez parti pour revenir très souvent à ­Clairefontaine’

Espérons que je sois en équipe de France dans plus de dix ans, avec plein de titres. C’est ce que je me souhaite. C’est ça que je cherche.

Depuis trois saisons, vous ne cessez d’être encensé dans les médias. Ça doit être difficile de garder les pieds sur terre ‘

C’est vrai que c’est difficile de rester ­concentré à mon âge. Ce qui est bien chez moi, de par mon éducation, c’est que ma mère m’a toujours dit de rester humble, de dire « merci ». Je ne me prends pas pour quelqu’un d’autre, je respecte toujours les autres. Je ne suis au-dessus de personne, et ça me donne encore plus envie. Quand j’entends les gens dire des choses sympathiques sur moi, cela me donne envie de bosser, pas de me relâcher.

Lisez-vous ce qu’on écrit sur vous ‘

Pour être honnête, je ne lis pas beaucoup les journaux. Après, que ce soit en bien ou en mal, je veux savoir moi-même ce que j’ai fait de bien ou de mal. Je suis plus « terrain ». Le principal, c’est que sur le terrain, tu saches si tu as fait un bon ou un mauvais match. C’est ça qui va me faire grandir, de savoir si j’ai mal joué et pourquoi. Le football, c’est comme ça. Tu fais une mauvaise performance, tu penses au prochain match. Tu essayes de t’améliorer et de faire mieux la prochaine fois.

Vous avez affirmé vouloir devenir une légende du football. Vous parlez maintenant comme Zlatan’

Après avoir tenu ces propos, j’ai posé la question à « Tonton Pat » : « Quand tu dis ça, ça peut paraître arrogant ‘ » Il m’a répondu : « C’est arrogant, mais moi je te connais, et je sais que ça ne l’est pas quand toi tu le dis. »

Quand je dis que je veux être une légende, ce n’est pas « je vais être » une légende. C’est mon rêve. Je vais bosser pour devenir une légende. Ça, c’est mon rêve. C’est comme vous, les journalistes, vous voulez être les meilleurs journalistes. Si tu dis « je veux être le meilleur journaliste », tu vas tout faire pour l’être. Ce n’est pas arrogant.

Quand moi je le dis, c’est de l’ambition. J’ai envie d’être le meilleur, de marquer, de gagner des titres, d’être au maximum. Ce sont des objectifs, des challenges. J’ai envie d’être une légende depuis tout petit. J’ai toujours rêvé d’être footballeur. Quand je disais ça, petit, ce n’était pas arrogant.

C’est pour devenir une légende que vous travaillez avec un préparateur physique en marge de votre club ­pendant que vos coéquipiers sont en vacances ‘

On m’a toujours dit : « Il faut bosser car quand tu ne bosses pas, l’autre bosse. » C’est le travail qui paye. Le boulot, le ­travail, le travail, le travail. Je veux rester en condition physique pour un jour, j’espère, être l’un des meilleurs, voire le meilleur.

Cette année, c’est votre meilleure ­saison ‘

Oui, car j’ai battu mon record de buts [8 en Serie A, le championnat italien] et de passes décisives. Il y a donc eu un progrès. Mais on est encore loin’

Améliorer vos statistiques, c’est une autre obsession ‘

Chaque année, je veux m’améliorer. Si je n’augmente pas une statistique l’année prochaine, je serai déçu. Cela me donnera envie de travailler encore plus pour rattraper tout ça. Je me donne des petits challenges, c’est comme ça que je progresse. J’ai toujours voulu être plus fort.

Vous avez des modèles ‘

Je regarde tous les joueurs qui sont à mon poste. Que ce soit Stefano Sturaro [son partenaire en club] ou Andrea Pirlo [ex-milieu de la Juve], je vais tous les regarder. Car je peux toujours apprendre et voir ce que je peux faire de mieux. Je peux encore progresser dans tous les domaines. J’essaye d’être complet.

Vous venez de remporter votre ­quatrième titre de champion d’Italie consécutif depuis 2013. Comment ­expliquez-vous la domination ­écrasante de la Juventus en Serie A ‘

On a eu la chance de récupérer de grands joueurs, avec notamment l’arrivée de Pirlo [aujourd’hui joueur du New York City FC, dans la Major League Soccer (MLS) américaine] et la venue du Chilien Arturo Vidal [qui a ensuite rejoint le Bayern de Munich].

Ils ont apporté leur expérience, un plus. Les coachs ont aussi beaucoup contribué à ces résultats. Chaque année, ils ont renforcé l’équipe. Le groupe se renforce, on est soudés. Cela fait quatre, cinq ans qu’il y a les mêmes joueurs. Donc on se ­connaît vraiment bien. Cela a aidé la Juventus à être à ce niveau et à être constante.

Le jeu italien, très tactique, vous ­correspond-il plus que celui que vous avez pratiqué en Angleterre, à Manchester United ‘

Je m’adapte. Les Français, grâce aux centres de formation de leur pays, arrivent à s’adapter dans chaque pays. Que ce soit en Espagne, en Angleterre, en Italie. Nous, les Français, on a ce petit truc. Car en centre de formation, on fait un peu de tout : le technico-tactique.

Le 10 juin, j’imagine que vous aurez quand même une pensée pour vos frères, footballeurs comme vous ‘ [Florentin, 25 ans, évolue à Saint-Etienne.]

On est au téléphone tout le temps. On se donne des conseils. On est ­toujours francs entre nous. C’est ça qui fait que j’en suis là aujourd’hui. Mes frères m’ont toujours soutenu. Ils m’ont toujours dit la vérité. J’ai fait pareil. On est vraiment soudés. Comme on dit, c’est le sang.

Il n’y a jamais eu de concurrence ­entre vous ‘

Il n’y aura jamais de concurrence entre mes frères et moi. Quand j’étais petit, je voulais jouer avec eux. Je voulais être avec eux. J’ai toujours voulu être au même niveau qu’eux. J’ai toujours joué avec les grands. Ils m’ont toujours aidé. J’étais le petit frère. Ils m’ont fait progresser, et si je progresse encore aujourd’hui, c’est grâce à eux.

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