Ouverture du 69e Festival de Cannes

Ouverture du 69e Festival de Cannes

Le Monde
| 10.05.2016 à 16h19
Mis à jour le
11.05.2016 à 18h52
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Par Aureliano Tonet

Il n’y a pas que les tapis qui ­seront rouges cette année. Lors de la rituelle conférence de presse d’avant-Festival, le délégué général, Thierry Frémaux, annonçait la couleur : du 11 au 22 mai, du sang giclera sur les écrans. Pas seulement parce que les Carpates replantent leurs canines dans les chairs cannoises, avec trois longs-métrages roumains en Sélection officielle, dont certains aux crocs et aux échos, paraît-il, draculesques. En compétition, au moins deux films explicitement cannibales s’ajouteront à ces ripailles vampiriques : l’un ­situé dans le milieu du mannequinat (The Neon Demon), l’autre en pays ch’ti (Ma Loute).

On s’en pourlèche les babines, tout en s’inquiétant de ce que ce penchant dit de nos appétits, de nos désirs dévorants : l’homme est-il à ce point un loup pour l’homme ‘ Le cinéma s’est toujours nourri de l’état du monde, pour mieux le sustenter en retour. Dès lors, les troubles qui affligent nos intimités, nos sociétés, nos économies, ne peuvent qu’affecter le régime de production et de consommation des images ventre contre ventre.

« Seule l’anthropophagie nous unit »

En cette 69e édition, certains convives, comme Canal+, délaissent le festin cinéphile ; d’autres, comme Amazon, s’invitent au banquet. Il y aurait comme une voracité propre aux festivals de ­cinéma, ces immenses panses de toile qui digèrent, en une dizaine de jours, des projets qui ont mis des années à macérer. Les sections, de la Quinzaine des réalisateurs à la Sélection officielle, se dépècent les unes les autres, les médias se dépêchent d’ingurgiter les films tout en essayant de ne pas les avaler de travers, les ­curieux bâfrent les montées des marches : drôle d’orgie.

« Geleia Geral » (« Gelée générale »), chantait Gilberto Gil pour décrire l’espèce de compote de pop qu’il mijotait, à partir des années 1960, dans la marmite tropicaliste. On l’entend beaucoup, lui et ses camarades de jeu, sur la bande-son d’Aquarius, du Brésilien Kleber Mendonça Filho, en compétition. Parmi les ingrédients qui ont épicé leur mouvement, figure le Manifeste anthropophage (1928),d’Oswald de Andrade : « Seule l’anthropophagie nous unit », écrivait le poète dans ce texte fondateur du modernisme brésilien. A la suite de Montaigne et de son essai Des cannibales, les hiérarchies entre bon et mauvais goût, haute et basse culture, ­Europe et tiers-monde, y était ­mâchées, broyées, « dégluties ».

C’est à un cannibalisme esthétique qu’il faut donc se préparer : de toutes les tables, Cannes reste celle où le cinéma se goûte le mieux  au sens le plus goulu du mot.

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