On a retrouvé’ Réginald Becque amateur d’exploits

On a retrouvé' Réginald Becque amateur d'exploits

Le Monde
| 19.05.2016 à 17h11
Mis à jour le
21.05.2016 à 07h59
|

Par Adrien Pécout (Coudekerque-Branche, Nord)

On a retrouvé Réginald Becque, et il nous a pris à notre propre jeu. Le voilà qui nous attend aussi avec une photo-souvenir, la même que celle apportée par Le Monde pour lui faire prendre la pose. Son « petit moment de fierté ». Une photo « gravée dans l’histoire de la Coupe de France », cette compétition où deux mondes peuvent encore se côtoyer le temps d’une soirée.

Image de finale, image d’Epinal. 7 mai 2000 : Becque, l’arrière gauche et capitaine de Calais perd d’un rien en finale contre Nantes. Défaite 2-1 des footballeurs amateurs face aux professionnels. Le capitaine adverse, Mickaël Landreau, l’invite malgré tout avec lui en tribune d’honneur. « A la fin du match, je pleure sur le terrain. Puis il a cette idée extraordinaire, vient me voir, et me dit : Ecoute, vu votre parcours, ce serait bien que tu soulèves la coupe avec moi.’ » Et tant pis pour le protocole.

Calais-Nantes. Forcément plus original que le Paris-Marseille au programme de la finale 2016, samedi 21 mai, toujours sur la pelouse de Saint-Denis. Réginald Becque suivra le match « devant [sa] télévision ». Employé municipal, l’ancien capitaine du Calais Racing Union football club (Calais RUFC) travaille aujourd’hui au service des sports de Coudekerque-Branche (Nord), à quelques jets de pierre de Dunkerque.

Fidèle au sport amateur, fidèle à cette région qui a tant vibré aux exploits des « Petits Poucets » calaisiens. L’emprunt au conte de Perrault, courant lorsqu’il s’agit d’évoquer les performances d’un « petit club » en Coupe de France face à un ogre, étant pour une fois bien mérité. Lille en trente-deuxièmes de finale, Cannes en huitièmes, Strasbourg en quarts et surtout Bordeaux en demies ‘ Autant d’équipes professionnelles à avoir disjoncté face à ce « bug » sportif de l’an 2000, modeste équipe du championnat de France amateur, l’équivalent de la quatrième division nationale.

« Après le match, je me souviens que le président de Bordeaux [Jean-Louis Triaud] avait dû aller dans le vestiaire pour demander à ses joueurs d’échanger leurs maillots avec les nôtres, se souvient Réginald Becque, qui avait troqué le sien contre celui de l’attaquant Christophe Sanchez. Soit ils n’y avaient pas pensé, soit ils étaient trop déçus. Ou peut-être qu’ils n’avaient rien à faire du maillot de Calais, tout simplement’ »

Calais, 72 000 habitants, une mairie alors communiste, et une vingtaine d’irréductibles footballeurs. « La France a toujours aimé les petits qui battent les gros. » Souvenir de cette folle soirée au stade Bollaert de Lens, face aux Girondins de Bordeaux, synonyme de qualification pour la finale : « Quand on rentre à Calais, il est 3 heures du matin. Et là, on tombe sur une place de l’hôtel de ville noire de monde. Puis on remonte la rue Royale en bus pour aller manger au casino, mais le bus n’avançait pas tellement les rues étaient bondées. C’étaient nos Champs-Elysées. »

Un article dans le « Washington Post »

Autour des Sang et Or de Calais, un engouement d’abord « local, régional, puis national ». Voire au-delà, à en juger par un article du Washington Post, pourtant peu féru de soccer. « Le maire de Calais avait dit un jour que jamais la ville n’aurait pu se payer cette pub. Je ne sais pas si elle pourra se refaire une promotion pareille, mais je le lui souhaite. »

Exposition inespérée, il est vrai, pour cette ville qui préoccupait alors surtout par son taux de chômage et dont la présence médiatique se résume, aujourd’hui, à sa « jungle » de migrants. « Les journalistes ont été extrêmement surpris de l’accueil. Ils venaient faire la fête avec nous après les matchs, on discutait, on mangeait ensemble. Le club centralisait les demandes pour que chaque joueur ait droit à son interview, à son reportage. »

Dans l’équipe, aucun footballeur à temps complet, mais un réceptionniste de camping, un jardinier, un peintre en bâtiment, obligés de poser des jours de congé pour se préparer en vue de la finale. Ou encore, un responsable des commandes dans une entreprise d’aménagement de magasins, le poste de Réginald Becque. « On mettait le sac le matin dans la voiture, puis on s’entraînait le soir à 18 h 30, et on rentrait chez soi à 21 heures. Et les jours de match on partait le samedi à 5 heures, 6 heures, on jouait à 15 heures, et on rentrait dans la soirée. »

Le salaire du capitaine : 8 500 francs de la part de son entreprise (l’équivalent d’environ 1 621 euros), plus un « bonus » de 3 000 francs que verse le club pour les « défraiements kilométriques ». Même l’entraîneur, Ladislas Lozano, partage alors son temps entre le football et la mairie de Calais, où il coordonne la gestion des équipements sportifs.

« Une certaine qualité de football »

Tous amateurs, mais tous dépositaires d’« une certaine qualité de football », insiste le défenseur. Comme plusieurs de ses coéquipiers, Becque a rêvé d’une carrière pro dans sa jeunesse. Trois passages en centres de formation, trois désillusions : Valenciennes, Le Havre, Niort. « J’ai utilisé toutes les possibilités, je me suis donné tous les moyens pour devenir footballeur professionnel, j’ai même fait partie de l’équipe de France de jeunes. Je ne sortais pas trop, je faisais attention à mon alimentation. Bon, voilà, ça n’a pas marché. »

Réginald Becque a « entre 17 et 21 ans » lorsqu’il se prend à y croire, et sa famille avec. Son père, ouvrier dans la métallurgie, lui rend visite chaque mois. Le reste du temps, les conversations se passent à la cabine téléphonique. Et les études, elles, peuvent bien attendre. « Je les avais mises de côté. »

Trop, en tout cas, pour passer avec succès son baccalauréat scientifique. Les cours par correspondance du CNED, « pas adaptés » au rythme des entraînements, découragent vite le Nordiste. « Aujourd’hui, vous êtes dans un centre de formation, vous avez presque des profs particuliers. Mais, à mon époque, tu devais te débrouiller. Il fallait avoir une grande motivation. »

Le football et la Coupe de France auront malgré tout apporté un emploi à Réginald Becque. A 28 ans, le joueur s’engage avec la compagnie maritime locale. « En octobre 2000, j’entre chez SeaFrance parce que l’entreprise devient partenaire privilégié du club. » S’ensuivent des années de travail, d’abord comme « conseiller en voyage », puis comme chargé de la relation avec les clients. Fin de trajet en décembre 2010 : il démissionne deux ans avant la cessation d’activité de la firme.

Mais dès le mois suivant, Réginald Becque trouve un autre port d’attache. Grâce à la proverbiale « magie » de la Coupe de France, une nouvelle fois : « Le maire [divers gauche, puis MRC] de Coudekerque-Branche cherchait quelqu’un pour le service des sports. Et il est tombé sur moi parce qu’il avait lu dans une rétrospective de France Football que je travaillais à SeaFrance et que j’entraînais à côté l’équipe amateurs d’Audruicq. » Les terrains du Nord-Pas-de-Calais, encore et toujours.

Cet après-midi d’avril où nous le retrouvons, rendez-vous est donné au stade municipal Auguste-Delaune de Coudekerque-Branche, où il encadre un stage de football pendant les vacances scolaires. Un observatoire idéal du football amateur et de son évolution : « Aujourd’hui, une équipe de quatrième division normalement structurée, elle dort à l’hôtel la veille des matchs. Et, si elle a le soutien d’une grosse municipalité ou d’un partenaire privé, elle paie au minimum une dizaine de contrats fédéraux aux joueurs. Alors qu’à Calais, on en avait zéro. Maintenant, pour parler réellement de foot amateur, il faut plutôt aller dans les divisions encore en dessous. »

La promotion d’honneur, par exemple, au huitième échelon national. L’ancien Calaisien, père de trois enfants, tous basketteurs, y entraîne désormais l’équipe réserve de l’AS Marck, sur son temps libre. Mais impossible pour lui de participer à la Coupe de France, la vénérable épreuve, vieille de presque un siècle, étant réservée aux équipes premières. Il faudra donc encore patienter pour une nouvelle « épopée », mot qui a déjà servi, entre-temps, pour renommer le stade de Calais.

Parcours

1972 Réginald Becque naît le 13 septembre, à Denain (Nord).

2000 Il joue en finale de Coupe de France avec Calais.

2010 En décembre, il quitte la compagnie SeaFrance.

2016 Il travaille comme employé municipal de Coudekerque-Branche (Nord).

Sur son temps libre, il entraîne l’équipe réserve de l’AS Marck.

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