Michel Butor le souvenir poétique d’un écrivain voyageur

Michel Butor le souvenir poétique d'un écrivain voyageur

Il s’est assis tranquillement et a commandé une bière. Fasciné par la cuve de brasseur aménagée où nous avions pris place, comme un vaisseau spatial posé dans cette grande brasserie lilloise. Ça lui plaisait bien les vaisseaux, à Michel Butor. Une invitation au voyage. Un appel aux souvenirs.

Vers l’Égypte

« J’ai envie de vous raconter une histoire», démarra-t-il, l »il rieur, trempant ses lèvres dans la mousse d’une ambrée. On n’en attendait pas moins de lui. «C’était en 1950. J’étais jeune professeur, parfait inconnu, avec une sacrée envie de me promener. J’avais accepté pour un an un poste d’enseignant en Égypte. C’était la première fois que je quittais la France pour aussi longtemps. »

C’est ainsi que Michel Butor embarque à Marseille sur le André Lebon, paquebot assurant la liaison entre la France et « les Échelles du Levant», comme le rappelle notre homme avec poésie.

Le voyage s’effectue dans la promiscuité de la 4e classe. « Égyptiens ou Européens sans le sou, on voyageait dans la soute, dormant sur des lits superposés qui avaient été installés là durant la guerre, quand le bateau faisait transport de troupes. » Les repas sont pris en commun, et l’on s’autorise de temps à autre une sortie sur les ponts supérieurs, là où voyagent hommes d’affaires, archéologues et touristes fortunés. Au bout de quatre jours de mer, le jeune professeur débarque sur la terre des pharaons et grimpe dans un train direction Miniah, à 250 km au sud du Caire. Un poste d’enseignant l’y attend.

Dans les ruines de Karnak

« Après plusieurs mois passés à Miniah, je devais me rendre dans la préfecture de Louxor pour y faire passer des examens, une occasion pour moi de visiter les sites antiques.» C’est là, dans les ruines fantastiques de Karnak, qu’a lieu une étrange rencontre. « Le soir tombait, le paysage était extraordinaire. Et soudain j’entends Monsieur Butor, Monsieur Butor’. Je me retourne et découvre un grand fellah en djellaba. Il s’approche. Je le reconnais. Il était dans la soute du paquebot, avec moi. Il était le domestique de l’archéologue français qui dirigeait les fouilles de Louxor. » L’homme lui propose de venir chez lui. «J’ai un trésor à vous montrer». Le professeur le suit.

L’imagination du romancier sans doute a-t-elle travaillé à plein régime. Allait-il découvrir une antiquité fraîchement mise au jour Une pièce digne du musée du Caire ou du Louvre L’objet présenté dérouta le voyageur pour mieux le séduire. « J’avais devant moi un stéréoscope.Une boîte en bois avec deux oculaires et une molette qui faisait défiler des cartes postales. Et pas n’importe lesquelles : c’était des vues de Paris. Et je me retrouve ainsi à voir la place de la Concorde avec son obélisque, le frère jumeau de celui qui se trouvait à deux pas de nous. »

Le fellah avait ramené ce souvenir de Paris, où il avait accompagnés son maître archéologue.« Cela avait un côté surréaliste. J’étais comme dans un rêve. Charmé par ce personnage et son souvenir incroyable, un objet qu’il tenait véritablement pour un trésor. » Michel Butor quitte l’Égypte au bout d’un an, marqué à jamais.« Je n’y ai fait aucune photo. Je le regrette aujourd’hui. » À défaut de clichés, l’homme revient avec un recueil de poèmes, Dans la palmeraie égyptienne. Des années plus tard, Michel Butor retourne à plusieurs reprises le long du Nil. Il ne revit jamais le grand fellah de Louxor au mystérieux trésor.

Repères

1926. Naissance à Mons-en-Bar’ul le 14 septembre. Son père, Émile, est inspecteur aux Chemins de fer du Nord. Sa mère, Anne, originaire de l’Audomarois est mère au foyer.

1929. La famille s’installe à Paris. Michel y suit toute sa scolarité.

1946. Licence de philosophie à la Sorbonne. Premier poste d’enseignant à Sens.

1950. Départ en Égypte, où il enseigne le français. Sa carrière d’enseignant l’amène à voyager partout dans le monde.

1954.
Le Passage de Milan, son premier roman.

1957.
La Modification lui vaut le prix Renaudot et fait de lui l’une des têtes de file du « Nouveau roman»

1958. Épouse Marie-Jo, avec qui il a quatre filles.

1960. Se consacre à des essais, poèmes, travaux exploratoires divers autour des mots.

1991. À la retraite, s’installe à Lucinges, en Savoie.

2006. Ses uvres complètes sont publiées aux éditions de la Différence.

2013. Grand prix de littérature de l’Académie française

2016. Décès à Contamine sur Arve, en Savoie

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