L’interdisciplinarité , un vrai sujet pour le collège comme pour le supérieur

L'interdisciplinarité , un vrai sujet pour le collège comme pour le supérieur

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. PHILIPPE DEVERNET

Réforme du collège contestée, inquiétude des parents et des professeurs, baisse du niveau, première grève déjà annoncée’ La rentrée dans le secondaire ne se déroule pas sous les meilleurs auspices, et cela ne devrait pas laisser indifférents les acteurs de l’enseignement supérieur. Parce que, évidence que l’on a tendance à oublier, ses enseignants hériteront, demain, d’étudiants qui seront d’abord passés par ce collège aujourd’hui tiraillé à hue et à dia. Parce qu’ils constatent déjà, depuis plusieurs années, des performances en berne. Et parce que même certains recruteurs commencent à s’interroger sur le niveau des « sortants » de notre système éducatif.

A tel point que plusieurs établissements privés tentent de compenser, autant que faire se peut, les lacunes observées en fin de cycle secondaire. Le groupe ESC Troyes propose ainsi, entre le bac et la première année, une sorte de « classe propédeutique » de transition, qui permet aux étudiants de se remettre à niveau dans les disciplines fondamentales, mais aussi d’acquérir une méthodologie d’apprentissage qui fait défaut.

L’Edhec s’engage aussi dans cette direction. L’Esdes, école lyonnaise de management, proposait, il y a quelques jours, la dixième édition de son « concours de dictée ». La dictée est également à l’honneur à l’Estaca, école (privée, elle aussi) d’ingénieurs. Même dans les universités, certains enseignants reviennent en début de licence sur des notions supposées acquises depuis belle lurette. Et diverses officines privées lorgnent avec gourmandise sur ce segment. Ce n’est pas encore un ras-de-marée, mais déjà un faisceau significatif d’actions convergentes. L’enseignement supérieur devra-t-il, demain, compenser le travail qui n’aura pas été accompli, et revenir sur les bases insuffisamment acquis dans le secondaire, voire le primaire La question peut se poser.

LES FAMEUX « EPI »

Aujourd’hui, l’un des sujets qui cristallisent les mécontentements, à propos de la réforme du collège, concerne la pédagogie, et notamment l’introduction des fameux EPI (« enseignements pratiques interdisciplinaires »). Mobilisant au moins deux disciplines, ces EPI « permettent de construire et d’approfondir des connaissances et des compétences inscrites dans les différents programmes, explique le ministère de l’éducation nationale. Ils s’appuient sur une démarche de projet et conduisent à une réalisation concrète, individuelle ou collective ». Ils seront désormais proposés aux élèves, quelques heures par semaine, à côté des enseignements « traditionnels ».

Or cette question de l’interdisciplinarité ne concerne pas que le secondaire. Depuis quelques années, dans les grandes écoles comme dans les universités, l’heure est à la « transversalité », au croisement (fertile) des disciplines, à la mise en pratique, au détriment des enseignements par discipline, « en silo » comme on dit. Bref, à l’interdisciplinarité. La démarche par projets, de plus en plus présente, illustre bien cette tendance.

Force est de reconnaître que cette démarche n’a rien d’incongru, et qu’elle présente plusieurs atouts. D’abord, parce que dans « la vraie vie » la vie de l’entreprise, la vie professionnelle ou même la vie courante les problèmes se posent rarement de façon simple et univoque, autour d’une seule discipline. ils sont le plus souvent et de plus en plus complexes, multiformes, multidisciplinaires.

L’approche par une seule discipline paraît donc, à bien des égards, très théorique, réductrice, voire un brin simpliste. Pour lancer un nouveau produit sur le marché, par exemple, l’entreprise fait appel à des spécialistes du marketing, mais aussi à ses services de R et D (recherche et développement), aux experts des process industriels, et encore aux financiers, aux juristes, aux communicants’

Ensuite, parce qu’en procédant ainsi, on donne du sens à un enseignement souvent perçu par les élèves comme trop théorique. Et, du même coup, on ranime leur intérêt et leur motivation. L’une des raisons bien connue du désintérêt des élèves est que l’enseignement leur paraît désincarné, éloigné du réel, et donc assez rébarbatif.

ACQUÉRIR DES FONDEMENTS

Reste que les conditions de mise en uvre de cette réforme posent une série de questions. D’abord, si elle est légitime, l’interdisciplinarité doit s’appuyer, tôt ou tard, sur des connaissances solides et réelles dans chacun des domaines considérés. Et plus particulièrement, dans les disciplines de base. Associer dans un même cours littérature, histoire et économie risque d’être pour le moins hasardeux si l’on ne maîtrise pas au moins les fondements de la langue. Comment acquérir ces fondements Et surtout, à quel moment C’est toute la question. Jusqu’à présent, l’interdisciplinarité intervient assez tard dans les cursus d’enseignement supérieur. Dans le secondaire, elle doit sans aucun doute être maniée avec prudence.

Mal maîtrisée, la démarche tourne soit au gadget, soit au grand n’importe quoi, comme cela semble être le cas dans un certain nombre d’exemples qui ont été relevés par la presse ces derniers mois à propos des EPI dans les collèges. On comprend que cela perturbe des enseignants rompus en général à l’enseignement d’une discipline unique, qu’ils pratiquent depuis des années. Car les enseignants sont à la fois individualistes, et d’autant plus réticents aux changements qu’ils ont été soumis depuis des années à de multiples réformes sans lendemain. Tout cela requiert donc du doigté, de la patience, de l’évaluation, du dialogue avec les parties prenantes, des ajustements progressifs’

C’est justement là où le bât blesse. Car la rue de Grenelle opte au contraire pour une démarche « à la hussarde », imposant la réforme à plusieurs classes en même temps, là où on aurait attendu une approche progressive. Plus encore, la ministre de l’éducation nationale adopte souvent un ton hautain et ironique, assénant ses certitudes et balayant par avance toute contestation.

De leur côté, certains acteurs, et notamment certains syndicats d’enseignants, semblent jouer la carte du dénigrement systématique et de l’obstruction. De part et d’autre, ce n’est pas la meilleure façon de faire passer une réforme et de faire progresser l’enseignement. C’est dommage, car l’idée mérite qu’on s’y intéresse.

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