Lille , regards croisés sur la polémique de la mode islamique

Lille , regards croisés sur la polémique de la mode islamique

Dans les rayons d’H&M, on interpelle une vendeuse pour savoir où se trouvent les articles dits de mode « pudique ». Après une seconde d’hésitation, elle nous oriente vers le devant du magasin. «
On commence seulement à recevoir les produits de ce type
», lance-t-elle. Pas de hijabs (foulards) sur les mannequins, mais de longues robes et tuniques noires, grises, fleuries et colorées. Dans le magasin, des femmes qui portent le foulard s’y intéressent, mais pas seulement.

Samira ne semble pas plus étonnée que ça que des marques comme H&M se lancent dans les produits à destination des musulmanes. «
Même si je suis voilée, ça fait très longtemps que je vais chez H&M pour m’habiller.
»

« Par mode »

Direction la rue des Postes dans le quartier de Wazemmes. C’est là que travaille Samira depuis plusieurs mois. Chez Kenza, un magasin de vêtements pour femmes musulmanes, implanté depuis vingt-cinq ans. Très vite, la discussion se déplace sur la question du port du voile. Selon elle, les jeunes femmes le portent de plus en plus «
par mode, plus que par conviction. Moi, je porte le voile par respect pour ma religion
».

Mais à ses yeux, le voile n’est pas forcément le plus important. La foi est davantage une affaire intérieure, une affaire de c’ur. «
Je ne juge pas celles qui font le choix de porter des mini-jupes et pour moi, décider de porter le voile ne se décide pas du jour au lendemain. C’est le résultat d’un cheminement qui se fait étape par étape. Mes parents ne m’ont jamais obligé à me voiler, ils m’ont dit que c’était à moi de décider seule. C’est ce que j’ai fait
», explique-t-elle.

Un marché en expansion

À quelques pas là, dans la rue de Wazemmes, Vanessa a ouvert sa boutique il y a trois ans : Muslima Tendance. Elle s’est lancée sur Internet d’abord. Mais au vu de la concurrence grandissante, «
surtout sur les réseaux sociaux
», ce n’était plus suffisant, d’après cette musulmane convertie. Selon Vanessa, c’est un marché en pleine expansion.

La polémique sur la mode islamique,Vanessa l’a suivie de près. Elle voit le parti pris des grandes marques d’un bon il. «
Il y a très peu de magasins où les femmes musulmanes peuvent trouver des choses coquettes. Ça permettra peut-être de changer le regard des gens.
» Dans les rayons de Muslima Tendance, quelques vestes courtes à fleurs, des foulards, des djellabas colorées ou sombres, des pantalons fluides et chics, mais toujours amples. «

Un peu de couleurs, oui, ça peut égayer la tenue, mais pas trop non plus, il faut rester sobre
», nuance la jeune femme avant d’insister sur la nécessité de pudeur dont doivent faire preuve, selon elle, les femmes musulmanes.

Quand on l’interroge sur l’idée d’enfermement du corps de la femme évoqué par la ministre Laurence Rossignol, Vanessa répond sans appel : «
Si je porte le voile depuis 15 ans, c’est par conviction, on ne me l’a pas imposé. On est dans un pays libre où les femmes ont le droit de s’exprimer.
» Mais quand vient la question de la mini-jupe, sa réponse est pour le moins radicale : «
Pour moi, ce sont celles qui portent ce genre de tenues légères qui ne se respectent pas.
»

« Dialoguer pour apaiser »

Olfa Laforce est franco-tunisienne, adjointe au maire de Villeneuve d’Ascq (PS), et dirige un observatoire contre les violences faites aux femmes. Elle livre son avis sur cette « mode islamique ».

« Je n’ai rien contre le fait que les musulmanes trouvent des vêtements qui leur plaisent dans les grands magasins, au contraire, mais en parlant de mode pudique, les marques banalisent, au nom de l’argent, un mode de vie dont le principe est de cacher le corps de la femme. Un mode de vie qui aboutit, dans certains pays, à l’emprisonnement ou la mort de celles qui s’y refusent. Les marques ont, selon moi, un impact sur la pensée. Je ne peux pas accepter qu’elles fassent rentrer dans les m’urs l’idée de cette mode pudique, tout comme je ne peux pas accepter l’instrumentalisation du corps de la femme par les publicistes. Les deux combats sont au même niveau pour moi. Et puis, utiliser le mot pudique signifierait-il que choisir de mettre une mini-jupe serait impudique

Je ne veux pas choquer les femmes qui pensent, en portant le voile, accomplir leur foi personnelle. En revanche, je suis contre le prosélytisme religieux de certaines femmes qui jouent sur l’affect pour pousser au port du voile qui, dans certains cas, n’a plus rien à voir avec le voile simple mais se rapproche du vêtement islamique. Il y a tout un tas de raisons pour lesquelles les femmes décident de porter le voile aujourd’hui en France. La foi, bien sûr, mais aussi l’identité dans une société qui ne propose plus de repères, le prosélytisme et le poids social, les insultes. Selon moi, davantage de dialogue entre les femmes qui choisissent de porter le voile et celles qui sont contre est nécessaire pour apaiser le débat. »

Rappel de la controverse

Le 30 mars dernier, Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, a fustigé sur l’antenne de BFMTV les marques qui, telles H&M et Dolce & Gabbana, lancent des gammes de vêtements dits « islamiques » et «
font la promotion de l’enfermement du corps des femmes
».

Une pétition est lancée dans la foulée sur change.org pour dénoncer les propos de la ministre qui «
ôte aux concernées leur subjectivité, leur pouvoir d’agir et de raisonner par elle-même
». Elle recueille 30 000 signatures. Mais dans la foulée, une dizaines d’associations féministes apportent, au contraire, leur soutien à Laurence Rossignol.

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