Les patrons de journaux dénoncent le  chantage  de la CGT

Les patrons de journaux dénoncent le  chantage  de la CGT

« Honteux ». Le qualificatif employé est le même, du libéral Nicolas Beytout, directeur de L’Opinion, au social-démocrate Laurent Joffrin, son homologue de Libération. Jeudi 26 mai, les patrons des quotidiens nationaux ont vivement protesté contre la décision de la CGT de ne pas les imprimer, à l’exception de L’Humanité, au motif qu’ils ont refusé de publier une tribune du secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez. Les quotidiens nationaux n’avaient déjà pas été imprimés lors des journées d’action des 31 mars et 28 avril.

L’initiative date du vendredi 20 mai. Ce jour-là, les syndicats de la Filpac CGT (fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication) décident « de faire paraître dans leur quotidien respectif un communiqué (‘) sur les réalités du mouvement social et sur les enjeux, présents et à venir, posés par la loi El Khomri ».

Mardi 24 mai, Didier Lourdez, secrétaire national du « syndicat du Livre » (SGLCE, syndicat général du livre et de la communication écrite), la branche réputée la plus dure de la fédération, adresse le texte du communiqué au Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), qui regroupe les éditeurs nationaux. Il demande que celui-ci soit publié dans les éditions du 26 mai, ajoutant qu’une démarche similaire est en cours vis-à-vis de la presse régionale.

La démarche n’est pas inédite

Le communiqué est titré : « La modernité, c’est le progrès social, pas la loi « Travail » ! ». Il reprend les arguments de la CGT contre le projet de loi et demande le retrait du texte. La date du 26 mai correspond à la huitième journée de mobilisation contre le texte à laquelle a appelé l’intersyndicale CGT-FO.

La démarche n’est pas inédite : la CGT avait formulé une demande similaire, en 2010, lors du conflit autour de la réforme des retraites, sous le gouvernement Fillon. A l’époque, les éditeurs avaient rejeté la demande, expliquant qu’ils n’acceptaient habituellement aucune « communication politique » de la part de partis ou syndicats, et refusaient de créer un précédent.

Mercredi 25 mai, en milieu de journée, le SPQN décide de faire la même réponse au syndicat. « Un scénario de chantage a alors commencé à se mettre en place », selon Denis Bouchez, directeur du SPQN.

Interrogé jeudi matin sur France Inter, Didier Lourdez a assuré qu’il ne s’était agi « ni d’une exigence, ni d’un diktat ». Reste que mercredi, la Filpac avait indiqué dans un communiqué : « Un grand nombre de titres refusent pour le moment la parution de la tribune. (‘) Les syndicats décideront donc de ne pas faire paraître les éditions des titres (‘) qui auront refusé de reproduire la tribune. »

« L’Humanité » a été imprimé

En revanche L’Humanité a été imprimé tout comme les quotidiens régionaux dont trois ont publié la tribune. Le quotidien communiste s’est appuyé sur la tribune de M. Martinez pour proposer un « numéro exceptionnel », dont la manchette est : « Loi travail : la France ne digère pas le passage en force ». Il a été le seul quotidien national en vente en Ile-de-France jeudi et dans une majorité de départements.

« Chaque quotidien a sa ligne éditoriale, assume Patrick Le Hyaric, directeur du titre et député européen (Front de gauche). La nôtre est d’être du côté du mouvement social. Tous les secrétaires de syndicats s’expriment dans nos colonnes et cela aurait été un événement qu’on ne publie pas un texte de la CGT. »

Ce choix éditorial intervient alors même que le journal fondé par Jean Jaurès fait face à une situation financière très dégradée. Avec le soutien de leurs syndicats, dont le SGLCE, ses salariés sont actuellement mobilisés pour placer le journal « sous protection populaire et citoyenne », grâce à des abonnements et souscriptions, et éviter qu’il ne perde son indépendance. En mars, le secrétaire fédéral de la fédération CGT des cheminots, Gilbert Garrel, avait d’ailleurs proposé d’« inciter [les] bases syndicales à s’abonner ou à créer des abonnements collectifs à L’Huma ». Une demande refusée par M. Martinez, soucieux de ne pas créer de lien direct entre le titre et la centrale syndicale.

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