Les habits  postmodernes  de l’extrême droite autrichienne

Les habits  postmodernes  de l'extrême droite autrichienne

Le Monde
| 06.05.2016 à 16h35
Mis à jour le
21.05.2016 à 20h42
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Par Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant)

Il est un constat que les élites intellectuelles viennoises semblent rétives à partager, mais qui paraît incontestable : en 2016, c’est l’extrême droite, une famille politique qu’elles ne cessent de réduire à ses origines nazies sans lui reconnaître d’avoir mené une réflexion réelle, qui a fait un véritable effort pour penser l’avenir.

Alors que la gauche et la droite de gouvernement ont échoué à renouveler leur personnel, le Parti libéral d’Autriche (FPÖ) affiche une volonté d’incarner la modernité, face au « monde d’hier », celui hérité des grands conflits du XXe siècle.

Dans cette Autriche prospère de 8,6 millions d’habitants, le pouvoir et les richesses a été partagé entre le clan des « rouges » (les sociaux-démocrates) viennois et celui des « noirs » (les conservateurs)provinciaux, barons d’opérette en leurs vertes vallées.

Pour tout comprendre avant le deuxième tour :
 

En Autriche, l’extrême droite du FPÖ proche du pouvoir

« Troisième voie »

Dans la famille politique de Heinz-Christian Strache, le successeur de Jörg Haider à la tête du FPÖ, cette « troisième voie » qui ne date pas de la crise des migrants, on réfléchit et on anticipe. Même si l’on arbore encore l’écharpe aux couleurs de l’Allemagne au bal annuel des corporations estudiantines, tout comme le bleuet prussien des militants nazis de 1933 à 1938. Au-delà de ce folklore nostalgique, le FPÖ se targue même d’avoir LA vision pour les générations futures.

Dans les colonnes du quotidien conservateur Die Presse, l’intellectuel historique de l’extrême droite autrichienne, Andreas Mölzer, ami du Français Bruno Gollnisch (Front national), annonçait par exemple tout récemment encore l’émergence d’un nouveau système politique typiquement autrichien, différent de celui qui a cours depuis 2010 en Hongrie et qui ne serait donc pas qu’une simple « orbanisation » des nations danubiennes.

Cette « identité postmoderne » ainsi a-t-il nommé le projet prendrait selon lui « la forme d’une redécouverte de soi, de l’espace confiné de la patrie, en connexion avec un monde ouvert et les nouvelles technologies ». Selon lui, avec un président d’extrême droite en Autriche cas unique en Europe , le FPÖ réussirait en quelque sorte enfin le mariage de la culotte de peau et de l’iPhone. On verrait alors l’éclosion dans la Vienne cosmopolite et métisse  siège de l’ONU, de l’OPEP, de l’OSCE, de l’Agence européenne des droits fondamentaux ‘ qui, à l’exception de sa langue et de son histoire, n’est maintenant pas plus germanique que slave et latine, d’une capitale de l’internationale des nationalismes. L’Autriche du FPÖ serait ouverte à la coopération humanitaire, neutre et européenne.

Le FPÖ bien vu au Kremlin

Tout un programme, qui par le passé n’a pas pu être mis en uvre, les partis nationalistes ayant toujours fini par se quereller. Sauf que le FPÖ prouve, et depuis des années déjà, qu’il peut désormais entretenir des relations opportunistes, fondées sur des objectifs communs, avec bon nombre de mouvances, dans des pays aussi divers et importants que la France, le Japon ou l’Egypte. Il est bien vu au Kremlin et indiffère dans une majorité de capitales.

Il va jouer son va-tout à la faveur du second tour de la présidentielle, le 22 mai, face au candidat écologiste Alexander van der Bellen. La crise des réfugiés a achevé de diviser un Parti social-démocrate (SPÖ) au bord de l’explosion, à cause du virage décidé par Werner Faymann, le chancelier de gauche ayant emboîté le pas à la très autoritaire Hongrie voisine en faisant fermer les frontières, au mépris de la convention de Genève.

« C’est ce contexte qui est nouveau et qui donne une dimension européenne à ce qui se passe en Autriche, énonce la politologue allemande Tanja Börzel. Pour la première fois, on n’a plus le FPÖ contre la gauche ou la droite au second tour, mais une confrontation entre ceux qui, par exemple, sont contre l’islam et ceux qui défendent le multiculturalisme. »

Mais la montée du FPÖ n’est pas imputable uniquement à la crise des migrants. Il y a eu le coup de maître de Heinz-Christian Strache avec le choix de Norbert Hofer, numéro trois du parti et ami personnel, comme candidat à la présidentielle, nettement en tête avant le second tour. En plus d’être une éminence grise, Norbert Hofer s’est épanoui en orateur talentueux et télégénique. Quant à Heinz-Christian Strache, longtemps méprisé pour ses virées à Ibiza, sa propension à manier le dialecte viennois et ses origines sociales il est prothésiste dentaire , il s’est libéré de la vieille garde sulfureuse du FPÖ.

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