Les cinq piliers du style Barthès

Les cinq piliers du style Barthès

Le Monde
| 10.05.2016 à 11h23
Mis à jour le
10.05.2016 à 11h28
|

Par Simon Prigent

C’est en septembre 2004 que la France découvre sa voix. Planqué derrière les images qu’il commente dans sa chronique quotidienne « Le Petit Journal people » au « Grand Journal », Yann Barthès maltraite les célébrités, décortique leurs plans médias et défait les vieilles recettes, le tout sur un ton ironique et acide. L’actrice Grace de Capitani, l’écrivain Paul-Loup Sulitzer ou Cindy Sander : tous en prennent pour leur grade.

« Mais tu es mignon ! Tu es beau ! Tu devrais faire de l’antenne ! » lâche Thierry Ardisson qui le croise à Cannes. Résultat : Yann Barthès apparaît en chair et en os dans « Le Grand Journal » en 2007. Au passage, la chronique s’est scindée, donnant vie au « Petit Journal actu », qui applique à la vie politique les méthodes qui ont fait son succès. Et le terrain de jeu est tout trouvé puisque les Français viennent d’élire un nouveau président.

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Chaque semaine, « Le Petit Journal » observe, analyse et commente, la vie politique. Peu de choses échappent à la loupe de l’équipe. Qui ne se souvient pas du président Nicolas Sarkozy chapardant le stylo Montblanc qui vient de servir à signer un partenariat stratégique avec le président de Roumanie, ou Jacques Chirac roucoulant avec une blonde corrézienne alors que Bernadette prononce un discours dans le musée portant son nom ‘

Sur le fond et dans un registre plus sérieux, les journalistes du « Petit Journal » se livrent au fact checking (vérification d’information) et démontent le discours des politiques. La présidente du FN, Marine Le Pen, en a par exemple fait les frais en 2012 quand l’équipe de Yann Barthès a analysé certaines de ses affirmations comme : « Nous sommes en train de vivre la plus grave baisse du pouvoir d’achat des ménages », allégation qui, vérifications faites, s’est révélée inexacte.

Sur la forme aussi, quand il se penche sur les méthodes de communication des politiques, comme dans l’épisode récent de la chemise à carreau d’Alain Juppé à la fin de janvier. Soucieux de rajeunir son image, le maire de Bordeaux était apparu en tenue décontracté et branchée en train de jouer au beer pong, entouré de jeunes acquis à sa cause dans un pub parisien. Seulement, le candidat à la primaire républicaine n’avait pas pris la peine de découper l’étiquette de sa chemise’

En se tournant vers la politique, « Le Petit Journal » n’a pas abandonné les peoples pour autant. De Roman Polanski à Kylie Minogue, stars du cinéma, écrivains ou musiciens défilent tous les soirs dans l’émission d’infotainment de Canal+.

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Pour certains, le présentateur serait même un des derniers survivants de « l’esprit Canal » ; subversif et ouvert pour les uns, politiquement correct et désinvolte pour les autres. En attendant, l’animateur n’hésite pas à défier le CSA, comme quand il s’allume une cigarette en direct avec Catherine Deneuve. « C’est assez étonnant, c’est très provoquant », commente l’actrice, elle-même étonnée de ce qu’elle est en train de faire sur le plateau.

Yann Barthès, c’est aussi un style. Tiré à quatre épingles, la coiffure faussement négligée, il incarne un gendre idéal, un brin plus rock’n’roll et glamour que Laurent Delahousse. D’ailleurs, au « Petit Journal », les paillettes ne sont jamais très loin avec les reportages récurrents sur le monde de la mode.

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En dehors de sa fenêtre quotidienne au petit écran, l’homme apparaît très peu dans les médias. Seuls quelques chanceux parmi lesquels M le magazine du Monde, GQ ou encore Le Parisien magazine ont pu l’approcher. Question de cohérence, comme il l’a confié à GQ en mai 2014 : « J’ironise assez sur ceux qui font le tour des plateaux télé pour ne pas les imiter. » Et d’hygiène personnelle : « De 8 h 30 à 21 heures, je travaille pour la télé alors, quand j’ai fini mon taf, j’ai besoin de passer à autre chose. Je ne vais pas passer toute’ ma vie à la télé ! »

Une discrétion à toute épreuve, sans doute inspirée par Laurent Bon avec qui Yann Barthès a cofondé en 2011 la société Bangumi, productrice du « Petit Journal ». Celui qu’on présente comme le « pygmalion » du présentateur dispose d’une grande influence dans le milieu médiatique mais déteste encore plus que son associé se retrouver sous le feu des projecteurs.

Depuis l’arrivée de Vincent Bolloré à la tête de Canal+, Yann Barthès n’hésite pas à prendre position contre son patron, ou même contre sa chaîne. Ainsi, quand l’industriel coupe de nombreuses têtes au sein de la chaîne cryptée, « Le Petit Journal » dégaine un sketch de Catherine et Liliane dans lequel les humoristes Alex Lutz et Bruno Sanches ironisent sur les méthodes de leur patron.

En décembre, c’est à Canal+ que l’animateur s’en prend directement. En pleine campagne de communication autour du retour des « Guignols de l’info » à l’antenne, la chaîne profite du premier tour des élections régionales pour tweeter une photo des marionnettes de Jean-Marie et Marine et Le Pen, alors que celle-ci vient d’enregistrer un score historique. Yann Barthès condamne alors l’initiative sur Twitter.

Malgré le départ de Yann Barthès, Canal+ a assuré que le « Petit Journal » continuerait à la rentrée, mais dans une formule « rénovée ». Chez TF1, le directeur des programmes des chaînes du groupe, Fabrice Bailly, s’est réjoui de son arrivée saluant « sa créativité, sa liberté de ton et son impertinence ». Reste à savoir ce qu’il restera du style Barthès sur TF1.

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