Leicester champion d’Angleterre , le sacre du loser Ranieri

Leicester champion d'Angleterre , le sacre du  loser  Ranieri

Le Monde
| 05.05.2016 à 14h36
Mis à jour le
07.05.2016 à 17h35
|

Par Rémi Dupré

Claudio Ranieri était dans les nuages, lundi 2 mai, au coup de sifflet final du derby londonien entre Chelsea et Tottenham (2-2). Ce n’est qu’à sa descente d’avion, de retour de sa ville natale de Rome, où il a déjeuné avec sa mère âgée de 96 ans, que l’entraîneur de Leicester City a appris que son club venait de remporter son premier titre de champion d’Angleterre et de réaliser l’un des exploits les plus retentissants de l’histoire du football.

« Je ne m’attendais pas à cela quand je suis arrivé, a reconnu l’Italien de 64 ans, débarqué dans les Midlands à l’été 2015. Je suis un homme pragmatique, je voulais juste gagner match après match et aider mes joueurs à progresser semaine après semaine. Je n’ai jamais trop pensé à jusqu’où cela nous emmènerait. » En vertu de ce résultat de parité, les Foxes ont pu sabrer le champagne sans jouer. Avant les deux dernières journées de la saison, les Renards sont hors de portée des chasseurs de gros calibre de la Premier League : ils possèdent sept points d’avance sur les Spurs, leurs dauphins essoufflés. Et samedi 7 mai, au moment de célébrer face à Everton ce titre historique avec les supporteurs dans leur stade de 32 000 places, petit pour le pays qui a inventé le football, Claudio Ranieri sera encore sur un petit nuage.

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Il était une fois Leicester City…

Une cote à 5 000 contre 1

Car le stupéfiant sacre de Leicester, club doté de l’un des plus petits budgets du foot anglais (environ 130 millions d’euros), est d’abord celui de Claudio Ranieri. Avec une cote à 5 000 contre 1 en début de saison, quel bookmaker aurait été assez hardi ou dément pour miser un seul penny sur l’équipe des Midlands de l’Est, propriété du milliardaire thaïlandais Vichai Srivaddhanaprabha et classée quatorzième de Premier League à l’issue de l’exercice précédent ‘ A l’été 2015, l’arrivée de Claudio Ranieri aux commandes de la « Blue Army » n’avait pas ému grand monde. L’austère technicien italien de 64 ans avait notamment été débarqué, six mois plus tôt, de son poste de sélectionneur de la Grèce après un revers (1-0) face aux modestes îles Féroé.

C’est nanti d’une réputation de sympathique loser que Claudio Ranieri signait ainsi son retour en Premier League. De son passage à Chelsea (2000-2004), le Romain avait hérité des peu aimables sobriquets de « Tinkerman » (« bricoleur ») ou de « Clownio ». Il faut dire que l’ancien défenseur de l’US Catanzaro et de Palerme n’avait pas laissé une trace inoubliable avec les Blues. Vainqueur de la Charity Shield en 2000 et finaliste malheureux de la Cup deux ans plus tard, le Transalpin avait finalement été remercié par le milliardaire russe Roman Abramovitch, l’ambitieux propriétaire de Chelsea.

Claudio Ranieri était tombé en disgrâce un soir d’avril 2004, éliminé en demi-finale de Ligue des champions (3-1, 2-2) par l’AS Monaco, entraînée alors par un certain Didier Deschamps. « Il a su pourtant restructurer Chelsea, recruter les joueurs qu’il fallait et ­effectuer le travail administratif et médical dont a pu profiter José Mourinho à son arrivée », confiait au Monde, en février 2014, l’ex-Blue Marcel Desailly.

L’ancien défenseur de l’équipe de France (116 sélections) se souvenait alors d’un entraîneur qui « aime tenter des coups ». « Il sait tenir un groupe et a deux facettes, expliquait l’ex-capitaine des Bleus. Soit il cherche à dialoguer avec un joueur qui veut aller au conflit. Soit il montre que ça sera lui le plus fort et qu’il faut tenir bon. Son management est intelligent. Il est très latin. Il peut s’énerver et parler d’autre chose une minute après. »

Limogé avant le terme de ses contrats à Naples (1991-1993), au Valence CF (1997-1999), à Chelsea, à la Juventus Turin (2007-2009) et à l’Inter Milan (2011-2012), le Romain affiche un palmarès en totale inadéquation avec la renommée de ses points de chute successifs. Son seul fait de gloire notable à ce jour restait son passage à la Fiorentina (1993-1997), avec laquelle il remporta une Coupe d’Italie en 1996, deux ans après avoir ramené l’équipe parmi l’élite.

« Au vu de son expérience, il fait partie du Top 10 des entraîneurs européens, assure l’ex-défenseur tricolore Jocelyn Angloma, qui fut coaché par Ranieri à Valence. Il n’a peut-être pas eu les résultats qu’il méritait. Il aurait dû remporter pas mal de titres au regard des équipes qu’il a dirigées. »

« Mister » Ranieri

Sobre et élégant, Ranieri avait relancé sa carrière d’entraîneur lors de son passage à l’AS Monaco entre 2012 et 2014. Embauché par le Russe Dmitri Rybolovlev, richissime propriétaire de l’ASM, il s’était d’emblée illustré en décrochant le titre de champion de France de Ligue 2. De retour parmi l’élite, l’Italien avait profité pour les recrutements de la juteuse enveloppe (166 millions d’euros) mise à sa disposition par l’ex-magnat de la potasse. A la tête d’une détonante phalange composée des stars colombiennes Falcao et James Rodriguez, il n’avait pas hésité à lancer dans l’arène une myriade de cracks issus du centre de formation monégasque.

Salué sur le Rocher pour son sens de l’équilibre, jouant aux alchimistes, Ranieri avait rapidement gagné le surnom de « Mister ». Eternel bluffeur, il avait donné du fil à retordre au Paris-Saint-Germain version Qatar Sports Investments. A l’issue d’un formidable mano a mano, le club de la capitale avait finalement dompté Monaco « la Russe », s’octroyant le titre au printemps 2014. Avec son sourire pincé, Ranieri, lui, s’était mis les médias français dans la poche, permettant à l’ASM de retrouver la Ligue des champions après une décennie d’abstinence. Contre toute attente, Dmitri Rybolovlev avait choisi de ne pas prolonger le contrat de son entraîneur, dont le bilan sur le Rocher était pourtant excellent.

Marié à une antiquaire londonienne, le sexagénaire vient de réaliser, avec Leicester, l’un des plus grands exploits de l’histoire du football contemporain. A l’heure de l’explosion des droits télévisés outre-Manche (7,3 milliards d’euros sur trois ans, soit 2,4 milliards annuels sur la période 2016-2019), Ranieri a su imprimer sa marque, galvanisant un effectif dépourvu de stars. Dotés d’une défense de fer, les Foxes s’en sont remis toute la saison aux fulgurances de leur buteur Jamie Vardy (22 buts à ce jour), à la finesse technique du milieu algérien Riyad Mahrez et à l’endurance de la sentinelle française N’Golo Kanté.

Horripilant ses homologues par son goût pour l’intox, celui que José Mourinho jugeait récemment « trop vieux » avait attendu le 22 avril pour confirmer son ambition de remporter le titre. « On est en Ligue des champions, taratata !, s’était alors exclamé Ranieri. Allez ! C’est une performance énorme, fantastique, terrifiante. Bien joué à tous. Les propriétaires, les supporteurs, les joueurs et le staff. Et maintenant, on va immédiatement essayer de gagner le championnat. » « Si je fais ce boulot, c’est parce que je suis heureux quand les gens sont heureux », a-t-il lâché, le 28 avril, au bord des larmes, sur la chaîne de télévision TRT World qui ­venait de diffuser des messages des supporteurs de Leicester à son intention.

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Une Premier League complètement folle

Ranieri, l’un des premiers coachs italiens à avoir tenté l’aventure loin du Calcio, a bâti son succès en s’appuyant sur Paolo Benetti, son fidèle adjoint et compatriote, qui était déjà de l’aventure monégasque. « Le monde du football ne retient que les victoires. Or, un club victorieux passe par différentes phases de construction avant d’atteindre les sommets. Et Ranieri excelle dans ce genre d’entreprise », confiait au Monde, lors de son passage dans la Principauté, Paolo Benetti, qui a été le beau-frère du « Mister ».

Cette fois, Ranieri le loser s’est adapté en un temps record, transmettant à ses protégés la culture de la gagne. Longtemps moqué pour ses échecs, le nouveau roi d’Angleterre peut savourer ses galons mérités de winner. A Leicester, ancienne cité ouvrière de 330 000 habitants, un artiste local a peint son visage à côté du blason des Foxes sur un mur de Kate Street, et le maire a promis à ses administrés une « Ranieri Road ».

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