Le projet de loi travail à l’épreuve des députés

Le projet de loi travail à l'épreuve des députés

Le Monde
| 02.05.2016 à 11h29
Mis à jour le
03.05.2016 à 08h05
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Par Bastien Bonnefous (Nouméa, envoyé spécial) et
Hélène Bekmezian

Voilà des mois que le sujet occupe le débat public, et ce n’est que maintenant que l’Assemblée va réellement s’en saisir. Examiné pendant deux semaines en séance publique à partir de mardi 3 mai, le projet de loi travail entre maintenant dans sa phase parlementaire. Malgré une contestation sociale qui ne s’éteint pas, le dossier présente nettement mieux qu’au début. Myriam El Khomri affirme, dans un entretien au Parisien du 3 mai, qu’elle « refuse de faire planer la menace » du recours à l’article 49-3 de la Constitution, permettant de faire passer un texte sans vote, pour imposer son projet de loi.

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« Je ne suis pas dans cette perspective », insiste la ministre du travail, qui dit attendre de voir « comment les choses se déroulent » au Parlement. Le gouvernement revient de loin, deux mois et demi après le coup de Trafalgar de la ministre qui avait au contraire laissé entendre, le 18 février dans Les Echos, que le 49-3 pourrait être engagé.

A l’Assemblée, les députés, déjà en plein tourbillon de la révision constitutionnelle, s’étaient immédiatement cabrés. Et pas seulement les habituels frondeurs. Au Parti socialiste, le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, n’avait eu d’autre choix que de demander une réécriture du projet de loi quand, quelques jours plus tard, c’est Martine Aubry qui avait tapé un grand coup en signant une tribune dans Le Monde, où elle tonnait que « trop, c’est trop ! » Au même moment, sur Internet, la pétition lancée par la militante Caroline De Haas recueillait plus d’un million de signatures en deux semaines.

Nouvelle version moins corrosive

Débordé sur plusieurs fronts, le gouvernement a été obligé de reculer et d’annoncer, le 29 février, un report de deux semaines de la présentation du texte en conseil des ministres. De son côté, Mme El Khomri a continué son quasi-chemin de croix, devant le bureau national du PS, puis devant la commission des affaires sociales où elle a défendu une nouvelle version moins corrosive.

Malgré tout, à la veille du débat en séance, force est de constater que la réécriture du texte n’est pas venue à bout des mouvements sociaux même si le rassemblement du 1er-Mai était de faible ampleur. Pour autant, le premier ministre, Manuel Valls, ne laisse pas paraître de signe d’inquiétude. En déplacement officiel en Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande et Australie jusqu’à mardi 3 mai, il a suivi de loin les derniers préparatifs. Il se veut « confiant », « totalement tranquille », comme il l’a confié aux journalistes qui l’accompagnaient. Le chef du gouvernement continue de concéder des « erreurs » sur la préparation et la communication, mais la donne a changé selon lui avec les derniers bons résultats économiques.

S’il refuse de faire dans « la météorologie sociale », il considère que le mouvement de contestation s’essouffle et, par conséquent, se radicalise en partie. Surtout, il est persuadé que cela pèsera peu sur les débats à l’Assemblée nationale. Au contraire, c’est « le débat parlementaire [qui] peut peser sur le climat social » et l’atténuer, estime-t-il.

5 000 amendements

Au groupe socialiste, le député de Saône-et-Loire Christophe Sirugue semble, en effet, avoir pour le moment apaisé la situation, après des débuts difficiles. Réputé sérieux et travailleur, cet ancien vice-président de l’Assemblée a d’abord montré les dents quand on lui a demandé d’être rapporteur, arguant qu’il n’accepterait que si des changements substantiels étaient apportés. Au vu de la réécriture du texte, il a accepté le poste et joué le jeu de l’ambassadeur auprès des siens, entre travail de pédagogie et de conviction.

Mais cela n’a pas empêché les serveurs de l’Assemblée nationale de « planter » durant le week-end, sous la charge énorme des quelque 5 000 amendements déposés sur ce texte d’une cinquantaine d’articles. Si l’opposition au PS semble pour le moment s’être réduite aux frondeurs, ceux-ci préviennent qu’ils mèneront la « bataille parlementaire ». « Des points durs restent », estime Laurent Baumel qui reconnaît pourtant des évolutions sur le texte. Même chez des élus moins contestataires, comme Jean-Patrick Gille, qui a déposé une quarantaine d’amendements, quelques points continuent de poser problème, comme l’inversion de la hiérarchie des normes qui prévoit qu’un accord d’entreprise puisse prévaloir sur l’accord de branche.

Plus globalement, le PS continue, lui, de se parler à coups de tribunes. Dimanche, plusieurs socialistes, principalement aubrystes, ont fait paraître un texte sur le site de Libération dans lequel ils estiment qu’il est « encore temps » de trouver « une voie nouvelle » pour réformer le code du travail. Vendredi 29 avril, dans Le Monde, d’autres élus s’étaient opposés sur la question de savoir si « ça va mieux » : « Oui, notre pays va dans le bon sens », avait répondu un collectif tandis que, sur la même page, un autre (essentiellement des frondeurs) estimait que « non, sans la participation du peuple, rien ne peut aller ».

Affaiblir l’exécutif

Les communistes sont, eux, hostiles au texte, tout comme une partie des écologistes mais il reste difficile d’avoir une vision d’ensemble. Chez les frondeurs, « nous avons arrêté les comptages », assure Laurent Baumel qui juge que, depuis la révision constitutionnelle (que 119 socialistes avaient refusé de voter), le groupe socialiste « est entré dans une zone d’incertitude. Cela a pu libérer des parlementaires qui basculeront tout seul dans leur coin sans qu’on ne le voit ».

« Cela bouge beaucoup, on ne fait pas de comptage sûr pour l’instant », avance de son côté un conseiller de Matignon quand Christophe Sirugue a indiqué dans un entretien au Parisien, lundi 2 mai, qu’il manquait « près de 40 voix pour obtenir une majorité ». Mais pas question d’envisager des modifications importantes. « L’équilibre a été trouvé avec la commission, s’il y a des changements, ce sera à la marge », prévient Manuel Valls. Néanmoins, il reste prudent et Matignon s’inquiète surtout des arrière-pensées d’une partie des députés PS qui pourraient vouloir profiter de cette dernière fenêtre de tir parlementaire pour affaiblir l’exécutif à un an de la présidentielle. « Tout dépend si le débat porte vraiment sur le texte ou si certains font des calculs politiques à plus long terme », explique l’entourage du premier ministre.

Myriam El Khomri, quant à elle, prononcera le discours d’ouverture, mardi après-midi, et a redit, dimanche, qu’il n’était pas question de retirer ce projet de loi « juste et nécessaire ». Après son mauvais départ, la ministre n’a eu de cesse de se montrer bienveillante avec la majorité et devra confirmer ses intentions en séance publique si elle veut vraiment mettre de côté le 49-3, de plus en plus compliqué à agiter dans le climat ambiant.

Enfin, la droite joue pour l’instant un jeu qu’on commence à connaître. Après s’être avancés au début en saluant un texte qu’ils auraient pu écrire, beaucoup d’élus d’opposition font maintenant machine arrière, estimant que le texte dans sa nouvelle version ne va pas aussi loin. Soit exactement le même positionnement que sur la loi Macron, début 2015. Reste à savoir si la loi travail connaîtra le même sort au moment de son vote, prévu le 17 mai.

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