La vérité dans l’assassinat de Giulio Regeni devra encore attendre

La vérité dans l'assassinat de Giulio Regeni devra encore attendre

L’ambassadeur d’Italie au Caire a été rappelé le 8 avril 2016 et son poste est toujours vacant deux mois plus tard. Ce geste exceptionnel dans les relations diplomatiques vaut protestation officielle de Rome envers l’attitude des autorités égyptiennes dans le meurtre de Giulio Regeni. Ce chercheur italien de 28 ans, « disparu » dans le centre du Caire le 25 janvier 2016, avait été retrouvé mort quelques jours plus tard, sa dépouille portant des traces d’atroces tortures (j’ai déjà consacré trois posts de ce blog à ce crime).

Le gouvernement égyptien campe sur une position rendue publique le 24 mars 2016, après la liquidation physique de quatre délinquants. Les forces égyptiennes de sécurité les avaient accusés de constituer un gang spécialisé dans l’enlèvement d’étrangers et d’avoir perpétré le rapt tragique de Regeni. Cette version succédait à de nombreuses autres où les responsables égyptiens n’avaient pas hésité à salir directement ou indirectement la mémoire du chercheur supplicié. Elle n’a pas convaincu les dirigeants italiens, tandis que la famille et les proches de Regeni mettent en cause la police égyptienne elle-même.

Après d’autres révélations de presse, notamment dans le New York Times, c’est l’agence Reuters qui a, le 21 avril 2016, publié une enquête accablante. Se basant sur les témoignages de six sources différentes, trois dans les services de renseignement et trois dans la police, Reuters affirme que Regeni a bel et bien été interpellé par des policiers en civil, le soir du 25 janvier. Plusieurs de ces sources ajoutent que le chercheur italien a été transporté dans un minibus blanc, portant des plaques d’immatriculation réservées à la police, jusqu’au commissariat d’Izbakiya, dans le centre du Caire.

Regeni aurait été rapidement transféré au centre de la Sécurité nationale, à Lazghouli. La Sécurité nationale a succédé à la tristement célèbre Sécurité d’Etat après la révolution anti-Moubarak de 2011. Mais ses méthodes d’une grande brutalité n’ont pas fondamentalement changé. C’est d’ailleurs un vétéran de cette Sécurité d’Etat, Magdy Abdelghaffar, qui assume le poste de ministre de l’intérieur. Il est bien décidé à couvrir ses hommes face aux tentations du président Abdelfattah Sissi de se décharger sur la police de la responsabilité des violations les plus grossières des droits de l’homme, notamment les « disparitions » forcées, régulièrement dénoncées par les défenseurs des droits de l’homme.

Une délégation de la police italienne s’est de nouveau rendue au Caire les 7 et 8 mai 2016. Composée de membres du service central opérationnel de la police (SCO) et du Groupement opérationnel spécial des Carabiniers (ROS), elle n’a pas pu recueillir d’éléments radicalement nouveaux de ses interlocuteurs égyptiens. La frustration suscitée par un tel immobilisme a conduit un hebdomadaire italien comme L’Espresso à décider de « briser l’omerta » (sic) en lançant une plate-forme sur e-leaks dédiée au recueil d’informations sur Regeni et les autres « disparitions » attribuées à l’Etat égyptien.

Les contestataires égyptiens, qui n’avaient pas tardé à proclamer leur solidarité avec Regeni (« un des nôtres »), ont lancé une campagne de peintures murales en hommage au chercheur supplicié. A ceux qui accuseraient les Européens de ne se soucier du sort tragique que d’un des leurs, ils répondent que le drame de Regeni est devenu emblématique de la situation faite à trop d’Egyptiennes et d’Egyptiens. On verra ci-dessous un de ses graffitis dans une des rues les plus symboliques de la protestation égyptienne, la rue Mohammed Mahmoud, dans le centre du Caire.

L’impasse diplomatique entre Rome et Le Caire semble totale. L’ambassadeur rappelé du Caire, Maurizio Massari, a depuis été nommé représentant permanent de l’Italie auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il ne reviendra donc jamais reprendre ses fonctions en Egypte. Une solution formelle pourrait donc être pour Rome de lui désigner un successeur afin de tourner la page de cette crise d’une intensité rare. Mais la question de la vérité dans le meurtre barbare d’un ressortissant italien au Caire demeure entière.

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