La lutte de Médecins du monde pour les Roms du bassin minier

La lutte de Médecins du monde pour les Roms du bassin minier

Se comprendre

On arrive dans le camp de Montigny-en-Gohelle par un chemin boueux. Des enfants pieds nus ou non, avec et sans manteau, nous sautent dans les bras, les yeux brillants, leurs sourires qui éclatent. «
C’est toujours comme ça !
» à 68 ans, Michel a été l’un des premiers médecins à se rendre sur ce terrain qui accueille entre 100 et 200 Roms depuis plus de quatre ans dans des conditions déplorables : «
Il y a un point d’eau pour tout le monde, on a obtenu des bennes pour les ordures mais ce n’est pas suffisant…
» Là, c’est Jacques qui parle, un prof à la retraite, la référence pour tous les bénévoles : il vient tous les jours, il a même appris à parler rom. C’est lui qui indique à la dizaine de médecins, infirmières et accompagnateurs (ceux qui recueillent les données pour l’asso) quelles familles ont besoin d’être vues.

On suit Michel, son regard bleu, ses clopes, sa gentillesse jusqu’à la caravane de Mihaela-Denisa, 28 ans, qui vit seule avec cinq enfants en attendant que son mari revienne de Roumanie. Tous les petits toussent, l’avant-dernière a vomi, explique leur mère par gestes. On la sent débordée. Michel répète ses questions : «
Combien pèse Maria
» Personne ne sait, il n’y a pas de balance. Pas de chaussures non plus, ni d’école. La mère réclame du lait en poudre pour son petit garçon d’un an. Michel prescrit des antibiotiques en rafale : «
Il y a un foyer bronchitique
» et insiste : «
Il faut bien garder les médicaments de chacun dans leur sachet. »

Il soupire en repartant : «
J’espère qu’elle a compris.
»

Bilan global dans le camion

Outre des médicaments entassés dans une camionnette, Médecins du monde a aménagé un véritable cabinet médical dans un camion recouvert de graffs. Lorsque la gynécologue est présente, elle l’utilise pour ses patientes. Sinon, c’est Jean-Charles, médecin à Douai, responsable de la mission « bidonville dans le bassin minier » pour l’asso et sa femme Brigitte, ancienne infirmière, qui y auscultent leurs patients. Le cabinet ne désemplit pas. Une jeune femme vient de sortir, ravie : elle est enceinte ! «
Jusqu’à 3 ans, les enfants sont plus malades que la moyenne à cause de conditions de vie hyper dures, explique Jean-Charles. «
Ensuite, ils résistent mieux. Vu le contexte, ils ne s’en sortent pas trop mal.
» Les familles ont quand même connu une épidémie d’hépatite A, quelques cas de tuberculose… «
On a pu tous les vacciner et aujourd’hui, ils sont mieux protégés que certains petits Français !
» Visiblement sensible, très investie, Brigitte complète : «
Par contre, il y a des familles qui ont faim et tous ne font qu’un repas par jour. Je connais une maman devenue très maigre à force de tout donner à ses trois enfants. C’est terrible.
»

Ce qui n’est pas possible

Dans la deuxième caravane que visite Michel, l’ambiance est différente, les vêtements des cinq enfants sont propres, ils ont tous des chaussures, la misère est masquée à coup de rideaux fleuris, on nous sort des chaises. Et là, on remarque qu’il fait froid : il n’y a pas de chauffage. On discute avec deux petites filles qui vivent là en attendant que leur famille revienne : «
On était à Bayonne avant, on allait à l’école, expliquent-elles dans un français parfait. On veut y retourner.
»

Michel nous explique qu’ils ont dit vingt fois à l’inspection académique que les familles n’avaient pas d’argent pour le transport et les vêtements, qu’il fallait un bus-école dans le camp : «
Ils ne veulent pas, on tourne en rond, c’est pas possible ! » Il examine son premier patient, Abel, 7 ans : «
Ah la la, il a des caries.
» De nouveau il soupire : «
On ne peut rien faire, aucun dentiste n’accepte de les soigner. Il y en avait un avant à Arras… » à12 ans, Daniele se plaint du dos. Michel l’examine, conclut : «
Il faudrait une radio, je ne peux pas l’envoyer à l’hôpital comme c’est pas une urgence ils ne voudront pas. En plus, il n’a pas la carte d’aide médicale de l’état. Bon, je vais voir avec Jacques s’il peut avoir un rendez-vous…
»

On le sent indigné par ce système qui répète aux familles que cet accès là aussi leur est bloqué : «
Mais bon, on a réussi à tous les vacciner, c’est déjà ça.
»

Tout faire avec rien

Vers 14 heures, la dizaine de soignants et d’accompagnants se retrouvent dans la maison de Brigitte, une bénévole de l’association qui habite Hénin-Beaumont. Sur la table : un sandwich et un gâteau pour chacun. Autour : un médecin qui débute, deux étudiantes, des actifs, des retraités. Tous passionnés par ce qu’ils font, indignés par ce qu’ils voient. Justine répète que les Roms sont pourchassés dans leur pays, qu’on ne les accueille pas comme il faudrait en France. Brigitte se rappelle lorsqu’elle est entrée pour la première fois sur le terrain : «
On se dit que ce n’est pas possible qu’il y ait ça, à nos portes, ce bidonville. Et puis, au bout d’un moment, on se rend compte qu’il y a un certain ordre, d’autres normes. Par exemple, ils sont ados à 8 ans, adultes à 15. Et on apprend comment ils arrivent à tout faire avec rien.
» D’après ce qu’elle sait, les familles vivent de ferraille, de mendicité, de pas grand-chose en fait : «
Certains sont auto-entrepreneurs mais ils ne sont même pas au courant de leurs droits.
» Si on la complimente sur son dévouement, sa générosité, Brigitte rétorque : «
Mais ce sont eux qui nous enrichissent.
»

Les maux récurrents

L’après-midi, Michel et Jacques nous emmènent voir une famille dans un squat, à Fouquières-lez-Lens. «
Quand on passe dans les squats, on entend des gens qui s’énervent parce qu’on soigne les Roms gratuitement
», raconte Michel. Il faut alors expliquer les médecins qui refusent l’accès à la salle d’attente, l’absence de Sécurité sociale, l’absolue pauvreté… «
Beaucoup comprennent aussi, tempère Jacques. On arrive. Six adultes et trois enfants se partagent la petite maison, le jardin est jonché de détritus. Ils viennent d’apprendre qu’ils allaient encore être expulsés. Les enfants vont encore devoir arrêter l’école, regrette Dragan, le père, qui a une mauvaise toux, de la tension, du cholestérol. Sa femme a une hernie discale, de la sciatique, des céphalées : «
Presque tous les adultes

ont des maux de tête à cause du stress et/ou des maux de dos à cause des couchages.
» Michel blague avec eux en écrivant ses ordonnances : «
On arrête la morphine sinon tu vas finir comme Michael Jackson !
» Il les fait rire. À 68 ans, il a quatre ans de bénévolat derrière lui : «
J’ai commencé lorsque j’ai rencontré une jeune femme qui venait d’accoucher et qui vivait dans une caravane qui n’avait que trois murs. J’ai pas supporté. Je la vois toujours, elle va bien.
»

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