La loi Sapin II pose les fondements d’une protection des lanceurs d’alerte

La loi Sapin II pose les fondements d'une protection des lanceurs d'alerte

Avec pour toile de fond les affaires des « Panama papers » ou des LuxLeaks, les députés ont doté les lanceurs d’alerte, mardi 7 juin, d’un cadre protecteur en France, au travers du projet de loi Sapin II sur « la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique ».

Antoine Deltour, qui avait fait fuiter des documents sur les pratiques fiscales de multinationales au Luxembourg et attend de connaître la décision de la justice du Grand-Duché ; Irène Frachon, qui avait démontré la nocivité du Mediator ; ou Hervé Falciani, à l’origine du scandale HSBC : ces lanceurs d’alerte « ont agi dans l’intérêt général », a affirmé le ministre des finances, Michel Sapin, soulignant qu’ils « ont pris des risques et en souffrent ».

« Harcèlement, intimidations, mise au placard, licenciement », a énuméré la porte-parole des socialistes sur ce texte, Sandrine Mazetier, rappelant le cas de Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte dans l’affaire UBS devenue sans emploi et exposée à des poursuites judiciaires. « L’Etat français m’a abandonnée », avait déploré l’ex-cadre de la banque suisse.

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Une définition plus claire

La France « connaît de longue date des obligations de signalement au sein des services publics et des entreprises », mais ne s’est dotée que « très récemment » de règles protectrices des lanceurs d’alerte, via des « textes épars et incomplets », relève dans son rapport le socialiste Sébastien Denaja.

Dès lundi, les députés ont précisé la définition du lanceur d’alerte :

« Il révèle ou témoigne, dans l’intérêt général et de bonne foi, d’un crime ou d’un délit, de manquements graves à la loi ou au règlement, ou de faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement, la santé ou la sécurité publiques. »

La définition actuelle prévoit aussi que le lanceur d’alerte « exerce son droit d’alerte sans espoir d’avantage propre ni volonté de nuire à autrui ». Pas de rémunération donc sur le modèle américain des « chasseurs de primes », et exclusion des dénonciations calomnieuses.

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Une protection renforcée

Le Défenseur des droits interviendra pour les lanceurs d’alerte victimes de discriminations, en vertu d’une proposition de loi organique du PS qui sera examinée en fin de semaine. Le gouvernement s’est engagé, par la voix de M. Sapin, à renforcer les moyens financiers du Défenseur, censé contribuer aux avances de frais de justice.

Pour renforcer les garde-fous, les députés ont aussi ajouté mardi des mesures contre l’entrave ou les représailles envers un lanceur d’alerte, comme des sanctions pénales (prison et amendes).

Sous l’impulsion de socialistes comme Yann Galut, du Front de Gauche, des écologistes critiques du gouvernement et de l’UDI, un lanceur d’alerte licencié pourra aussi saisir les prud’hommes pour tenter d’obtenir son maintien dans l’entreprise, ou, s’il ne le souhaite pas, la préservation de son salaire. Idem pour un agent public au tribunal administratif.

Alternative à la transaction pénale

En soirée, l’Assemblée a également voté, avec quelques retouches, une série de mesures anti-corruption, notamment la « convention judiciaire d’intérêt public », qui remplace la transaction pénale permettant aux entreprises soupçonnées de corruption de payer une amende et d’éviter un procès.

Portée par Sandrine Mazetier, la mesure permet une amende dans certains cas, mais avec un pouvoir accru du juge et une prise en compte des victimes. Elle doit permettre de lutter plus efficacement contre la corruption transnationale. M. Sapin a insisté sur « trois éléments » : seules les « personnes morales » seront concernées ; « le juge doit être présent aux moments les plus importants, dont la conclusion, pour pouvoir dire en toute indépendance s’il considère le dispositif équilibré » ; il y aura « un ou des moments où la décision sera publique ».

Front de Gauche et écologistes critiques ont de leur côté dénoncé un possible effacement d’« ardoise » et une « justice à deux vitesses ».

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Peine d’inéligibilité maintenue

Les députés Les Républicains (LR) ont par ailleurs tenté, sans succès, de faire supprimer une peine complémentaire d’inéligibilité obligatoire pour les personnes exerçant une fonction publique en cas de condamnation pénale pour corruption.

Seraient concernés par cette peine l’ensemble des manquements à la probité commis par des personnes exerçant une fonction publique concussion, corruption passive, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, soustraction et détournement de biens ainsi que la corruption active et le trafic d’influence commis par des particuliers. La peine d’inéligibilité est en principe de dix ans pour un crime et de cinq ans pour un délit.

L’Assemblée nationale a enfin adopté, contre l’avis du gouvernement, un amendement de l’ancienne ministre Delphine Batho permettant à des associations de saisir l’Agence française anticorruption de faits « de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics ou de favoritisme ».

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