La blogosphère incubateur du climatoscepticisme

La blogosphère incubateur du climatoscepticisme

Dès 2000, blogs et forums ont importé en France un argumentaire niant la réalité du réchauffement anthropique, suivant des think tanks américains financés par l’industrie.

Le Monde
| 02.02.2017 à 12h09
Mis à jour le
02.02.2017 à 13h38
|

Par Stéphane Foucart

Le changement climatique ‘ Rassurez-vous : « Il n’y a pas de consensus scientifique sur la question ! » De plus, « le climat a toujours changé » et « il n’y a plus aucun réchauffement mesurable depuis 1998 ». Et puis, « dans les années 1970, les scientifiques prévoyaient unanimement un refroidissement ». Surtout, « il n’est pas prouvé que le dioxyde de carbone joue un rôle dans cette histoire ». Au contraire, tout porte à croire que « le léger réchauffement de ces dernières années soit causé par l’augmentation de l’activité solaire »…

Bien que fondé sur un assemblage de contre-vérités, de données tronquées ou sorties de leur contexte, voire de mensonges assumés, le climatoscepticisme s’est imposé depuis plusieurs années, en France, dans le débat public, tendant à faire douter des causes essentiellement humaines du changement climatique en cours un fait scientifique étayé par la théorie de l’effet de serre et par une somme écrasante d’observations. La blogosphère a joué un rôle déterminant dans la propagation de cet argumentaire à la presse et à l’édition.

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Observez 117 ans de réchauffement climatique en France

L’origine du mouvement climatosceptique est américaine. Le travail de deux historiens des sciences américains, Naomi Oreskes (université Harvard) et Erik Conway (Jet Propulsion Laboratory/NASA), a montré qu’il prend ses origines au début des années 1990, dans la foulée de l’effondrement du bloc soviétique. Les sciences de l’environnement apparaissent alors à certains comme un socialisme déguisé, un projet destiné à accroître le fardeau réglementaire pesant sur les entreprises, menaçant du même coup l’esprit du libéralisme économique.

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Climat : le terreau du scepticisme aux Etats-Unis

Think tank conservateur

Dans leur ouvrage (Les Marchands de doute, 2012), Naomi Oreskes et Erik Conway écrivent que c’est un think tank conservateur, le George Marshall Institute (GMI), qui a développé le premier argumentaire climatosceptique, en 1991. Bien vite, le GMI est rejoint par d’autres organisations analogues (Competitive Enterprise Institute, Alexis de Tocqueville Institute, Heartland Institute, etc.) ou des blogs ( Climate Audit, Watts Up With That, etc.) souvent financés par les milieux industriels américains, directement ou non. Cette galaxie d’organisations, que le sociologue Robert Brulle (université Drexel à Philadelphie) nomme le « contre-mouvement climatique américain », contribue à forger et à mettre en circulation la vulgate climatosceptique.

Il faudra attendre une quinzaine d’années avant que celle-ci ne s’enrichisse, se propage, et s’invite dans le débat public en France. La blogosphère française a été l’une des clés de son importation. L’expression même traduction littérale de climate-skeptic apparaît ainsi en langue française au printemps 2006 sur le blog Climat sceptique, plusieurs mois avant d’être utilisée dans la presse. Le site (abandonné en 2008), tenu par un certain Charles Muller, s’annonce alors comme « le seul site francophone présentant toutes les données scientifiques du débat climatique ». Il est le premier à importer en France un argumentaire circonscrit à la sphère nord-américaine jusqu’au milieu des années 2000.

Négation du réchauffement ou de sa cause anthropique

D’autres blogs, comme Pensee-unique, tenu par un physicien en retraite (spécialiste de la matière en grains), voient le jour à cette période et mettent eux aussi à disposition, en langue française, des éléments de négation de la réalité du réchauffement ou de sa cause anthropique. La blogosphère française a ainsi joué le rôle d’importateur en France et aussi d’incubateur du climatoscepticisme.

De fait, la quasi-totalité des ouvrages grand public niant la réalité du réchauffement lié à l’activité humaine n’a été publiée que plus tard, à partir de 2008. Dans Climat, le vrai et le faux (Le Pommier, 2011), la climatologue Valérie Masson-Delmotte montre qu’une large part des arguments développés dans ces livres sont puisés dans la blogosphère climatosceptique, leurs auteurs, parfois scientifiques chevronnés, n’hésitant pas à recopier le contenu de certains sites sans recul ni vérification.

On peut souvent retrouver sur le Web les sources d’inspiration des personnalités climatosceptiques les plus médiatiques. Ainsi écrivait l’ancien ministre Claude Allègre, dans une tribune publiée par Le Monde le 22 mai 2010 :

« Cet arrêt du réchauffement, nié par personne, a d’ailleurs conduit toute une série de climatologues dûment adoubés à affirmer que les modèles actuels devaient être radicalement revus. Je cite Mojib Latif, de l’Institut Leibniz, en Allemagne, Jochem Marotke, directeur de l’Institut Max-lanck de météorologie à Hambourg, Don Easterbrook de l’université de Washington, Kevin Trenberth, Judith Curry et bien d’autres. »

D’où vient cette liste de chercheurs, la plupart cités à mauvais escient ‘ On retrouve cette série de noms, dans le même ordre, dans un billet publié au début d’avril 2010 sur un blog à tendance climatosceptique (Electron-economy, aujourd’hui disparu)’ L’emprunt est signé par une faute d’orthographe : le blogueur a écrit « Marotke » au lieu de Marotzke, ainsi que s’orthographie le nom du directeur de l’Institut Max-Planck de météorologie. La coquille avait été fidèlement reproduite par M. Allègre.

Petite communauté très active

Après y avoir été surreprésenté notamment à chaque campagne de promotion de livres récemment parus le climatoscepticisme a aujourd’hui largement déserté les grands médias. A quelques exceptions près. Il reste très présent sur les forums et dans la blogosphère, en particulier sur le blog participatif Skyfall, qui réunit une petite communauté très active et héberge le Collectif des climato-réalistes ainsi que se sont eux-mêmes baptisés ceux qui nient la réalité du changement climatique en cours.

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Contre la diffusion de fausses informations, « Le Monde » lance le Décodex

Fruit de plus d’un an de travail, le Décodex, lancé début février 2017 par Le Monde, est un outil qui vise à lutter contre la diffusion virale de fausses informations et à aider les internautes à se repérer dans la jungle des sites producteurs ou relayeurs d’informations : est-ce un média citant ses sources et vérifiant ses informations, un site fabriquant ou propageant de fausses informations, un site militant ne mentionnant pas son affiliation politique Avant de partager une information, différents outils sont à votre disposition pour évaluer la fiabilité du site sur lequel elle est hébergée :

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