Jean-Pierre Filiu ,  Pour faire face à l’EI l’Allemagne doit être soutenue et défendue par ses alliés 

Jean-Pierre Filiu ,  Pour faire face à l'EI l'Allemagne doit être soutenue et défendue par ses alliés 

Grand bénéficiaire du martyre d’Alep, Daech a prouvé à Berlin sa capacité à relancer sa dynamique terroriste, notamment en Europe.

 

L’attaque du 19 décembre contre un marché de Noël à Berlin a été revendiquée par Daech, tout comme celle de la veille contre un site touristique de Jordanie. L’organisation jihadiste a par ailleurs profité de l’acharnement de la Russie contre Alep pour reprendre sa progression territoriale en Syrie. Palmyre, « libérée » en mars 2016, est en effet de nouveau entre ses mains. Si les tendances à l »uvre se confirment en 2017, on doit craindre le pire, entre autres en termes de terrorisme en Europe.

L’IMPASSE DE MOSSOUL

L’administration Obama aura jusqu’au bout été incapable d’apprécier la radicale nouveauté de la menace transnationale de Daech. Ses militaires continuent de publier des bilans abracadabrantesques, parlant désormais de cinquante mille djihadistes tués par les Etats-Unis et leurs alliés depuis août 2014. Avec des pertes aussi énormes, on se demande qui est encore en train de se battre à Mossoul.

Or Washington, après avoir lancé dans un grand tapage médiatique la bataille pour Mossoul, en octobre 2016, est aujourd’hui contraint d’admettre qu’il faudra encore de longs mois avant de reprendre la deuxième ville d’Irak. On rappellera qu’il avait suffi de quatre jours à Daech pour s’emparer de Mossoul en juin 2014. Comment l’organisation jihadiste aurait-elle du mal à recruter si sa combativité s’impose ainsi face au monde entier ‘

Daech a bien encaissé des coups sévères en 2016 : d’abord en juin, avec la perte de la ville irakienne de Fallouja ; puis, au début de ce mois, avec la chute enfin parachevée de son bastion libyen de Syrte. Mais la défaite la plus lourde de conséquences pour Daech a été, en octobre, la reprise de Jarablus par des milices révolutionnaires syriennes, lourdement appuyées par la Turquie. Cette opération, dite « Bouclier de l’Euphrate », a en effet fermé le corridor de circulation entre l’Europe et le « Jihadistan » de Daech.

Cette fermeture handicape et complique les transits de commandos terroristes. Mais c’est compter sans les cellules d’ores et déjà infiltrées et sur la capacité de Daech de les animer depuis Rakka, la ville syrienne où « l’Etat islamique en Irak et en Syrie » a été proclamé en avril 2013. Je l’ai écrit et répété : tant que la planification terroriste continue d’opérer depuis Rakka, la sécurité de l’Europe est tout particulièrement menacée.

REPRENDRE A TOUT PRIX L’INITIATIVE A DAECH

Daech a remporté, de son point de vue, deux importantes victoires les 18 et 19 décembre, à Karak et à Berlin. Sa capacité à infliger enfin un coup majeur au c’ur de l’Allemagne redonne une puissance terrible à sa « campagne d’Europe ». Et frapper la Jordanie, dans la ville même du pilote supplicié par Daech en février 2015, est un défi cinglant lancé au régime du roi Abdallah II. Notons que la sécurité est officiellement rétablie à Karak, alors que le tueur du marché de Noël est toujours en fuite.

Ce n’est cependant pas par des coups de filet, aussi spectaculaires soient-ils, que l’initiative sera reprise à Daech. Mais c’est bel et bien par une offensive coordonnée contre Rakka, afin d’y briser la direction des « opérations extérieures » de Daech. Le paradoxe est que la chute d’Alep a favorisé un rapprochement inédit entre la Turquie, la Russie et l’Iran, rapprochement que même l’assassinat de l’ambassadeur russe à Ankara n’a pas contrarié. On peut imaginer un marchandage où Russes et Iraniens auraient les mains libres à Idlib et à Palmyre, tandis que la Turquie pousserait son avantage et ses protégés vers Rakka (Ankara a déjà enregistré des pertes importantes dans une percée sur la ville d’Al-Bab).

FAILLITE DE LA POLITIQUE D’OBAMA

Ce ne sont pour l’heure que des spéculations, mais l’absence des Etats-Unis dans de telles tractations signe la faillite de la politique de Barack Obama, dont on voit mal comment Donald Trump pourrait l’amender. Le futur président des Etats-Unis, pour qui le terme de « musulman » claque comme une insulte, est déjà l’agent recruteur idéal pour les groupes djihadistes. Quant à Vladimir Poutine, il a démontré, par son escalade dévastatrice à Alep, qu’il entendait bien créer de nouveaux faits accomplis, et non pas attendre le bon-vouloir de Washington.

L’Amérique peut se bercer d’illusion sur son splendide isolement. L’Europe, quant à elle, ne peut s’offrir ce luxe. J’avais mis en garde, après les attentats du 13 novembre 2015, contre « la terrible solitude de la France face à Daech ». Il faut aujourd’hui que l’Allemagne soit soutenue et défendue par ses alliés comme la France aurait dû l’être dès l’an passé. C’est de Rakka qu’émanent ordres et inspiration de la campagne terroriste en cours.

Que Daech devienne enfin l’ennemi des Nations. Pour que 2017 s’ouvre moins tristement que 2016 ne se conclut.

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