Grippe aviaire , le Sud-Ouest retrouve ses canetons

Grippe aviaire , le Sud-Ouest retrouve ses canetons

Le Monde
| 14.05.2016 à 09h20
Mis à jour le
16.05.2016 à 10h17
|

Par Laurence Girard

La précieuse cargaison est très attendue. Près de 6 600 canetons devraient être livrés lundi 16 mai à Bourriot-Bergonce dans les Landes sur l’exploitation de Bernard Duval. Le signal du redémarrage. Un soulagement pour cet éleveur de canards. Comme des milliers d’autres, il a subi le choc du dépeuplement progressif de ses bâtiments et de ses parcours. Et pendant plus d’un mois, les cancanements se sont tus.

Le couperet est tombé le 18 janvier. Plus aucun caneton ne devait entrer dans les fermes de dix-huit départements du Sud-Ouest. Un plan drastique pour tenter d’éradiquer l’épizootie de grippe aviaire apparue en novembre 2015. Comble de malchance pour M. Duval, il devait garnir sa canetonnière avec de nouveaux poussins le 19 janvier, le lendemain du jour fatidique. La livraison ne s’est évidemment pas faite et son bâtiment est resté vide plus que les quatre mois réglementaires.

M. Duval n’en est pas à sa première crise. Un autre coup du sort l’a frappé en 2009 lorsqu’une tempête s’est abattue sur les Landes, déracinant les arbres comme des fétus de paille. La commune de Bourriot-Bergonce n’a pas été épargnée. Avoir vécu cette catastrophe naturelle a-t-elle immunisé l’éleveur au choc de la crise sanitaire ‘ « Lorsque la tempête a soufflé, il y avait des montagnes de pins couchés sur les clôtures, il n’y avait plus de téléphone fixe ni d’électricité, se souvient M. Duval. Mais tout le monde était à la même enseigne, on se battait contre quelque chose de concret. Là, ce qui est déstabilisant, c’est que l’on se bat contre un ennemi invisible. Les canards sont des porteurs sains. Il y a un sentiment de culpabilité ; quelque chose de sournois qui nous échappe. C’est plus difficile à vivre. »

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Arrêt de toute la chaîne de production de canards du Sud-Ouest

L’« ennemi invisible » a fait son apparition publique dans une basse-cour en Dordogne, le 25 novembre 2015. C’est là que, pour la première fois, les vétérinaires ont certifié avoir découvert un virus de grippe aviaire très pathogène. Une première en France depuis 2006. Puis, au fil des jours, le nombre de cas révélés n’a cessé de progresser et la zone géographique concernée de s’étendre. Tous les types de gallinacées ont été pris au piège du virus, des pintades aux poulets en passant par les canards, les oies et les chapons. En avril, il a de nouveau été débusqué, cette fois dans un élevage du Tarn, portant le nombre de cas recensés à 77.

Pour tenter de juguler le phénomène et éviter que les produits avicoles ne perdent leur visa à l’exportation, les pouvoirs publics, en accord avec les professionnels, ont pris une décision radicale. Arrêter toute la chaîne de production de canards du Sud-Ouest, même si le palmipède n’est en rien affecté par le virus, étant porteur sain.

Le vide s’est donc fait par étapes selon le cycle de vie, somme toute bref, d’un volatile. Les accouveurs, les premiers touchés, ont cessé de faire éclore les poussins. Les éleveurs n’ont plus renouvelé leur cheptel et ont livré aux gaveurs leurs derniers spécimens le 18 avril. Finalement, les abattoirs ont baissé le rideau le 2 mai. La filière du Sud-Ouest était vide de canards. Enfin, presque. Car les accouveurs se devaient de garder leurs animaux reproducteurs jugés sains. Une nécessité pour relancer la machine.

Deux modèles de production

Comme M. Duval, Pierre Dufour attend ses poussins lundi. Mais quand l’un est prêt à en réceptionner 6 600, l’autre en espère 200. Deux chiffres qui illustrent bien la coexistence de deux modèles de production. D’un côté, l’artisanat, de l’autre, l’industrie. Et la question revient immanquablement : les petits auront-ils le droit de subsister ‘ Le débat n’est pas clos. L’Etat a édicté des décrets pour fixer les nouvelles règles de sécurité sanitaire après cette opération d’éradication du virus. Les textes évoquent le respect d’un guide des bonnes pratiques. Mais tout n’est pas encore parfaitement clair pour les éleveurs.

« Le guide des bonnes pratiques est écrit par la filière industrielle. Or, il y a une coupure, une incompréhension entre industriels et fermiers, entre filières longues et circuits courts », explique M. Dufour, qui élève, gave, abat, élabore ses conserves dans sa ferme à Saint-Cirq-Lapopie (Lot). Un village très touristique, prisé pour ses vieilles pierres, son environnement naturel et sa bonne chère. Il ajoute : « On nous dit que les visites sont interdites à toute personne étrangère à l’exploitation. Or, c’est ce que les gens recherchent, ils demandent la transparence des circuits courts. » Selon Marie-Pierre Pé, déléguée générale du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog), « sur les 4 000 éleveurs du Sud-Ouest, 700 à 800 pratiquent la vente à la ferme ».

Au c’ur des discussions, le principe de la « bande unique ». Comprendre que les éleveurs ne devraient avoir que des canards du même âge sur leur exploitation. L’enjeu : faire un vide sanitaire total lorsque les animaux partent au gavage ou à l’abattoir. Une méthode d’élevage pratiquée en Vendée ou dans les Pays de la Loire, là où la logique d’industrialisation est la plus aboutie.

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« J’ai hâte de faire entrer des petits »

« La bande unique’, c’est impossible pour les circuits courts. Nous prenons le caneton d’un jour et il termine dans l’assiette », explique Daniel Gesta, dont l’exploitation familiale à Castelnau-Barbarens fait aussi ferme-auberge. Et cet été, le magret frais va disparaître du menu. Il n’a pas manqué d’exposer ses inquiétudes sur le devenir des exploitations dites « autarciques » à Stéphane Le Foll, vendredi 13 mai. Le ministre de l’agriculture, qui était en déplacement dans le Sud-Ouest, a visité un autre élevage à Toulouzette, dans les Landes. Là, chez Serge Tastet, les canetons sont arrivés depuis le 9 mai. Une dérogation obtenue car l’éleveur travaille pour la PME Lafitte, sous Label rouge. Un label qui demande une durée d’engraissement plus longue du volatile.

Chez Lafitte, qui regroupe 80 éleveurs, comme chez les grands intervenants du secteur tels Labeyrie, Delpeyrat ou Euralis, l’organisation industrielle est de rigueur. Les éleveurs sont dits « intégrés ». Ils reçoivent les canetons d’un jour, l’alimentation, puis sont payés à façon, pour chaque canard élevé et engraissé. De même pour le gaveur. Les exploitants agricoles, véritables prestataires, doivent respecter des cahiers des charges, mais ont à leur charge les investissements.

Michel Laugar, qui possède un troupeau de 20 blondes d’Aquitaine et cultive des céréales à Salies-de-Béarn, s’est lancé dans l’élevage de canards pour Labeyrie en 2013. Un investissement de 150 000 euros. « J’ai hâte de faire entrer des petits », dit-il, désireux de se remettre au travail. Comme ses confrères, il a passé du temps à nettoyer et à désinfecter. Il a aussi dû faire une formation, mais n’a pas eu à revoir son organisation. Lui aussi est en « bande unique ». Sa canetonnière peut abriter 6 000 individus. Ils y restent trois semaines avant de poursuivre leur croissance dans des parcs extérieurs.

Reprise des abattages le 15 août

D’autres éleveurs réfléchissent à modifier leur façon de faire. « Pour l’instant, nous redémarrons comme avant, en construisant un sas pour la salle de gavage. Mais nous nous donnons deux ans pour nous agrandir », dit Christophe Barrailh, éleveur-gaveur à Aire-sur-l’Adour (Landes) et président du Cifog. « On peut fonctionner avec le modèle existant, qui est celui du Sud-Ouest, en respectant les règles sanitaires, explique-t-il. Mais c’est plus facile de travailler avec moins d’âges différents sur un élevage de canards. Sauf qu’il faut construire des bâtiments plus grands. » Il envisage de faire passer sa canetonnière de 3 000 à 6 000 places, tout en maintenant sa production de 50 000 canards gavés par an.

M. Duval, lui, a déjà déposé une demande d’aide à la rénovation des bâtiments. Il veut investir 100 000 euros pour accroître sa capacité d’accueil de canetons et être en mesure d’en réceptionner 9 000. Il veut diminuer en parallèle le nombre d’âges différents sur son exploitation de 5 à 3. Au total, cet éleveur d’Euralis réduira sa capacité de production de 10 %.

Difficile aujourd’hui de savoir combien de canards seront produits cette année dans le Sud-Ouest. Le Cifog avait estimé la perte à un tiers, soit 10 millions de canards. Un chiffre encore théorique. Les éleveurs ont fait une première évaluation pour déposer leur demande d’aide.

Le gouvernement a annoncé une enveloppe de soutien de 130 millions d’euros et vendredi, Stéphane le Foll a promis un plan d’investissement de 220 millions d’euros sur cinq ans pour les mesures de biosécurité pour la filière. Le ministre de l’agriculture a rappelé que les premières avances d’indemnisation pour les éleveurs seraient distribuées en mai et juin.

Dans les abattoirs et les conserveries, des mesures de chômage partiel sont mises en place. Chez Delpeyrat, par exemple, les quatre abattoirs du Sud-Ouest sont fermés pour quatre mois, avec un temps de chômage partiel limité à deux mois pour les 250 salariés. Les 200 employés des deux conserveries, eux, prendront toutes leurs vacances durant l’été, mais ne seront pas autrement touchés. L’abattoir de Vendée, qui continue à fonctionner, va les alimenter, ainsi que des oies et des canards congelés et stockés avant la fermeture. Tous ont maintenant en ligne de mire le 15 août. Avec la reprise des abattages, le cycle du canard du Sud-Ouest devrait à nouveau être totalement réenclenché. A condition que « l’ennemi invisible » ne fasse pas une réapparition.

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