Franceinfo , le service public dans le grand bain des chaînes d’information

Franceinfo , le service public dans le grand bain des chaînes d'information

Le Monde
| 31.08.2016 à 11h26
Mis à jour le
01.09.2016 à 12h15
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Par Alexis Delcambre

A l’origine, il y a un traumatisme. Mai 2002 : Jacques Chirac est réélu à la présidence de la République, Lionel Jospin se retire de la vie politique. Dans une France sonnée par le choc du « 21 avril » se règle le sort d’un projet médiatique majeur : la création d’une chaîne d’information publique, que France Télévisions prépare depuis des mois. Son président, Marc Tessier aujourd’hui membre du conseil de surveillance du Monde , veut développer la télévision publique sur de multiples canaux. Il a su convaincre ses tutelles, Laurent Fabius à Bercy et Catherine Tasca à la culture, de l’opportunité de créer de nouvelles chaînes, dont une d’information. A Matignon, Lionel Jospin s’est laissé séduire par ce projet, qui pourrait accompagner son arrivée à l’Elysée et contrebalancer l’influence de LCI, jugée favorable à la droite. Un nouveau contrat d’objectif et de moyens pour France Télévisions a été rédigé, et la signature du décret qui l’approuve, à trois jours du second tour de la présidentielle, est un des derniers gestes du premier ministre Jospin, secondé par son directeur de cabinet, Olivier Schrameck.

L’idée est de contrecarrer les excès de l’information en continu, après que le CSA a tancé de nombreux médias pour leur couverture des attentats de janvier

Las ! Sitôt revenue aux affaires, la droite ne tarde pas à tuer le projet sur lequel ont planché les journalistes Bernard Benyamin et Paul Nahon. Officiellement, les ambitions de Marc Tessier sont trop coûteuses. Officieusement, il s’agit de protéger LCI d’une nouvelle concurrence. Pour la gauche, ce geste est évidemment un renvoi d’ascenseur en faveur du groupe TF1 : dans une tribune publiée dans Le Monde du 14 juin 2002, le député (PS) Didier Mathus annonce que « l’heure du salaire va sonner » pour TF1 et que la liquidation du projet de chaîne d’info publique, entre autres gestes, vient récompenser le groupe privé « pour services rendus à la cause chiraquienne », à savoir « la création et la diffusion d’un climat, d’une ambiance autour de la question de la délinquance ».

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« Une plaie béante »

Le projet reste dans les cartons. Dans les années qui suivent, l’information en continu à la télévision se développe, stimulée par la mise en place de la télévision numérique terrestre (TNT) en 2005. Mais ce mouvement historique s’accomplit sans le service public : ce sont i-Télé et une nouvelle venue, BFM-TV, qui obtiennent les nouveaux canaux. Puis Jacques Chirac insuffle la création en 2006 de France 24, une chaîne d’information destinée à incarner « la voix de la France » dans le monde. Dans les rédactions de l’entreprise publique, l’échec du projet de Marc Tessier reste « une plaie béante », pour reprendre l’expression d’un journaliste.

L’idée resurgit ici ou là, au gré des réflexions et des rapports sur l’audiovisuel public, confortée par le constat que la plupart des pays européens disposent d’une chaîne d’information publique, dont le Royaume-Uni avec BBC News, la référence. On la voit par exemple réapparaître en 2012 dans un rapport rédigé par Jean-Paul Cluzel sur l’avenir de l’« Audiovisuel extérieur de la France ». L’ancien président de Radio France imaginait un rapprochement entre France 24 et France Télévisions pour éditer une chaîne d’information à diffusion nationale. Ou encore en 2013, lors du débat parlementaire sur l’indépendance de l’audiovisuel public.

Le candidat François Hollande, lui, n’a rien dit sur le sujet. La création d’une chaîne d’information publique ne figure pas dans ses soixante engagements. La thématique va pourtant resurgir lors des trois premières années du quinquennat.

Cette résurgence vient d’abord de la difficile relation du pouvoir hollandais aux chaînes d’information et notamment à BFM-TV. Les premiers mois du gouvernement de Jean-Marc Ayrault sont marqués par une série de « couacs » que les chaînes en continu exploitent. François Hollande lui-même se fait spectaculairement piéger en octobre 2013, quand BFM-TV fait réagir Leonarda, une adolescente expulsée au Kosovo, immédiatement après une allocution du président. Dévastatrice pour l’autorité présidentielle, la séquence symbolise toute la difficulté de l’Elysée à s’adapter à la mécanique et aux écueils de l’information en direct.

Ces expériences malheureuses convainquent l’Elysée que les chaînes d’info en continu lui sont hostiles. On les accuse d’obliger les ministres à communiquer dans des temps trop courts, de mettre en scène des points de vue extrêmes’ C’est de leur faute si les Français sont déçus, pense-t-on. L’heure est au « BFM-bashing ». « L’idée s’est répandue qu’on avait besoin d’autre chose », relate un haut fonctionnaire du secteur.

En parallèle, les réflexions sur l’audiovisuel public battent leur plein, alors que les présidences de Radio France et France Télévisions doivent être renouvelées, en 2014 et 2015. Au ministère de la culture ou à l’Elysée, on sait que les deux entreprises sont désormais structurellement déficitaires et que les ressources publiques sont limitées, à un moment où elles doivent investir sur le numérique. Comment résoudre cette équation ‘ Pour certains, dont David Kessler, le conseiller médias de François Hollande, passé par Radio France et France Télévisions où il a conseillé Marc Tessier, et par le cabinet de Lionel Jospin, l’horizon est inéluctablement celui d’un rapprochement entre les deux entités.

Lutter contre les conspirationnistes

François Hollande se montre sensible à cette approche lors d’une intervention prononcée à l’occasion du 50e anniversaire de la Maison de la radio, le 17 décembre 2013. « Faudra-t-il rapprocher les sites de la radio et de la télévision pour créer un grand service public audiovisuel numérique qui allie sons et images originales et spécifiques ‘ La question se posera certainement dans les années à venir », lâche le chef de l’Etat, à la surprise générale. En écho, fin 2014, France Télévisions évoque le projet d’une « chaîne d’information numérique » comme horizon de son projet de fusion des rédactions. Mais le président de Radio France, Mathieu Gallet, revendique lui aussi le leadership sur cette idée. « France Info n’a-t-elle pas pour vocation de devenir le média global d’informations en continu que le service public n’a pas ‘ », s’interroge-t-il au même moment.

L’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, finit de légitimer, aux yeux du gouvernement, la nécessité d’une chaîne d’information publique. Que peut faire le service public face à une jeunesse qui n’a pas toujours respecté les minutes de silence à la mémoire des journalistes assassinés, et qu’on imagine la proie facile du conspirationnisme ‘ De Fleur Pellerin à Najat Vallaud-Belkacem, l’idée d’une plate-forme d’information publique qui puisse toucher les jeunes, donc diffusée largement sur le numérique, devient une évidence. L’idée est aussi de contrecarrer les excès de l’information en continu, après que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) présidé par l’ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin, Olivier Schrameck a tancé de nombreux médias audiovisuels pour leur couverture des attentats de janvier. « Le gouvernement s’est approprié l’idée, résume Patrick Bloche, le président (PS) de la commission des affaires culturelles à l’Assemblée nationale. Il a suivi cette affaire de très près, y compris au plus haut niveau de l’Etat. »

A quelques semaines de la désignation, par le CSA, d’un nouveau président de France Télévisions, le gouvernement doit justement formuler les orientations qu’il fixe à l’entreprise avant ce nouveau mandat. Le 4 mars 2015, Marc Schwarz directeur financier de France Télévisions sous la présidence de Marc Tessier préconise un « renforcement de l’offre publique d’information » en « coopération étroite » avec les autres entreprises de l’audiovisuel public. Sans être parfaitement explicite, la suggestion est limpide.

Des équipes rétives

Elle n’échappe pas, en tout cas, à celle qui prépare en toute discrétion sa candidature à France Télévisions : Delphine Ernotte-Cunci. Depuis Orange, où elle est directrice générale et où David Kessler a atterri après avoir été remplacé, à l’Elysée, par Audrey Azoulay, elle comprend l’importance du sujet aux yeux du gouvernement et du CSA et se l’approprie à son tour. Son projet propose de « faire émerger une chaîne de compréhension pour dépasser l’émotion », qui pourrait être « mise à l’antenne en septembre 2016 ». « Il est de la responsabilité éthique et morale de l’audiovisuel public de sortir de cette logique du buzz permanent pour garantir à l’audience une information de qualité », écrit-elle. Des mots qui visent juste, d’autant plus que Mme Ernotte souhaite développer ce projet avec les autres entreprises de l’audiovisuel public.

Delphine Ernotte est élue et s’installe à France Télévisions. Une semaine à peine après son entrée en fonction, le 1er septembre 2015, un communiqué commun avec son homologue de Radio France, Mathieu Gallet, annonce que les deux entreprises vont collaborer sur ce projet. A l’origine, M. Gallet n’était pourtant pas enthousiaste : « France Info est là depuis trente ans », rappelait-il quelques jours avant, tandis que la radio d’information se revendiquait « la chaîne d’information en continu du service public ».

Mais M. Gallet, essoré par une longue grève au printemps 2015, en délicatesse avec sa tutelle et conseillé, comme Mme Ernotte, par le communicant Denis Pingaud, a compris qu’il valait mieux jouer le jeu. Pour piloter le projet, chacun désigne un responsable : ce sera Laurent Guimier pour France Info, et, côté France Télévisions, le fraîchement recruté Germain Dagognet, lointain collaborateur d’Olivier Schrameck quand Lionel Jospin était ministre de l’éducation nationale, devenu rédacteur en chef chez LCI et TF1, où il a notamment rencontré Michel Field et Anne Sinclair.

« Quant à la nouvelle chaîne d’info du service public, quelle est son utilité alors même qu’il y a déjà trois chaînes d’info gratuites et TNT »

C’est le début d’une longue phase diplomatique lors de laquelle France Télévisions, Radio France, mais aussi France Médias Monde et l’INA, vont négocier leurs apports au projet, et y faire adhérer des équipes en partie rétives, notamment côté numérique. Le suivi des travaux est assuré par le ministère de la culture, où Audrey Azoulay succède à Fleur Pellerin. Elle aussi connaît le projet : n’était-elle pas chef du bureau du secteur audiovisuel public à la direction du développement des médias (DDM, devenue direction générale des médias et des industries culturelles) du ministère au début des années 2000 ‘

Sarkozy attaque

« C’est la fin d’une anomalie, défend M. Bloche. Et aussi l’idée que du pluralisme, de la multiplication des acteurs, naîtra un traitement de l’information peut-être moins hostile au gouvernement en place. » Quatorze ans après, Marc Tessier se réjouit : « Delphine Ernotte m’a demandé mon avis, je lui ai dit de foncer ! Il est bien que France Télévisions ait enfin obtenu l’autorisation de développer son projet et de se mettre à la hauteur des attentes du public et d’exploiter tout le potentiel de ce qui est la première rédaction de France, avec ses réseaux local et international. »

La défense de cette force journalistique, dans un contexte où les moyens manquent, est une des justifications du projet et explique la quasi-unanimité des syndicats de France Télévisions pour le soutenir. Avec un lancement près d’un an avant la présidentielle, tout a été fait pour rendre le projet irréversible, même en cas d’alternance. A moins que ‘ Dans son livre-programme Tout pour la France (Plon, 240 p., 18 euros), Nicolas Sarkozy a pris date : « Il y a sans doute une chaîne de trop [à France Télévisions] », affirme-t-il, avant d’attaquer : « Quant à la nouvelle chaîne d’info du service public, quelle est son utilité alors même qu’il y a déjà trois chaînes d’info gratuites et TNT ‘ » Comme un air de 2002.

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