Fashion Revolution Day , Enok Groven portrait d’un mannequin engagé

Fashion Revolution Day , Enok Groven portrait d'un mannequin engagé

Si le Fashion Revolution Day commémore chaque année le drame du Rana Plaza, au Bangladesh, en insistant sur la nécessité de veiller aux impacts sociaux et environnementaux du secteur de la mode, il est rare d’entendre des mannequins prendre la parole sur ce sujet. Quand Enok Groven s’est présenté à moi comme « Green Model » en décembre dernier, j’ai d’abord remarqué sa longue barbe et cru voir un hurluberlu. Mais non : derrière ce qui aujourd’hui se qualifie aisément d’hipster se cache un mannequin aux allures de Viking et au grand c’ur, fier de ses origines et désireux de largement partager sa démarche.

Il rêvait d’une autre mode

Ce Norvégien aux grands yeux (forcément) bleus de 32 ans a tenté sa chance dans le mannequinat la première fois en 2010 à Milan. « Je crois en moi et j’aime les défis » reconnaît celui qui, depuis petit, se dit sensible à la cause environnementale. « En débutant ma carrière de modèle international en 2011, j’ai rencontré de nombreux jeunes et brillants mannequins qui n’en avaient rien à faire. Cela m’a donné envie d’agir, de leur dire que notre métier peut changer le monde, et qu’il faut bosser dur pour cela ».

Enok Groven a donc lancé le mouvement Fashion Against Climate Change (FACC) qui compte un peu plus de 300 membres sur Facebook et invite à suivre un principe simple : savoir dire non et refuser de l’argent. « C’est un code de conduite que je m’applique, en posant nombre de questions aux maisons qui m’approchent. La plupart refusent de travailler avec moi ensuite… même si elles sont très enthousiastes au départ, elles ne répondent pas à mes interrogations. L’industrie de la mode n’aime pas qu’on lui pose des questions. Tout comme l’industrie publicitaire d’ailleurs » souligne le jeune homme, qui explique aussi sa démarche dans la vidéo suivante :

Si son activité est, de fait, beaucoup moins rémunératrice que les mannequins « traditionnels », certaines marques s’emparent avec joie de son positionnement. C’est ainsi qu’en 2014 la marque de jean Replay lui propose de participer à sa campagne publicitaire « EcoWarriors for L.I.F.E. » :

« Ils voulaient travailler avec de vrais environnementalistes. Et c’est ce qu’ils ont eu ! Je n’ai jamais trop su s’il s’agissait pour eux de verdir leur image ou réellement s’engager, mais je me suis dit que cela pouvait inspirer le changement, et quelle que soit leur intention, cela jouerait pour ma réputation de mannequin comme d’activiste. C’était une opportunité que j’attendais depuis longtemps » explique Enok Groven.

N’hésitant pas non plus à participer à une célèbre émission de TV réalité norvégienne en 2014 (Anno 1764, où la quinzaine de participants se soumet à un mode de vie digne de l’époque dans une ville agricole norvégienne), il est nommé Star de Télé Réalité 2015 en Norvège. Une réputation qu’il utilise pour dénoncer la présence de plusieurs produits contenant des OGM dans les rayons de supermarchés, au point de provoquer un débat national sur la question.

Debut 2016, il s’engage aussi auprès de CChallenge pour dénoncer le gaspillage alimentaire : invitant une équipe de tournage de la chaîne nationale Norvégienne (NRK) à le suivre lors d’une session de glanage urbain (« dumpster dive » en anglais), il montre à l’écran les quantités de nourriture que l’on retrouve intactes à la poubelle. L’émission passe à une heure de grande écoute, obligeant le directeur de la chaîne de supermarché en question (qui représente 40% des supermarchés en Norvège) à se prononcer pour une évolution du cadre règlementaire sur le sujet.

Touche à tout

Entre un déplacement à Marseille pour le tournage d’une publicité (Tuborg, une marque de bière danoise), un défilé à Copenhague pour une créatrice avant gardiste (Barbara I Gongini), un tournage pour la dernière campagne de Greenpeace ou une action Detox Outdoor’ devant un magasin de vêtements Norvégien renommé à Bergen, Enok Groven trouve le temps de tourner des films et de monter un projet musical autour de la culture Viking : « j’ai fondé Rafnborg l’an dernier, un projet qui a pour objectif de recréer des « voyages » qui pourraient s’être déroulés à l’époque Vinking. Ce n’est pas tant de la musique Viking qu’une façon d’évoquer ces temps disparus par l’usage de sons originaux, de techniques musicales qui survivent encore dans d’autres cultures » explique-t-il (extrait ci-dessous)

Rafnborg est issue de la collaboration entre les vocalistes Enok Alfsson Groven et Maria Aker Jakobsen, le joueur de corne Even Askfathir Gjertsen, Lars Magnar Enoksen et le réalisateur Jørn Lavoll.

De quoi renouer avec ses origines et à cultiver un héritage qui se perd avec la mondialisation de la pop culture. Regrettant l’oubli des rites de passages, la célébration des saisons et la perte des valeurs comme l’honnêteté, la bravoure, la persévérance et l’hospitalité, il vit avec son monde tout en prenant du temps loin des écrans pour s’interroger sur le sens qu’il peut donner à sa vie !

En attendant, dans le futur il souhaiterait faire de FACC une marque de mode éthique, lancer une charte pour encadrer les pratiques du secteurs, rencontrer Sting pour lui proposer de co-écrire une chanson dénonçant la déforestation, discuter avec Leonardo DiCaprio pour parler changement climatique ou avec Neil Young pour lancer une guerre contre les OGM, échanger avec Vivienne Westwood pour engager le secteur de la mode dans la lutte contre le changement climatique… ou bien encore faire un documentaire en Amérique du Sud pour dénoncer les risques qu’il y a à défendre l’environnement. Un programme bien complet en perspective !

FOCUS – Les mannequins peuvent-ils changer la mode ‘

Pour Isabelle Quéhé, spécialiste de la mode éthique et l’une des architectes du Fashion Revolution Day, « la mode a connu une période où l’on dénonçait son côté glauque, notamment le traitement des mannequins, souvent anorexiques, mais les mannequins dénonçant les processus de fabrication sont encore très peu nombreux ».

Chrystèle St Louis Augustin, ex top model des années 1990 et 2000, confirme ce constat. Si elle avoue avoir été sensibilisée à l’usage de la fourrure par l’association PETA et avoir à l’époque chargé son agent de préciser qu’elle refusait de travailler pour les démarches qu’elle ne considérait pas éthique, c’est à tous les niveaux de la filière qu’il faut se mobiliser. « Il faut surtout comprendre que les mannequins sont souvent de très jeunes filles et qu’il y a une forte compétition, il est donc délicat de se mettre une balle dans le pied et de perdre son boulot » précise-t-elle, tout en insistant également sur le rôle des blogueuses, dont le pouvoir est immense sur le secteur aujourd’hui. « La mode créé du désir là où il n’y en a pas pas forcément, on peut donc l’utiliser pour son pouvoir politique ».

Anne-Sophie Novel / @SoAnn sur twitter

Signaler ce contenu comme inapproprié

Leave A Reply