Evasion fiscale , la justice française reste timorée envers les banques

Evasion fiscale , la justice française reste timorée envers les banques

La justice française a condamné jeudi la banque Reyl à 1,8 million d’euros d’amende dans l’affaire Cahuzac, une pénalité très faible au regard de ce qui se pratique outre-Atlantique ou à Bruxelles.

Le Monde
| 09.12.2016 à 17h36
Mis à jour le
09.12.2016 à 18h12
|

Par Mathilde Damgé

La banque suisse Reyl & Cie a été condamnée jeudi 8 décembre par la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris à une amende de 1,875 million d’euros pour blanchiment de fraude fiscale et pour avoir participé activement à la dissimulation des avoirs de l’ex-ministre du budget Jérôme Cahuzac (lui-même a été condamné à trois ans de prison ferme).

Une pénalité extrêmement faible si on la compare aux récentes amendes infligées par les autres autorités de régulations dans le monde. Les gendarmes américain, britannique ou suisse ont la main beaucoup plus lourde si l’on regarde la moyenne des amendes auxquelles ont été condamnées des institutions financières pour des accusations d’évasion fiscale.

Reyl était accusée d’avoir organisé en 2009 le transfert vers Singapour du compte du seul Jérôme Cahuzac par l’intermédiaire de sociétés extraterritoriales, au Panama et aux Seychelles. Il est donc compréhensible que le montant soit moins important que pour des banques condamnées pour des montages concernant plusieurs clients : par exemple, en octobre, la banque Credit Suisse a réglé un différend fiscal avec l’Italie en acceptant de verser à Rome 109,5 millions d’euros.

Critiques françaises contre la justice américaine

Mais cette faiblesse tricolore se confirme si l’on regarde l’ensemble des amendes’ et l’absence de poursuites judiciaires ; les dates des procès de la banque suisse UBS et de sa concurrente britannique HSBC, accusées de démarchage illicite de clients et de blanchiment de fraude fiscale, ne sont toujours pas connues’

François Hollande a critiqué récemment les sanctions américaines contre les banques européennes ; il a déploré « un excès de pouvoir pour récupérer de l’argent » et a accusé l’Amérique d’être « sans aucune gêne quand il s’agit de demander 8 milliards à la BNP ou 5 milliards à la Deutsche Bank ». L’établissement allemand est menacé par une amende record (14 milliards de dollars) du département de la justice des Etats-Unis pour avoir vendu des crédits immobiliers à haut risque (subprimes), responsables de la crise financière.

Par rapport à l’ensemble des motifs touchant aux décisions de justice envers les banques, les pénalités françaises paraissent très faibles au regard de ce qui se pratique outre-Atlantique ou même désormais au niveau européen.

Nous avons continué de compiler, de la façon la plus exhaustive possible, les pénalités infligées par des autorités financières aux banques depuis le début de la crise en 2007 (daté traditionnellement de la suspension de trois fonds de la BNP Paribas le 9 août de cette année-là). Nous rendons ces données accessibles dans leur intégralité, dans ce tableur en données ouvertes. La décision du régulateur est en lien à chaque fois qu’elle était disponible ; à défaut, nous avons mentionné un article de presse qui en rendait compte. Nous nous sommes concentrés sur les amendes supérieures à 1 million de dollars, infligées aux banques uniquement (donc en excluant les fonds d’investissement et les particuliers).

Durcissement au niveau mondial

La veille de la décision de la justice française dans l’affaire Cahuzac, la Commission européenne a sanctionné à hauteur de 485 millions d’euros les banques française Crédit agricole, britannique HSBC et américaine JPMorgan pour avoir participé à une entente de manipulation de taux d’intérêt.

Le scandale des manipulations de taux d’intérêt (Libor, Euribor, Tibor, etc.) qui a éclaté à la fin de 2012 a conduit l’Union européenne à durcir le ton : ainsi, les trois banques qui avaient refusé de s’acquitter de leur amende en 2013 ont vu leurs pénalités augmentées de presque trois fois (si l’on prend la moyenne de l’amende ramenée au temps pendant lequel la banque a fraudé), en vertu d’un renforcement de la régulation :

« En juin 2016, sur proposition de la Commission, le Parlement européen et le Conseil de ministres de l’UE ont ainsi adopté un nouveau règlement sur les indices de référence. En vertu de ce règlement, qui renforce les pouvoirs d’enquête et de sanction des régulateurs, toute manipulation des indices financiers comme l’Euribor constitue une violation des règles relatives aux marchés des capitaux. »

Bruxelles n’a pas le pouvoir d’imposer des pénalités pour fraude fiscale, mais elle peut sanctionner les entreprises qui enfreignent le droit communautaire (elle a pu exiger à ce titre la rétrocession d’un impôt non versé par Apple à l’Irlande). Certains, comme Michel Barnier, ancien commissaire européen aux services financiers (2010-2014), appellent à la création d’un poste de « procureur financier » européen.

Deux des plus grandes banques australiennes, ANZ et Macquarie, sont actuellement poursuivies par la justice de leur pays pour avoir manipulé la monnaie malaisienne, à partir de Singapour. L’amende pourrait s’élever à plus de 50 millions de dollars pour les deux institutions financières.

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