Emotion et colère après la tuerie dans une boîte de nuit d’Orlando

Emotion et colère après la tuerie dans une boîte de nuit d'Orlando

Le Monde
| 13.06.2016 à 06h57
Mis à jour le
13.06.2016 à 09h13
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Par Gilles Paris (Orlando, envoyé spécial)

C’est comme si un arc-en-ciel était apparu dans la nuit d’Orlando (Floride). La grande roue installée depuis 2015 dans cette capitale américaine des parcs d’attraction porte, dimanche 12 juin au soir, les couleurs du drapeau de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT).

Elle l’avait fait joyeusement en janvier 2015 lorsque la Cour suprême des Etats-Unis avait légalisé le mariage entre personnes de même sex. Cette fois-ci, ces couleurs sont synonymes de deuil et se veulent un hommage à la cinquantaine de personnes tuées, dans la nuit du 11 au 12, au Pulse, une boîte de nuit LGBT de la ville, sous les balles tirées par un Américain, Omar Mateen.

Né à New York de parents afghans, l’homme est venu de Fort Pierce, où il réside, sur la côte atlantique, à environ 200 kilomètres d’Orlando. Avant de se diriger vers l’entrée de la discothèque, il a appelé le numéro d’urgence, le 911, pour un bref appel dans lequel il a fait référence à l’organisation Etat islamique (EI).

Au Pulse, tout a basculé vers 2 heures du matin. C’est l’instant choisi par Omar Mateen pour passer à l’attaque. Environ trois cents personnes se retrouvent là pour un samedi soir festif qui bascule dans le sang. La semaine précédente, cet agent de sécurité de 29 ans a acheté deux armes à feu, une arme de poing et un AR-15, un fusil d’assaut très répandu aux Etats-Unis qui a toutes les apparences d’une arme de guerre ainsi que la dangerosité.

Un officier de police, qui travaillait comme agent de sécurité dans le club, est intervenu, rejoint par deux agents déployés à proximité. Après des échanges de coups de feu, le tireur serait, semble-t-il, ressorti avant de regagner l’intérieur de la boîte de nuit. La prise d’otages débute.

Décompte macabre

Il est près de 5 heures quand les équipes de l’unité d’élite de la police, le SWAT, lancent l’assaut. Deux explosifs posés par la police détonnent pour faire diversion et un véhicule blindé est utilisé pour pénétrer à l’intérieur du club. Après un échange de tirs nourris, Omar Mateen est tué, manifestement les armes à la main. La police en fait l’annonce à 5 h 53.

Après que la police a tué Omar Mateen, un décompte macabre commence, ainsi qu’un long travail d’identification. L’Amérique se réveille avec la terrible nouvelle : une vingtaine de morts, mais le nombre n’est que provisoire. En fin de journée, dimanche, le bilan officiel de la tuerie fait état d’une cinquantaine de tués, pour la majorité dans les murs du Pulse mais également dans les hôpitaux où des victimes ont été transportées dans un état critique. Les premiers noms communiqués ont souvent une consonance hispanique. Le même bilan indique un nombre similaire de blessés. Dans la journée, des files d’attente se forment rapidement devant des établissements hospitaliers d’Orlando pour des dons de sang.

Des bougies brûlent dans la nuit. Sur Orange Avenue, derrière les rubans jaunes disposés par la police qui barrent l’accès au lieu du drame. Dans le parc du lac Eola, où une centaine de personnes s’est recueillie en fin de journée. Elles brûlent aussi devant le Parliament House, un autre club LGBT situé à une dizaine de minutes en voiture de la boîte de nuit martyre. Le panneau lumineux qui annonce les spectacles le proclame : « Nous sommes Pulse, indestructibles. » « Orlando est fort ! », lui répond celui du MacDonald le plus proche de la tragédie.

« J’aurais pu être au Pulse »

Le même slogan figure sur l’affiche que Dani Herboso serre contre elle, quelques heures plus tôt, sur une Orange Avenue qui n’est plus empruntée que par les voitures de la police, aux abords du théâtre de la plus grande tuerie perpétrée avec arme à feu de ces dernières années. « J’étais avec des amis ce soir-là, mais j’aurais pu être au Pulse. Cet endroit m’est très familier, j’y ai même réalisé un film, raconte-t-elle. La semaine dernière, c’était les Gay Days, ici », une manifestation en l’honneur des homosexuels hébergée par Disney. « Il y avait tant de monde, si quelqu’un avait voulu faire la même chose qu’au Pulse, cela aurait été encore pire », s’effraie-t-elle.

A côté d’elle, un jeune homme qui ne donne que deux initiales pour son nom, « C.J. », a traversé une partie de la Floride pour être là. Il vend des autocollants, des rubans noirs dont se détachent les six couleurs du drapeau gay et le nom du Pulse. « Nous, les gays, nous sommes une famille, et donc nous sommes tous concernés par ce qu’il vient de se passer. Je ne pouvais pas ne pas venir », explique-t-il.

Non loin de là, Elizabeth Kohl, les yeux rougis de fatigue, croise les bras sur sa poitrine malgré la chaleur pesante du début d’après-midi. Quelques centaines de mètres séparent sa maison, sur Harding Street, de la boîte de nuit. Réveillée par une explosion, puis par les sirènes des ambulances, elle s’est précipitée sur les lieux, incrédule. « Les gens accouraient, j’ai vu un jeune en larmes, une main abîmée, je l’ai ramené chez moi pour le soigner. Il pleurait, se désespérait de ne pas avoir des nouvelles des amis avec lesquels il se trouvait. »

Le jeune homme, un Portoricain, ne s’exprime qu’en espagnol. Elizabeth Kohl a demandé à son voisin, Jay Daniel, de traduire. Après avoir examiné la blessure, elle a conduit la victime à l’hôpital le plus proche avant de revenir chez elle, dans le tumulte. Deux hélicoptères avaient déjà pris position dans le ciel et ils patrouillent inlassablement dans le ciel gris, au-dessus de la zone délimitée par les rubans jaunes. D’autres affrétés par les chaînes de télévision les rejoignent un peu plus tard.

Depuis cette nuit, la jeune femme essaie de comprendre, collée à sa télévision et à son téléphone portable. « C’est tellement, tellement, tellement triste », glisse-t-elle, visiblement émue.

« Orlando s’en remettra »

Ouvert en 2004, le Pulse était réputé dans le quartier et au-delà. « Pour un étranger gay, c’est là qu’il fallait venir, assure Dani Herboso. « Un endroit animé, mais où il n’y a jamais eu de soucis », soupire Jay Daniel. Ce n’est pas non plus un quartier à problèmes, quelques gens font parfois un peu trop la fête, mais rien de plus. »

C’est ce que confirme un jeune père de famille refusant de donner son nom qui habite un peu plus près, au 1824, sur Hollenbeck Street. « Hier soir, je suis rentré tard, vers minuit, avec ma femme, d’une promenade en bicyclette. Lorsque la police est intervenue, on a compris qu’il se passait quelque chose d’anormal. Ils étaient tellement nombreux. Très vite, on a eu l’impression qu’ils avaient le contrôle de la situation. Alors nous n’avons pas eu le temps d’avoir peur. » Quand on l’interroge sur ces attentes dans les jours prochains, il réfléchit un instant, puis répond : « Orlando s’en remettra, c’est une ville très dynamique, mais c’est sûr qu’il va aussi y avoir un long deuil. »

Au nord du Pulse, sur Orange Avenue, des dizaines de camions régie sont installés pour un long siège et une succession ininterrompue de directs. Hassan Shibly, un responsable du Conseil des relations américano-islamiques pour la Floride, multiplie les entretiens. « Nous, musulmans américains, nous sommes endeuillés comme tout le monde dans le pays. Nous avons en Floride d’excellentes relations avec les autres religions mais aussi avec la communauté LGBT, assure-t-il. Il faut donc résister à la haine, personne ne peut nous vaincre à part nous-mêmes, nous ne perdrons que si nous nous divisons. »

Inutile de rappeler à Hassan Shibly les tueries de San Bernardino (Californie), en décembre 2015, ou un peu plus loin dans le passé l’attentat du marathon de Boston, dans le Massachusetts, en 2013, ou la fusillade de Fort Hood, au Texas, en 2009. Autant de drames liés au djihadisme.

« Nous en sommes également les victimes à cause des amalgames auxquels ils donnent lieu. Il y a eu une flambée d’actes antimusulmans en Floride après San Bernardino, assure-t-il. Mais ce qui compte aujourd’hui, c’est de montrer notre solidarité, que ce soit par des prières ou des collectes de fonds au profit des victimes. »

« Un loup solitaire »

« Rester uni », « résister à la peur », « montrer ce que nous sommes », voilà les messages délivrés par les deux sénateurs de l’Etat, le démocrate Bill Nelson et le républicain Marco Rubio, qui avait été candidat à l’investiture républicaine pour la présidentielle du 8 novembre.

Les deux hommes se montrent sur place soucieux de consensus. Interrogé sur une possible défaillance du FBI, qui avait questionné à deux reprises par le passé Omar Mateen, notamment pour des propos radicaux tenus sur son lieu de travail, M. Rubio refuse d’ouvrir une polémique et s’en remet à la prudence. « Il est impossible de surveiller les milliers de personnes », susceptibles de tenir de tels propos, estime-t-il.

« Il va falloir en tirer les enseignements nécessaires, mais on ne peut pas à ce stade faire porter le chapeau à qui que ce soit. C’est un loup solitaire et on ne peut pas être efficace à 100 % contre un loup solitaire », assure M. Nelson, au cours d’une conférence de presse improvisée à quelques mètres des barrières de police. « Ce qui compte, c’est aussi de continuer à vivre de la même manière et de commencer un long travail de deuil », ajoute le sénateur.

Venu par respect pour les victimes, le jeune José Alberto Notaro, 19 ans, ne cache pas son désarroi. « Je ne suis jamais allé au Pulse mais je vais moi aussi en boîte et ça aurait donc pu m’arriver. Ce pays va mal, il est divisé entre communautés, certains se font leur propre lavage de cerveau, comment s’en sortir ‘ », soupire-t-il.

Dans l’église du Calvaire, en présence du gouverneur de Floride Rick Scott, les fidèles ont actionné à la demande du prêtre la lumière de leur portable pour une minute de silence. Plus tard, une enseigne devenue tristement célèbre s’est allumée dans la nuit d’Orlando. Entourée par le ch’ur lumineux des gyrophares et des sirènes des voitures de police. Celle du Pulse. La lettre majuscule de la discothèque baigne dans un halo rouge qui est ce soir la couleur du sang.

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