Du danger de parler avec la Reine d’Angleterre quand les caméras rôdent

Du danger de parler avec la Reine d'Angleterre quand les caméras rôdent

Le Monde
| 11.05.2016 à 15h59
Mis à jour le
11.05.2016 à 16h09
|

Par Luc Vinogradoff

En 24 heures, deux conversations enregistrées à l’insu des participants, toutes deux avec la Reine d’Angleterre Elizabeth II à leur centre, ont provoqué un début d’incident diplomatique, mettant sur le devant de la scène médiatique des blagues sur la corruption des Nigérians et sur le manque de politesse des Chinois.

Le premier acte a eu lieu le 10 mai. Reconstituons la scène comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre.

Les personnages : la Reine d’Angleterre Elizabeth II ; le premier ministre David Cameron ; l’archevêque de Canterbury, Justin Welby ; le président de la chambre des communes, John Bercow.

Le lieu : une réception à Buckingham Palace, à quelques jours d’un sommet anticorruption à Londres.

David Cameron : « Nous avons eu une réunion de cabinet très fructueuse ce matin, à propos du sommet anticorruption. Nous avons les Nigérians en fait, nous avons les leaders de certains des pays les plus fabuleusement corrompus qui viennent à Londres. Le Nigeria et l’Afghanistan possiblement deux des pays les plus corrompus du monde. »La Reine reste silencieuse.Justin Welby [qui a travaillé dans une entreprise pétrolière au Nigeria par le passé] : « Mais ce président en particulier [Muhammadu Buhari, élu en mars 2015] n’est pas vraiment corrompu. Il fait des efforts. »John Bercow : « Ils paient leur transport pour venir, j’imagine ‘ »David Cameron, en rigolant : « Oui. »

La conversation n’a pas fait rire la délégation nigériane venue à Londres pour participer au sommet anticorruption. Elle s’est dite « gênée et choquée », d’autant que le président Buhari, qui a été élu en promettant de mettre fin à la corruption, doit y prononcer le discours inaugural sur le thème’ « Comment s’attaquer à la corruption ».

La délégation afghane était aussi en colère, en rappelant que le président Ashraf Ghani « a fait des réformes majeures pour lutter contre la corruption ». Selon l’indice de l’ONG Transparency International, qui mesure la corruption perçue dans le secteur public, le Nigeria et l’Afghanistan restent pourtant parmi les pays les plus corrompus au monde, comme l’a dit David Cameron, classés respectivement 136 et 166 sur 168 pays.

Lire :
 

Nigeria : trois défis immédiats pour le président Muhammadu Buhari

Buckingham Palace a refusé de commenter « une conversation privée entre le premier ministre et la Reine ». Un porte-parole de David Cameron a été plus cryptique, répétant à la presse que « les caméras étaient très près. Et il y en avait beaucoup ». Il s’est ensuite empressé de dire que l’aide envoyée par Londres au Nigeria et à l’Afghanistan 237 et 198 millions de livres respectivement en 2014 n’était pas versée directement aux gouvernements.

« Ils ont été très malpolis envers l’ambassadrice »

Acte II, toujours le 10 mai. C’est une caméra de la BBC qui enregistre la scène.

Les personnages : la Reine d’Angleterre Elizabeth II ; la directrice de la Metropolitan police, Lucy D’Orsi ; le Lord Chamberlain.

Le lieu : une garden party à Buckingham Palace, peu de temps après la scène I.

Le Lord Chamberlain : « Puis-je vous présenter le commandant Lucy D’Orsi, qui a été commandant or pendant la visite d’Etat chinoise. »La Reine : « Oh, ça c’est pas de chance. »Le Lord Chamberlain : « Et dont l’autorité a été vraiment, vraiment sapée par les Chinois. Mais elle a tenu bon et est restée aux commandes. (‘) Vous devez raconter votre histoire. »Lucy D’Orsi : « Oui, j’étais commandant or, donc je ne sais pas vous saviez, mais ce fut une période difficile pour moi. »La Reine : « Oui, je l’ai su. »Lucy D’Orsi : « Ça l’a été’ je crois que quand ils sont partis de Lancaster House en me disant que la visite était annulée, j’ai ressenti’ »La Reine : « Ils ont été très malpolis envers l’ambassadrice. »Lucy D’Orsi : « Ils ont, en fait, oui elle, Barbara [Woodward, ambassadrice britannique en Chine] était avec moi, ils nous ont laissés en plan toutes les deux. »La Reine : « Extraordinaire. »Lucy D’Orsi : « J’ai pensé que c’était très grossier et pas du tout diplomatique. »

La visite dont il question ici est celle du président chinois Xi Jinping, qui a scellé ce que les deux pays avaient alors appelé « l’ère dorée » des relations sino-britanniques. Les propos de la Reine, personnage d’ordinaire peu habituée aux déclarations politiques si tranchées, et de Mme D’Orsi, visiblement malmenées par la délégation chinoise, ont résonné jusqu’à Pékin.

Un porte-parole du ministère des affaires étrangères a répondu avec une langue de bois très diplomatique, espérant que « les résultats de la visite du président Xi permettront une hausse stable et régulière de notre relation bilatérale ». Les images de la Reine traitant les Chinois de « malpolis » ont quand même été interdites de diffusion.

Leave A Reply