Du basalte pour changer le CO2 en roche

Du basalte pour changer le CO2 en roche

Le Monde
| 13.06.2016 à 17h37
Mis à jour le
14.06.2016 à 12h19
|

Par Julie Schübach (Le Temps)

L’exploitation des énergies fossiles comme le pétrole injecte dans l’atmosphère du CO2, qui provoque le réchauffement de la planète. Une des solutions proposée pour réduire ce phénomène, le captage et stockage du CO2 (CSC), vise à remettre dans les roches le carbone atmosphérique. Une équipe internationale de chercheurs a publié dans la revue Science, le 10 juin, une étude qui démontre comment du CO2 atmosphérique a pu être transformé en une roche.

L’étude, réalisée en Islande depuis plus de dix ans, a consisté à récupérer le CO2 émis par une usine pour le dissoudre dans de l’eau ensuite injectée dans la croûte terrestre en utilisant d’anciens puits de forage. En 2012, les chercheurs ont ainsi injecté 225 tonnes de CO2 dissout dans l’eau. Dans un puits parallèle, ils ont placé des capteurs afin d’observer le comportement de cette eau gazeuse.

Précipitation du carbone

Deux ans plus tard, ils ont constaté que la totalité du mélange s’était transformé en roches calcaires. « C’est un processus naturel, qui prend habituellement des centaines d’années. Notre étude montre comment il est possible d’accélérer ce phénomène pour qu’il se fasse en deux ans seulement », explique Eric Oelkers, coauteur de l’étude et géologue à l’université de Toulouse.

Par quels moyens ont-ils réussi à accélérer ce processus ‘ Le CO2 a été injecté dans des roches basaltiques qui sont très riches en minéraux telles que le calcium ou le fer. Lorsque ces derniers entrent en contact avec de l’eau enrichie en CO2, une réaction chimique provoque la précipitation du carbone, ce qui le fait passer d’un état gazeux à un état solide. Ainsi transformé en roche, le carbone reste stable et demeure emprisonné pour des centaines de milliers d’années.

Cette technique offre des avantages indéniables par rapport aux autres méthodes de séquestration de carbone. Habituellement, celui-ci est piégé sous une certaine forme gazeuse, dite « supercritique », dans des poches souterraines étanches. Dans ces réservoirs dits « karstiques », la minéralisation du carbone s’effectue en plusieurs centaines d’années. Autre problème, en cas de fissure dans la roche, le gaz peut remonter et provoquer une catastrophe écologique.

Lire aussi :
 

L’Europe veut relancer la séquestration du CO2

Selon Lyesse Laloui, spécialiste dans la recherche sur la séquestration du CO2 à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), « cela fait maintenant vingt ans que l’on injecte en moyenne un million de tonnes de CO2 par an dans des réservoirs géologiques, ce qui permet de diminuer un peu le CO2 atmosphérique, mais il est primordial de renforcer cette technologie de séquestration à grande échelle ».

Selon le climatologue français Edouard Bard, titulaire de la chaire Evolution du climat et de l’océan au Collège de France, « le protocole mis en uvre dans l’étude pour suivre l’évolution du gaz injecté dans les roches est très pertinent ». Cependant, la plupart des experts interrogés s’accordent à dire que cette étude n’est qu’un premier pas vers une solution globale et soulèvent le fait qu’elle ne mentionne pas certains problèmes techniques, comme par exemple la ressource en eau utile à un tel procédé.

Le cycle de l’eau déstabilisé

« Pour ce réservoir, l’eau ne peut contenir plus de 5 % de CO2, ce qui signifie que pour injecter 225 tonnes de CO2 il faut utiliser vingt fois plus d’eau, autrement dit 4 500 tonnes ! », calcule Lyesse Laloui. Compte tenu de la quantité de carbone atmosphérique, il faudrait effectuer environ 20 milliards d’injections de ce type par an pour contrer le réchauffement, ce qui déstabiliserait complètement le cycle de l’eau.

De plus, les roches basaltiques ne constituent que 10 % de la croûte terrestre, et sur ce pourcentage il n’est possible d’injecter du CO2 que dans une partie infime. En outre, une minéralisation très rapide du carbone dans la croûte terrestre « colmate » la roche, ce qui la rend étanche et conduit à augmenter la pression d’injection, ce qui pourrait provoquer des tremblements de terre.

D’autres chercheurs soulignent qu’il faudrait plutôt imaginer de nouvelles technologies pour les énergies renouvelables, plutôt que d’insister sur les énergies fossiles. Un avis pas complètement partagé par Nicolas Thouveny, directeur du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement, basé à Marseille. D’après lui le projet de « stopper totalement la consommation d’énergie fossile sur la planète est un discours utopiste. Il est donc important de maîtriser des techniques comme le CSC pour essayer de ralentir la courbe exponentielle du réchauffement climatique ».

Lire aussi :
 

Au Canada, capturer le CO2 pour en faire du combustible

Leave A Reply