Crise du lait , Lactalis fait un geste envers les producteurs

Crise du lait , Lactalis fait un geste envers les producteurs

Le Monde
| 26.08.2016 à 06h47
Mis à jour le
26.08.2016 à 10h21
|

Par Dominique Gallois et
Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)

La crise du lait continue de sévir en France, où les discussions entre le groupe Lactalis, le médiateur du gouvernement et des organisations de producteurs du lait ont été interrompues dans la nuit de jeudi 25 à vendredi 26 août après onze heures de pourparlers. Toutefois, dès vendredi, le leader mondial du secteur annonçait un relèvement de ses tarifs de 15 euros les 1 000 litres, à 272 euros, au 1er septembre, et se disait ouvert à toute discussion avec les producteurs pour sortir de cette crise.

En parallèle, à Bruxelles, jeudi, une réunion d’experts des 28 Etats membres de l’Union européenne (UE) a eu lieu sous l’égide de la Commission afin de finaliser le déclenchement du nouveau « paquet d’aide » à la filière laitière. Mi-juillet, l’institution communautaire  régulièrement accusée par les producteurs français de sous-estimer la profondeur de la crise a mis sur la table 500 millions d’euros pour tenter d’enrayer la chute des prix.

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Bloquer le siège de l’entreprise à Laval

Le secteur, bouleversé par la fin des quotas laitiers en avril 2015, souffre d’une forte surproduction dans toute l’Europe, consécutive à l’embargo russe sur les produits alimentaires (déclenché mi-2014) et à la baisse de la demande chinoise. Dans ce contexte de surproduction et de chute des cours, la colère des producteurs du Grand Ouest s’est focalisée sur Lactalis. Le numéro un mondial du secteur, connu à travers ses marques (Lactel, Bridel, Président’), est accusé d’être le plus mauvais payeur de lait en France, versant 257 euros pour 1 000 litres, soit 10 à 30 euros de moins que les autres industriels. Pour se faire entendre, des éleveurs des Pays de la Loire, de Bretagne et de Normandie se relaient depuis lundi 22 août pour bloquer le siège de l’entreprise à Laval, en Mayenne.

Une rencontre entre les éleveurs et Lactalis était organisée jeudi à la Maison du lait à Paris pour tenter de trouver une solution. En vain. Après onze heures de négociation à huis clos, le médiateur des relations commerciales Francis Amand, désigné par le ministère de l’agriculture, n’a pu que constater l’échec. « Je suis très déçu sur la méthode, j’ai eu l’impression que les représentants des organisations de producteurs n’étaient pas en capacité de prendre des positions et qu’elles leur étaient dictées depuis Laval. On repart à zéro, il n’y a plus de médiation possible dans ce cadre-là », a-t-il déclaré. Francis Amand précise qu’il avait fait une « proposition de la dernière chance à 280 euros les 1 000 litres » pour les cinq derniers mois de 2016. Cette offre, supérieure de 23 euros au prix actuel, a été jugée trop faible pour les agriculteurs. « Les représentants des producteurs ont considéré que ce n’était pas suffisant », souligne le médiateur.

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« Bruxelles aurait dû intervenir plus tôt »

Le vice-président de l’organisation de producteurs de lait de la Manche, Sébastien Amand, qui participait aux discussions, a estimé qu’il y avait « encore un espace de discussion possible dans les heures ou les jours qui suivent ». Le porte-parole de Lactalis, Michel Nalet, a accusé la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) d’avoir « poussé un certain nombre d’organisations de producteurs à ne pas prendre de décisions ». « Elle devra en assumer les conséquences », a-t-il martelé. Les éleveurs, quant à eux, continuaient le blocage à Laval.

A Bruxelles, la réunion de jeudi a été consacrée aux conditions de mise en uvre d’un mécanisme d’incitation à la réduction de la production, doté d’un budget de 150 millions. Les 350 millions restant de l’enveloppe de l’Union européenne doivent être distribués directement par les Etats à leurs agriculteurs. Il est entendu que les producteurs seront rémunérés au prorata des litres non produits (soit environ 14 centimes le kilo de lait). Et que tous les exploitants européens sont éligibles : les premiers à se manifester seront les premiers servis.

Mais jusqu’à quand les sommes seront-elles disponibles ‘ A partir de quels volumes de lait « en moins » les producteurs pourront-ils en bénéficier ‘ Comment s’assurer que ceux qui sollicitent l’aide n’ont pas déjà mis la clé sous la porte et, de fait, ne produisent plus ‘

Tous ces détails devraient être définitivement calés vendredi 26 août pour un déclenchement formel du mécanisme au plus tard à la mi-septembre. L’objectif de Bruxelles est d’aboutir rapidement à une diminution de la production de 1,4 million de tonnes de lait dans l’UE. « La Commission aurait dû intervenir plus tôt : c’est crucial, dans une crise du lait, pour éviter l’enclenchement du cercle vicieux, avec des producteurs à court de trésorerie produisant davantage pour obtenir des liquidités », relève Luc Vernet, membre du think tank bruxellois Farm Europe.

Dérogations au droit à la concurrence

Jeudi, il a également été décidé de prolonger de quelques mois l’« intervention » (le rachat direct par Bruxelles) et le « stockage privé » (les producteurs sont dédommagés pour les stocks qu’ils constituent) concernant le lait en poudre. Ces mesures de régulation du marché sont déjà en uvre depuis 2015, mais sans grande efficacité pour l’instant.

Anticipant que la fin des quotas un système de production administré vieux de plus de trente ans allait fragiliser le secteur, les Européens se sont accordés, en 2012, sur des dérogations conséquentes au droit de la concurrence, permettant à des éleveurs de négocier collectivement des clauses contractuelles avec les grosses entreprises de transformation du lait.

Mais les Français n’ont jusqu’à présent pas fait usage de ce « paquet lait », à cause, estime-t-on à Bruxelles, de la loi sur la « modernisation de l’agriculture et de la pêche » promulguée en 2010, sous le gouvernement Fillon. Ce texte, qui défendait la contractualisation systématique des relations entre producteurs et distributeurs, aurait en quelque sorte lié les mains des éleveurs et facilité la tâche de Lactalis, qui les « tient » avec des contrats longs (souvent cinq ans) et particulièrement opaques. Comment, dès lors, redonner un peu de pouvoir de négociation aux éleveurs français ‘ « Il n’y a que la pression médiatique et politique qui peut marcher », soupire une source européenne.

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