Comment la  fachosphère  a fait annuler le concert de Black M à Verdun

Comment la  fachosphère  a fait annuler le concert de Black M à Verdun

La blogosphère d’extrême droite exulte : le concert gratuit du rappeur Black M prévu à l’occasion du centenaire de la bataille de Verdun, le 29 mai, n’aura pas lieu. La mairie l’a annoncé vendredi 13 mai dans un communiqué, revendiquant des « risques forts de trouble à l’ordre public ». Retour sur une campagne qui, en l’espace de trois jours, a fait plier la mairie socialiste.

Le site fdesouche.com allume la mèche

Lundi 9 mai, L’Est républicain publie une interview du rappeur à l’approche de l’événement, « un rendez-vous populaire et tourné vers la jeunesse » voulu par l’Elysée, écrit le journal. « C’est de la scène, et c’est quelque chose que j’aime énormément, alors je réponds présent. Tout simplement », y confie-t-il. Et d’ajouter, à l’encontre de ceux qui s’étonnent de sa présence à un tel événement : « Je les invite à venir me voir, qu’ils aiment ou pas ma musique, on va s’amuser. »

La charge ne se fait pas attendre. Dès le lendemain matin, le site fdesouche.com écrit que Black M « n’a pas sa place » dans l’événement. En cause, plusieurs extraits de textes du rappeur, et notamment :

Des propos jugés « anti-France » : cette « conne de France » (Le Ghetto s’exprime, avec Sexion d’Assaut, 2004), « ce pays de kouffars », c’est-à-dire de mécréants (Désolé, avec Sexion d’Assaut, 2010).Des propos « homophobes » comme « je crois qu’il est grand temps que les pédés périssent » (On t’a humilié, avec Sexion d’Assaut, 2010). Il s’agit en fait d’une strophe de Maître Gims qui, ajoutée à d’autres propos, avait valu de nombreuses critiques au groupe à l’époque. Sexion d’Assaut a ensuite fini par faire amende honorable en travaillant avec des associations de lutte contre l’homophobie et la fédération LGBT avait considéré la polémique « éteinte » en 2011.Une supposée « dent contre l’école » à cause de la phrase : « A une époque, j’voulais me procurer un Smith et Wesson. Une petite voix me chuchotait : Vas-y, tire sur l’école.’ » (Madame Pavoshko, Black M, 2014).D’autres l’accuseront par la suite d’être l’auteur d’une chanson « antisémite » pour la phrase « les youpins s’éclatent et font des magasins ». Il s’agit en fait de la chanson Dans ma rue, de Doc Gyneco, reprise par Black M en 2015, ce qui lui a vallu un boycott de la part de radios belges.

Le FN renchérit le jour même à travers le Collectif culture, création et liberté du rassemblement bleu marine (RBM), qui étrille la présence du rappeur aux commémorations. Reprenant les extraits cités par fdesouche.com, le RBM estime que « le problème posé par ce choix n’est pas l’artiste’ en question, quantité négligeable, mais bien la volonté farouche de l’exécutif de dépouiller notre histoire de tout caractère solennel. »

La plupart des cadres frontistes ajoutent leur pierre à l’édifice dans la foulée, de Marion Maréchal Le Pen à Florian Philippot. Un militant proche de l’extrême droite lance dans la soirée du 10 mai un hashtag sur Twitter, #VerdunSansBlackM, pour demander l’annulation de l’événement. Marine Le Pen, elle, juge ses textes « extrêmement injurieux à l’égard des Français ».

La polémique dépasse la « fachosphère »

A ce moment précis, la polémique est surtout restreinte à la « fachosphère ». Et pour cause : mis à part les propos homophobes de Sexion d’Assaut en 2010, Black M n’est pas un rappeur particulièrement « polémique ». Loractu.fr s’était interrogé le 9 mai sur « un choix étonnant pour un événement politique majeur ».

Mais au lendemain de la publication de l’article de fdesouche.com, dont l’exposition a été décuplée par les élus FN, la polémique se diffuse au-delà de ces sphères. Dès la matinée du 11 mai, Le Figaro y consacre deux articles. Le maire PS de Verdun, Samuel Hazard, y dit notamment être « harcelé par des mails et des appels à connotation raciste. Si ça avait été White M, ça n’aurait pas posé problème’, a dit par exemple une dame. » Et de dénoncer « les racistes qui instrumentalisent cette polémique à des fins politiciennes. »

Comme le relève l’élu, de nombreux messages racistes circulent à l’encontre du rappeur, évoquant un « négro de souche », un « étranger » ou le comparant aux djihadistes de Daech.

Les nombreux articles de médias généralistes qui suivent (Les Inrocks, L’Obs, BFM TV, une première dépêche de l’AFP dans l’après-midi du 11 mai, etc.) vont élargir le cercle des mécontents. Des personnalités de droite comme Nadine Morano ou Hervé Mariton demandent à leur tour l’annulation du concert.

Le gouvernement lâche la mairie de Verdun

Jeudi 12 mai, le secrétaire d’Etat chargé des anciens combattants et de la mémoire, Jean-Marc Todeschini, se désolidarise de la mairie de Verdun dans un communiqué :

« Le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire, dément formellement l’information qui circule dans certains médias et sur les réseaux sociaux selon laquelle le chanteur Black M se produirait dans le cadre de la cérémonie officielle de la bataille de Verdun. »

Selon lui, le rappeur doit en fait se produire en marge des cérémonies et regrette que cette polémique fasse « oublier le sens de la cérémonie officielle du centenaire de la bataille de Verdun voulue par le président de la République ». Contacté par l’AFP, il ajoute que l’Elysée et François Hollande n’ont rien à voir avec le choix de Black M. « Le nom a été proposé par l’Etat ! », a ensuite rétorqué le maire de Verdun.

Nouvelle pierre dans le jardin de Samuel Hazard : un recours en justice est déposé dans l’après-midi contre la venue du rappeur par le petit-fils d’un poilu. L’avocat de ce dernier, Antoine Beauquier, affirme qu’on peut « légitimement craindre que [le chanteur] use de termes outrageants pour la mémoire des soldats de Verdun. »

La mission du centenaire, l’opérateur de l’Etat pour ces commémorations, décide dans la foulée de ne pas accorder la subvention de 67 000 euros demandée par la mairie pour financer le concert, sur un budget total de 150 000 euros.

La mairie de Verdun annule le concert

Vendredi 13 mai, la mairie décide finalement d’annuler le concert. Contacté par Le Monde, le cabinet du maire dit ne plus vouloir s’exprimer sur le sujet après avoir été inondé de messages pendant trois jours de polémique. Les élus d’extrême droite s’en félicitent :

Ironie de l’histoire, Pierre Sautarel, co-animateur de fdesouche.com s’agace désormais d’entendre Florian Philippot clamer que « c’est le Front national, seul, qui a levé ce lièvre » sur France 2, refusant de se faire « voler les lauriers » de la polémique.

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