CIGÉO, des déchets nucléaires stockés sous terre pour l’éternité

CIGÉO, des déchets nucléaires stockés sous terre pour l'éternité

La descente de sept minutes dans l’exigu ascenseur rouge est lente et la chaleur sous nos casques augmente au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans le ventre de la terre. Comme à la mine. On ne dit pas bienvenue à Bure, à l’exacte frontière entre la Meuse et la Haute-Marne, puisque nous sommes à 490 m en dessous de la surface. Au milieu d’une couche de roche argilique du cavollo-oxfordien vieille de plus de 100 millions d’années et épaisse de 130 m.

C’est là que l’homme entend régler une des failles majeures du nucléaire : le stockage des déchets les plus radioactifs de l’industrie, la recherche et la défense, débris métalliques (MA-VL, moyenne activité vie longue) et résidus de produits de fission ou d’activation (HA, haute activité). Ceux-ci portent des noms scientifiques vaguement alarmants comme le césium 134 ou 137, le strontium 90, le cobalt 60, le curium 244 ou l’américium 241. Ils sont traités à La Hague (séparés de l’uranium ou du plutonium réutilisables), entreposés pour se calmer pendant 40 à 60 ans. Mais leur activité est irradiante de milliers à 1 million d’années. Ces poussières sont vitrifiées pour l’éternité et coulées dans des colis en inox. Ils représentent 0,2 % du total des déchets radioactifs français déjà produits mais 98 % de la radioactivité’

Le laboratoire souterrain de l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (ANDRA) et ses galeries expérimentales mystérieuses préfigurent le Centre de stockage industriel géologique (Cigéo), un projet vertigineux, aussi fascinant scientifiquement qu’effrayant car il dépasse l’entendement, les perspectives humaines dans le temps. «
Un projet de science-fiction
», pour les détracteurs. Même la transmission de la mémoire du site représente un défi inédit. Il s’agira de concevoir un langage intelligible, techniquement et lexicalement, dans des centaines de milliers d’années !

Une partie des déchets déjà produits

«
Le projet est dimensionné pour les déchets déjà produits (60 % des MA-VL et 30 % des HA) et ceux à produire par le parc actuel (dont l’EPR de Flamanville et l’ITER de Cadarache, pas encore en service), prolongé de dix ans, comme la tendance semble se dessiner
», indique Alain Rolland, directeur adjoint et technique du centre. Soit 85 000 m3 entreposés après une phase pilote entre 2025 et 2030 et pendant 120 ans avec possibilité de doubler le stockage ou d’extraire les colis en cas d’évolution technologique ou de décision politique. Au-delà de 2150, quand le site sera rempli, on le fermera pour l’éternité.

Au fond du laboratoire souterrain, on teste les procédés et les incidents imaginables. Plus de 10 000 capteurs analysent les alvéoles qui accueilleront les déchets, les bétons spéciaux, les voussoirs à coque d’argile compressible, les contraintes des roches, des failles sismiques, la réaction à la chaleur’ Pour éviter que les 17 % d’humidité présents dans la stable couche d’argile ne s’évaporent et entraînent des fissures incontrôlables, les colis devront dégager une température inférieure à 100 ºC.

Le défi scientifique est colossal et coûteux (25 milliards d’euros). L’engagement public total, inextinguiblement fidèle au nucléaire, aux géants aux pieds d’argile EDF et AREVA. Mais cette première en Europe reçoit un avertissement sévère depuis les États-Unis. Dans le désert du Nouveau-Mexique, le site du WIPP (Waste Isolation Pilot Plant) subit un incendie et une fuite radioactive en 2014 après seulement quinze ans de stockages de déchets radioactifs. L’erreur est humaine, la radioactivité incontrôlable. Le Cigéo de Bure devra être étanche pour l’éternité.

Pour ou contre le projet CGIÉO’

POUR « La solution la moins mauvaise »

Alain Rolland (directeur adjoint et technique du Centre Meuse/Haute-Marne de l’ANDRA).

« Le stockage profond et la barrière géologique sont la solution la moins mauvaise de gestion des déchets, la plus sûre sur le long terme, et celle de référence dans le monde.

Ce n’est pas facile de calculer un coût sur 150 ans avec des technologies et 30 % de taxes qui évolueront peut-être dans le temps. Sur les 20 ans de recherche, nous avons dépensé 3 milliards d’euros, entre 1 et 2 % du coût de l’électricité en France. Ce projet, établi à 25 milliards par la ministre, évitera de laisser la facture aux générations futures.

L’opposition n’est pas constructive et se radicalise avec des dégradations, des menaces. Elle est contre le nucléaire et attaque l’aval. C’est comme si on tirait sur l’éboueur. On est un dégât collatéral de la lutte contre le nucléaire. Quand bien même on stopperait la filière aujourd’hui, nous aurions 60 % des MA-VL (moyenne activité vie longue) et 30 % des HA (haute activité) à stocker. Nos opposants ne proposent pas de solutions. C’est dommage, c’est un vrai débat de société. »

CONTRE « Des apprentis sorciers »

Corinne François (collectif Bure Stop 55)

« Depuis vingt ans, on résiste à un projet d’une dangerosité extrême, un projet pharaonique. Car au-delà de la peur du nucléaire, des risques d’incendies, d’explosions, on n’a pas les sous pour construire Cigéo. On compte sur les générations futures et c’est malhonnête. C’est un projet de science-fiction, d’apprentis sorciers. Les avertissements sont sévères avec Tchernobyl, Fukushima, le WIPP. L’EPR à Flamanville, qui devait coûter 3 milliards, en coûte 10 et ne fonctionne toujours pas. L’État français continue de s’enliser dans le mirage du nucléaire.

Face à cet argent qui arrose les élus locaux, infiltre toutes les strates de la société, il faut maintenant empêcher l’implantation physique par des jeunes. Comme à Notre-Dame-des-Landes, où il n’y a toujours pas d’aéroport parce que des gens se sont levés. C’est malheureux d’en arriver là. Mais c’est un projet qui engage la société sur tout un tas de plans et pour des milliers d’années. Au niveau éthique, financier, environnement, juridique, citoyen, sociétal. La science, c’est presque rien dans tout ça. »

À la Maison de résistance Bure zone libre, «un front est ouvert»

Depuis vingt ans, les opposants refusent «
la poubelle nucléaire
». La contestation s’est radicalisée en juin au bois Lejuc. L’endroit appartient à l’ANDRA mais les militants expulsés sont revenus mi-août pour empêcher des travaux. Résultat, une enceinte de murs de soutènement en béton renversée sur plusieurs kilomètres. «
Le Bure de Merlin est tombé.
»

Cette action illégale s’accompagne d’une victoire au tribunal contre des travaux hâtifs, sans autorisation préfectorale. «
Ils sont passés en force pour être prêts en 2018 pour le dépôt du dossier d’autorisation de création (décret prévu en 2021). On nous parle d’État de droit mais face à nous, on a tout le contraire avec des bulldozers qui avancent
», martèle Étienne Ambroselli, l’avocat du collectif des opposants. Un autre procès est en cours sur l’existence d’une source géothermique qui empêcherait la réalisation de Cigéo.

Esprit ZAD

«
Cette arrogance et cette incompétence juridique sont hallucinantes pour le projet industrio-nucléaire le plus important d’Europe, s’insurge Angélique, membre de l’équipe juridique. Ils nous prenaient pour des Bisounours. Un front est ouvert.
» L’ANDRA et la préfecture ont déposé des plaintes pour dégradations, des menaces, pour le jet d’un feu d’artifice en direction de l’hélicoptère de la gendarmerie’

La tension reste intense et les gendarmes vigilants même si à deux kilomètres de là, à la Maison de résistance Bure zone libre, on prend le temps de débattre au chaud soleil. Les lieux appartiennent à des associations anti-nucléaires comme l’autre site de contestation, l’ancienne gare de Luméville.

Avec ses visiteurs de passage et l’envie de protéger le bien commun, on retrouve l’esprit ZAD (pour zone à défendre), celui de Notre-Dame-des-Landes, même si Angélique refuse sèchement l’appellation un brin marketing. Un point commun : «
On ne peut pas remettre en cause le nucléaire sans remettre en cause la société.
»

Un sérieux défaut, ils refusent d’envisager une solution alternative à l’enfouissement profond de déchets déjà existants. «
Il faut arrêter d’en produire pour ne plus prendre de risques, point. Je refuse d’entrer dans ce débat car c’est une fuite en avant qui permettra de prolonger ces vieilles centrales pourries qui vont nous péter à la gueule
», s’agace Me Ambroselli.

Carlo, de Nancy, s’apprête à repartir pour faire la saison de la mirabelle. Il jette : «
Notre succès est inéluctable car c’est une question de survie.

»
OL. B.

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