#CeuxQuiFont , Un bus sillonne la Manche à l’écoute de ceux qui n’ont personne à qui parler

#CeuxQuiFont , Un bus sillonne la Manche à l'écoute de ceux qui n'ont personne à qui parler

Le Parentibus, créé par l’ancienne magistrate Catherine de La Hougue, est là pour écouter, pas pour trouver des solutions.

« Qu’est-ce que vous vendez ‘ » A Gouville-sur-Mer (Manche), un étal pas comme les autres, coincé contre les barrières de fin de marché, jouit des embruns de la meilleure saucisse à l’oignon du coin. Le Parentibus n’a pas la meilleure place, mais elle lui est gracieusement offerte par la municipalité.

Ici, on vient davantage vider son sac que le remplir. Entraînés par Catherine de La Hougue, une quarantaine de bénévoles sillonnent les petites routes de la Manche dans un minibus aménagé pour écouter les problèmes des habitants. « Les problèmes, entre guillemets. » Il ne faudrait pas effrayer les passants, ceux dont le regard s’attarde sans en avoir l’air sur les mots inscrits sur la porte d’entrée. Gratuité. Convivialité. Proximité.

La même scène se rejoue le lendemain, à une vingtaine de kilomètres. La saison estivale a commencé et le marché de Périers s’étend lui aussi plus qu’à l’accoutumée. Le troisième âge bronzé, de passage dans sa « vie secondaire », se mêle à ceux qui vivent là à l’année. L’hiver, les solitudes sont plus flagrantes dans ce département où peu de choses sont accessibles sans moyen de transport personnel. C’est d’ailleurs ce qui a poussé Catherine de La Hougue à lancer le projet. « Puisqu’ils ne peuvent pas venir à nous, allons à eux. »

Bien des drames auraient pu être évités

Douze années dans la magistrature après une première vie de libraire-pâtissière « entre autres ! » , quatre enfants à élever et douze autres à qui faire une place plus ou moins passagère’ La retraite de l’ancienne juge des enfants ne pouvait se résumer à une chaise longue plantée dans l’hectare et demi entourant sa grande maison en pierre.

En 2011, elle profite de ses dernières semaines au tribunal de Coutances pour rassembler autour de l’idée d’un café-parents itinérant, persuadée que bien des drames auraient pu être évités, si seulement « ses » familles avaient eu quelqu’un à qui parler. Il aura fallu près de trois ans de batailles administratives, de tombolas, et de ventes aux enchères pour qu’enfin, 35 000 euros plus tard, le bus soit là.

Première tournée des écoles, et premier revers. Les enfants viennent en car, ou sont « jetés » par des parents en retard. Le pire moment pour prendre du temps, le pire endroit pour qui veut garder l’anonymat. La fondatrice se souvient d’une des premières’ et rares personnes à être montée alors, tirée par le bras par l’adjointe au maire : « On s’est dit que plus personne ne viendrait jamais. »

Depuis, le Parentibus a fait du chemin sur les routes départementales de la Manche. Un marché chaque jour, les Restos du c’ur un jeudi sur deux, le festival Chauffer dans la noirceur, cet été’ Un deuxième bus est même en projet, vers Carentan.

Les poches remplies des douleurs des autres

« C’est fou comme les gens qui n’ont rien à dire n’arrivent plus à s’arrêter », sourit Catherine de La Hougue, parfois surprise de les voir s’épancher autant. Et elle, à désormais 70 ans, pourquoi les écoute-t-elle encore, ces histoires qui datent de la semaine dernière ou d’il y a un demi-siècle, racontées par ceux qui n’ont personne pour les entendre ‘ N’allez pas lui parler de sacerdoce, elle aussi a trouvé quelque chose ici. Le sentiment d’être utile. De faire une différence.

Alcool, suicide, maladie et solitude prennent place dans le bus. Des enfants éloignés qui ne donnent plus de nouvelles, des voisins qui ne disent pas bonjour et à qui on n’ose pas parler. La voix d’un enfant meurtri, désormais septuagénaire, et toujours jaloux de sa s’ur, « la préférée » de son père. Et cette femme dont le mari a le beau rôle, avec ses vaches si attractives pour les enfants. A qui d’autre avouer cette pointe de ranc’ur « pas si grave », mais déposée ici avec soulagement

Alors Catherine, Bénédicte, Michel, Annie, Josiane, Jean-Claude et les autres sont là, pour accueillir les réguliers, les occasionnels. Ceux qui ne mettent qu’un pied, ceux à qui il faudra plusieurs fois pour oser. Ceux, souvent, qui prétextent visiter et finissent par s’installer. « Mais juste pour un café. »

Les « écoutants », comme ils se nomment entre eux, ont les poches remplies des douleurs des autres, ramassées comme de précieux galets qu’ils iront faire ricocher plus tard, à marée basse. Ils se réunissent souvent pour échanger sur ces vies de liens rompus à rafistoler. Et eux-mêmes se décharger.

C’est peut-être « bidon », mais ça fait du bien

Ex-enseignants, ex-pharmaciens, ex-travailleurs sociaux’ N’ont-ils pas l’impression de continuer à travailler ‘ Un peu, sourient plusieurs jeunes retraités, mais pas à la même place. La différence avec son ancien métier, Mme de La Hougue la voit clairement : ni glaive, ni balance, ni récalcitrants à faire escorter par les policiers. Et s’il lui arrive de tendre un numéro utile, elle insiste : le bus n’est pas là pour trouver des solutions.

A quoi mesurer les résultats d’un bus qui ne fait qu’écouter ‘ S’il fallait donner un chiffre, disons qu’ils atteindront bientôt la millième personne rencontrée. S’il fallait une histoire, voici justement Régis*, un habitué qui ne compte plus les galères. Dernières en date dans sa vie de couvreur zingueur d’une cinquantaine d’années : deux cancers et une maison qui a brûlé. Alors venir ici, c’est peut-être « bidon », mais ça lui fait du bien.

Paul*, lui, avait décidé de venir aujourd’hui, alors il attendra dehors le temps qu’il faudra. « Peut-être bien » qu’il a eu un problème avec l’alcool, à un moment. Peut-être bien qu’il s’emporte facilement. Mais sa « petite », elle lui manque tellement. Alors peut-être bien qu’en sortant, il lui enverra une carte postale, dans sa famille d’accueil. Il s’appuie sur Catherine de La Hougue pour descendre les trois marches qui le ramènent à la vraie vie. « Je vous dois combien ‘ » « Le simple plaisir de votre rencontrer, monsieur. »

* Les prénoms ont été changés

La troisième édition du Monde Festival se tient à Paris du 16 au 19 septembre 2016 sur le thème « Agir ». Retrouvez le programme du Monde Festival et envoyez-nous vos idées de portraits et d’initiatives à agir@lemonde.fr.

Leave A Reply