Ces Vengeurs du delta  qui menacent l’économie nigériane

Ces  Vengeurs du delta  qui menacent l'économie nigériane
Les Delta Niger Avengers s’inspirent des combattants du Movement for Emancipation of the Niger Delta (MEND), ici en septembre 2008.
Crédits : PIUS UTOMI EKPEI/AFP

« Nous ne sommes engagés dans aucune négociation, avec aucun comité. » Le message publié sur le compte Twitter des Vengeurs du delta du Niger (Delta Niger Avengers, DNA), mercredi 8 juin, ne laisse aucun espace de négociation. Il fait suite à la demande d’Abuja, formulée la veille, d’engager des pourparlers avec le groupe rebelle, qui en a profité pour revendiquer une nouvelle attaque perpétrée dans la nuit contre un puits pétrolier de l’américain Chevron, dans l’est du delta.

« Le président Muhammadu Buhari a ordonné à l’armée de stopper ses actions dans le delta du Niger pour deux semaines, avait indiqué, mardi, Emmanuel Ibe Kachikwu, secrétaire d’Etat nigérian pour les ressources pétrolières. La balle est dans leur camp, si les rebelles sont prêts à engager le dialogue. »

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Déjà en lutte contre les djihadistes de Boko Haram dans le nord du pays, l’armée nigériane avait déployé il y a quelques semaines des navires armés et des avions de combat dans la région afin d’y traquer les Vengeurs du delta. Selon Emmanuel Ibe Kachikwu, leurs attaques ont fait chuter en quelques mois la production de pétrole brut de 2,2 millions de barils à 1,6 million.

Elles ont visé, parfois de façon simultanée, des sites pétroliers appartenant à des compagnies étrangères (Shell, ENI et Chevron) mais également la compagnie d’Etat nigériane, NNPC. Certaines ont été contraintes de fermer leurs sites et d’interrompre leurs extractions. Dans un contexte économique déjà difficile à cause de la baisse du baril de brut, le gouvernement se devait de lancer des pourparlers avec le groupe rebelle. Mais la porte reste close.

Attaques prévisibles

« Les attaques des DNA étaient prévisibles, explique Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et spécialiste du Nigeria. Dès sa prise de fonction en mai 2015, le président Buhari a perdu le lien avec ceux que l’on appelle communément les militants du delta’. On ne peut pas gérer cette région comme les autres, pour la simple raison qu’elle concentre la totalité des réserves de gaz et de pétrole du pays. »

Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec ses 180 millions d’habitants, est le plus gros producteur de brut du continent, le onzième au niveau mondial. Le pétrole y a été découvert en 1956, à la veille de l’indépendance obtenue contr les Britanniques en 1960. A faible teneur en soufre, il est de qualité « bonny light », la meilleure au monde, et est intégralement extrait dans le delta, où les conditions de vie sont particulièrement difficiles pour les populations, comme le montre un reportage de l’émission « Les routes de l’impossible », diffusé sur France 5 en janvier 2012 et intitulé Les Esclaves de l’or noir. Tourné en partie au milieu de la mangrove, où près de 2 000 sites sont pollués par les compagnies pétrolières et les innombrables raffineries clandestines qui s’y sont installées, il montre toutes les étapes du trafic d’essence, des pipelines jusqu’aux rues de Cotonou, la capitale du Bénin.

Si l’on ignore combien d’hommes composent les Vengeurs du delta du Niger, leur volonté semble claire. Sur son site Internet, le groupe, apparu en février, se décrit comme étant composé de « jeunes éduqués » qui militent pour l’indépendance des régions du delta, la destruction de l’économie nigériane et la libération de Nnamdi Kanu, un chef du mouvement régionaliste Indigenous People of Biafra (IPOB), arrêté en octobre 2015 à Lagos. Tout en assurant que lutte sera pacifique.

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En termes de revendications, le groupe de rebelles s’inscrit dans la lignée du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND), qui a mené de nombreuses attaques contre des installations pétrolières, mais aussi des enlèvements de travailleurs du secteur dans les années 2000 (ce que refusent aujourd’hui les Vengeurs du delta) avant que le gouvernement ne mette fin aux violences par le biais d’une amnistie en 2009. Quelque 30 000 rebelles ont ainsi bénéficié du programme, déposant leurs armes contre des revenus destinés à la formation et à la reconversion. L’accord signé avec le gouvernement prévoyait par exemple le versement d’un pécule mensuel de près de 400 dollars ainsi que de juteux contrats dans la sécurité pour les chefs.

Millionnaires inutiles

« Le budget alloué aux anciens du MEND a été considérablement amputé par rapport à 2015. C’est très probablement une partie de ses anciens chefs, associés à des jeunes, que l’on retrouve derrière les Vengeurs du delta du Niger, explique Benjamin Augé. Cela permettrait d’expliquer les moyens logistiques importants dont bénéficient les rebelles et leur parfaite connaissance des zones pétrolifères stratégiques. La volonté autonomiste est plus un vernis politique. En réalité, ils veulent des postes et avoir accès à des contrats, et la seule façon de faire bouger le gouvernement est d’imposer un rapport de force : celui qui fait sauter un pipeline est quelqu’un d’important ! »

Agé de 47 ans, Government Ekpemupolo, surnommé « Tempolo », est l’un des anciens dirigeants les plus connus du MEND. Même si le groupe s’en défend, il soutiendrait les Vengeurs du delta du Niger. En janvier, la Haute Cour fédérale de Lagos avait ordonné son arrestation pour vol et blanchiment d’argent entre 2012 et 2015 pour un montant de 175 millions de dollars (155,6 millions d’euros), mais « Tempolo » est aujourd’hui introuvable.

« Les habitants ne soutiennent pas vraiment ces mouvements de libération, analyse Benjamin Augé. Lorsque les leaders obtiennent les avantages qu’ils réclament, ils ne versent rien à la population. Certains sont pourtant devenus millionnaires. »

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