Bruxelles planche sur une réforme ambitieuse du copyright

Bruxelles planche sur une réforme ambitieuse du copyright

Le Monde
| 27.08.2016 à 07h37
Mis à jour le
27.08.2016 à 10h40
|

Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)

Après plus de deux ans de travaux préparatoires, Bruxelles devrait enfin rendre publique, fin septembre, sa réforme du copyright. Le Monde a eu accès aux textes  une directive et un règlement, tous deux en cours de finalisation.

Très sensible, le sujet inquiète les lobbys audiovisuels et les géants de l’Internet, qui ont fait le siège de la Commission européenne ces derniers mois. Ceux-ci devraient continuer à beaucoup s’agiter : les propositions retenues, sans être radicales, pourraient en effet les obliger à changer leurs pratiques.

Parmi les mesures les plus significatives, Bruxelles entend doter les éditeurs de presse d’un « droit voisin », un équivalent du droit d’auteur attribué à des personnes qui n’en sont pas (interprètes, diffuseurs, etc.). Le but ‘ Qu’ils puissent mieux négocier avec Google et d’autres une rémunération pour les contenus que ces acteurs de l’Internet agrègent partiellement et dont ils tirent, indirectement, des revenus publicitaires.

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Rééquilibrer le rapport de force

Cette disposition fait partie d’une nouvelle « directive sur le copyright » modernisant celle de 2001. Elle est censée aider à résoudre le conflit qui oppose depuis des années les journaux à Google. Les professionnels de la presse reprochent au groupe californien de s’enrichir à leurs dépends, ­notamment avec Google News, en offrant aux internautes des pages entières de « résumés » de leurs articles.

En France, en Allemagne ou en Espagne, les Etats ont tenté de légiférer avec des « taxes » Google, mais celles-ci se sont révélées inapplicables ou contre-productives. En Espagne, l’entreprise américaine a menacé de fermer Google News, faisant plier les éditeurs, refroidis à l’idée de perdre le trafic amené par le moteur de recherche sur leurs sites.

Bruxelles explique vouloir aider au rééquilibrage du rapport de force entre les éditeurs et les services en ligne

Bruxelles se défend d’instituer à son tour un « impôt » et explique simplement vouloir aider au rééquilibrage du rapport de force entre les éditeurs et les services en ligne, tout en s’attendant à une attaque en règle des seconds.

La Commission craint aussi une mobilisation des internautes sur le fait que l’Europe s’en prendrait aux liens hypertextes, alors qu’elle assure n’avoir pas du tout l’intention de fragiliser cette architecture, fondamentale au World Wide Web.

Faciliter la diffusion à l’étranger

Dans les propos liminaires à la directive, l’institution insiste aussi sur sa volonté de mieux protéger les ayants droit, alors que la diffusion des uvres est bouleversée par le Web et les smartphones. Elle entend par ailleurs dépoussiérer un droit d’auteur complexe et mal adapté à l’évolution des modes de consommation.

De plus en plus d’Européens délaissent en effet la télévision en direct pour se porter vers des programmes radio et vidéo qu’ils visionnent en différé sur Internet et depuis leur smartphone, ou pour s’abonner à des services à la Netflix.

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A cet égard, une autre proposition bruxelloise devrait susciter de forts remous : il s’agit d’un projet de règlement visant à faciliter la diffusion en ligne à l’étranger des contenus audiovisuels produits sur le Web dans un pays.

« Territorialité des droits d’au­teur »

Les chaînes mettent en effet désormais une grande quantité de programmes en direct ou en ­différé à disposition sur leurs sites. Mais ils ne sont en général accessibles que dans le pays d’origine de la chaîne. Et pour cause : si les diffuseurs (chaînes et opérateurs de télécommunications) veulent exporter ces contenus en ligne, ils doivent les négocier pays par pays, ayant droit par ayant droit.

Ils sont soumis au principe de « territorialité des droits d’au­teur », qui régit encore l’économie de l’audiovisuel et du cinéma en Europe. En vertu de ce principe, une vidéo ou un film produits en France ne sont diffusables en Belgique que si le distributeur a payé des droits pour ce pays. C’est parce que la négociation des droits pays par pays pour chaque programme (flash d’actualité, fiction, mini-série, émission’) est complexe, chronophage et coûteuse que les programmes en ligne s’exportent très peu.

La Commission veut résoudre le problème en appliquant aux contenus numériques un autre principe, celui « du pays d’origine ». Il s’applique déjà au câble et au satellite en vertu d’une directive datant de 1993.

Dès lors que les diffuseurs disposent d’un droit d’exploitation pour un contenu dans le pays européen où ils opèrent, ils peuvent le distribuer partout ailleurs dans l’Union. Les droits d’auteur ne devraient donc être acquis que pour le « pays d’origine » de l’émission (et non pour les pays de réception des programmes).

Le projet de règlement prévoit cependant que les ayants droit aient voix au chapitre : ils pourront refuser que leur contenu soit diffusé à l’étranger, ou, en cas de fort succès d’audience hors les frontières, renégocier avec le diffuseur.

« Exception culturelle »

Sentant le vent tourner, les professionnels de l’audiovisuel surtout les télévisions privées sont déjà montés au créneau ces derniers mois, au nom de la sauvegarde de la territorialité. De fait, en France notamment, l’économie du cinéma en dépend : ce sont les préventes des droits de diffusion des films à l’étranger qui financent en partie les longs-métrages.

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La Commission n’entend pas mettre ce modèle à mal ni supprimer à terme la territorialité des droits pour le cinéma et les services audiovisuels n’étant pas diffusés en ligne.

Les débats s’annoncent néanmoins intenses, quand les textes s’ils sont maintenus en l’état ‘ commenceront à être examinés au Parlement et au Conseil européens. Les Français, très chatouilleux dès qu’il s’agit d’« exception culturelle », devraient certainement s’y manifester.

Les majors américaines ne seront pas en reste. Même si elles s’inquiètent probablement moins de ces velléités de régulation que des enquêtes que la Commission a lancées contre elles pour abus de position dominante (Google) ou aides d’Etat illicites (Apple, Amazon).

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