Barrages de migrants sur l’A16 , une nuit avec les agents de la DIR du Calaisis (VIDÉO)

Barrages de migrants sur l'A16 , une nuit avec les agents de la DIR du Calaisis (VIDÉO)

23 heures.

L’heure à laquelle nous arrivons au centre de la direction interdépartementale des routes, à Peuplingues. Un peu tard, en fait : les agents ont déjà retiré trois barrages ! On nous annonce une nuit « bleue », peuplée de gyrophares.

23 h 50.

Alors que nous étions postés près de l’A16, au point de ralliement des agents, nous voilà appelés sur un barrage : des branchages qui entravent la rocade, près du port. Le temps d’y arriver, on évite de justesse des poubelles balancées sous nos yeux sur la chaussée. Les agents de la DIR communiquent par radio. Si bien qu’on entend tout ce qui se passe : il y a «
de gros groupes
partout
», «
des migrants arrachent des compteurs électriques
», une cinquantaine sont planqués «
derrière le muret
». Des messages de prudence, aussi, du genre «
Tu fais gaffe !
» ou «
Soyez prudents, ça caillasse !
». Quand on arrive au barrage, deux agents ont déjà tout retiré avec leur grue. L’un d’eux, Johnny, prévient qu’on n’a encore rien vu : «
À partir de 3 heures, ça va partir dans tous les sens.
»

1 h 15.

Après les branchages en série, place aux pneus en feu. On retrouve le fameux Johnny, sur la rocade portuaire, en train de bêcher sans relâche le bas-côté de la route pour retirer de la terre et étouffer le feu (voir photo ci-dessous). Son collègue l’assiste avec un extincteur. 50 mètres plus en amont, Denis semble bien seul sur la bande d’arrêt d’urgence : lui est chargé d’avertir les automobilistes de l’intervention en cours avec une flèche lumineuse d’urgence. Pas très rassurant, à l’entendre : «
Je ne dois pas rester dans le fourgon pour des raisons de sécurité, au cas où mon véhicule se ferait emboutir, mais en même temps, là tout seul dehors, je risque de me faire caillasser’
» Pour toute protection, il nous montre sa casquette à coque.

2 heures.

Le temps mort de la nuit. Nous attendons au point de ralliement de la sortie 46. Une demi-heure plus tôt, les agents ont fait l’aller-retour jusqu’à leur centre, à Peuplingues, pour vider leur fourgon déjà rempli à ras bord (15 m3 de branchages’). Autour de nous, en contrebas de l’autoroute, on voit flotter des nappes de brouillard idéales semble-t-il pour que les migrants se cachent. Et puis partout, des gyrophares, des projecteurs et des torches. Toute la nuit, on croisera des CRS occupés à scruter les fourrés. L’un d’eux nous explique que les migrants sont postés à quelques mètres de nous : «
Dans notre jargon, on les appelle les ombres. Dès que le silence se fait, on entend les bois craquer. Ils sont là.
»

2 h 50.

Nouveau départ pour un barrage constitué de branches. Sur la route, on passe dans un énorme nuage de gaz lacrymogènes. À la radio, les commentaires vont bon train : «
Ouh là, ça gaze !
», «
Attention, ça caillasse dur !
», «
Eh, les gars, j’ai ouvert mon carreau pour prendre une bouffée’
», «
Respirez bien, surtout, respirez bien !
»

3 heures.

Johnny avait raison. C’est à partir de cette heure-là que tout s’est enchaîné.

3 h 05.

On part pour un barrage en feu à hauteur de Marck. Il faut remonter l’autoroute, faire demi-tour, doubler tous les véhicules à l’arrêt’ Quand on arrive, on découvre des branchages enflammés qui coupent les deux voies. Énormément de CRS sur place. Le bouchon commence à faire plusieurs centaines de mètres. On se dit alors que la technique des migrants doit être payante : pendant que les CRS éteignent l’incendie avec leur canon à eau (plutôt efficace, comme méthode, d’ailleurs) combien réussissent à se cacher dans les camions, 300 mètres en amont Mais il faut déjà repartir : des traverses de chemin de fer signalées sur la rocade’

4 heures.

Déblayer. Tronçonner. Hisser dans le fourgon. Tout vider à Peuplingues. Et repartir. C’est usant. En fait, ça n’arrête pas. Toutes les trois minutes, les agents sont bringuebalés d’un côté et de l’autre. Ils cavalent. Environ 200 km chaque nuit ! Malgré tout, Johnny, Denis et les autres ont l’air de faire face. Ils nous disent juste qu’ils craignent parfois pour leur sécurité.

6 heures.

Durant tout ce temps, on ne verra quasiment pas de migrants : à peine quelques-uns sortis de force des camions. On ne verra pas non plus d’affrontement direct avec les forces de l’ordre. Comme si, à chaque fois, tout se passait juste avant, juste après, juste à côté des agents de la DIR. Comme cet énorme tronc d’arbre posé quelques minutes avant notre arrivée. Ou cette «
barrière humaine
» de migrants évoquée sur les ondes, mais qu’on ne verra jamais. Les agents nous répètent pourtant qu’« ils » sont là, «
à quelques mètres
» de nous. Pendant qu’eux continuent de déblayer. Cette nuit-là, ils y sont restés jusqu’à 7 heures. Le lever du jour.

Le ministre à Calais vendredi, l’A16 bloquée lundi

Alors que la journée de lundi s’annonce très tendue dans le Calaisis un collectif de transporteurs routiers, de commerçants, d’agriculteurs et d’agents portuaires appelle à un blocage illimité de l’A16 , nous avons appris hier que le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve viendrait à Calais demain. L’action de lundi était programmée à partir de 7 h : deux cortèges sont censés partir de Loon-Plage (près de Dunkerque) et de Boulogne-sur-Mer, pour se rejoindre à Calais sous forme d’une opération escargot. L’idée étant de bloquer l’autoroute de façon «
illimitée
», pour obtenir une date de démantèlement de la « jungle ». La préfecture du Pas-de-Calais n’a pas encore décidé si elle interdisait ou non cette manifestation. D’ici là, Bernard Cazeneuve tentera probablement de négocier avec les organisateurs. Mais ses possibles annonces suffiront-elles à apaiser les esprits

Entre 7 et 9 000 migrants à Calais

On compte actuellement entre 7 000 (chiffre préfecture) et 9 000 (associations) migrants à Calais. 10 000 selon le syndicat Alliance. Des chiffres jamais égalés. Ils sont regroupés en périphérie de la ville, le long de la rocade : environ 2 000 d’entre eux vivent dans des structures mises en place par l’État, les autres s’entassant dans une « jungle » que l’État souhaite, à terme, démanteler. Les dispositifs créés pour désengorger Calais en emmenant les migrants dans des centres de « répit » un peu partout en France sont aujourd’hui saturés. Quant aux tentatives de passage en Angleterre, elles sont de plus en plus dangereuses face à une frontière qui s’est considérablement sécurisée. Depuis avril, les migrants posent toutes les nuits des barrages sur l’A16 et la rocade portuaire, afin de stopper les camions en partance pour l’Angleterre via le port ou le Tunnel.

«On a déjà été caillassés plusieurs fois»

C’était en décembre 2015, Bertrand était en train de ramasser des débris posés par les migrants : «
Ils se sont mis à me jeter des pierres… Ça a été un peu traumatisant.
» D’autres équipes se sont fait caillasser en intervention : «
Des collègues se sont fait exploser les vitres de leur fourgon avec des cailloux et des barres de bois.
» Si bien que certains ont fait valoir leur droit d’alerte. Une démarche différente du droit de retrait, comme l’explique Hugo Delplace, le chef de centre de Peuplingues : «
Ça leur a permis de signaler les risques encourus et de demander qu’on mette en place des moyens pour protéger leur intégrité physique.
»

Une « équipe migrants » créée en juin

Des changements considérables ont été réalisés début juin. Désormais, les agents sont systématiquement escortés par un fourgon de CRS. Alors qu’ils étaient jusqu’ici d’astreinte la nuit, ils réalisent à présent des horaires de nuit de 22 h à 6 h, avec heures supplémentaires si besoin. En plus des deux agents de la DIR chargés des interventions « classiques », quatre agents forment donc chaque nuit une «
équipe migrants

», qui intervient exclusivement sur les barrages. L’objectif de la DIR, «
c’est de rendre la voie circulable

» : «
On doit donc déblayer au plus vite la chaussée, sachant que les migrants ne sont pas loin
», explique Claude Ganier. Directeur adjoint de la DIR-Nord, il reconnaît que ses agents «
ne travaillent pas toujours en sécurité
». Il estime qu’il faut continuellement s’adapter face à des migrants déterminés à créer un bouchon, et qui savent eux-mêmes «
très bien s’adapter à nous
». Au cours du reportage, l’utilisation d’une déneigeuse a été testée (sans grand succès) pour tenter de rendre les interventions plus efficaces. Les agents espèrent que le défrichage des abords de la rocade et de l’A16 qui doit débuter ces jours-ci , et le retour de l’éclairage entre Calais et Coquelles annoncé d’ici la fin de l’année leur facilitera la tâche.

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