Barack Obama et la  fracture des couches 

Barack Obama et la  fracture des couches 

Le Monde
| 10.05.2016 à 17h04
Mis à jour le
10.05.2016 à 18h22
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Par Gilles Paris (Washington, correspondant)

La lettre de’ Washington

On peut trouver sujet sans aucun doute plus glamour pour célébrer la Fête des mères, mais Barack Obama a pourtant tenu à l’évoquer le jour qui lui a été assigné aux Etats-Unis, le 8 mai. Régulièrement accusé d’être prisonnier d’un mélange d’arrogance et de splendide isolement, le président des Etats-Unis, commandant en chef de la première puissance militaire mondiale, s’est concentré dimanche sur un parfait exemple de micropolitique : le prix des couches-culottes. Il avait déjà évoqué le sujet devant une audience huppée, le public du festival « tech » SxSW (South by Southwest) qui se tient à Austin, au Texas. Il avait été, début mars, le premier président américain en exercice à s’y rendre.

M. Obama sait bien que les communiqués de victoire de la Maison Blanche sur le front de la création d’emplois ne produiront pas avant longtemps leurs effets redistributifs sur une société américaine frappée de plein fouet par la crise des subprimes. Cette secousse, la classe moyenne l’a payée au prix fort, au point de passer sous la barre de 50 %, compte tenu de l’accroissement du nombre de pauvres.

Ce décrochage a produit un autre chiffre rond, bien moins discuté. Pour des raisons uniquement financières, un tiers des familles américaines avec enfants en bas âge rencontre des difficultés pour s’approvisionner, au risque de rencontrer des problèmes sanitaires.

Le 30 mars, une étude du Pew Charitable Trusts a montré que le prix du logement et du transport a comparativement augmenté plus vite pour les familles pauvres que pour les familles aisées au cours des dernières années. Alors que les pauvres consacrent près de 16 % de leurs revenus aux transports, ce chiffre n’est que de 8 % pour les plus riches. Pour le logement, l’écart est encore plus élevé : 40 % des revenus pour les plus modestes contre 17 % pour les plus aisés.

La part de ces dépenses incompressibles est donc nettement plus importante pour les premières familles par rapport aux secondes et aboutit à des arbitrages dramatiques qui vont jusqu’au nombre de couches-culottes utilisées pour leurs enfants en bas âge.

Un autre phénomène insidieux produit ses effets : la pauvreté coûte en effet très cher. Le constat dressé le 10 mars par Cecilia Muñoz, la conseillère du président chargée des affaires familiales, peut paraître contre-intuitif, mais les chiffres paraissent implacables : une famille américaine pauvre dépense deux fois plus pour ses couches qu’une famille plus aisée.

Ce paradoxe ne se limite pas aux couches-culottes mais à un bon nombre de produits de consommation. Pour rester dans le même domaine, le Washington Post avait rendu publique le 8 mars une étude de la Michigan University qui dressait le même constat pour le papier toilette. Ses auteurs, le professeur Yesim Orhun et son assistant, Mike Palazzolo, se sont penchés sur le comportement de 100 000 familles sur une tranche de sept ans. Pour consacrer le moins d’argent possible à ce poste de dépenses, trois stratégies sont possibles : acheter de la mauvaise qualité, acheter en gros, ou bien profiter de promotions. L’étude a montré que les deux dernières sont souvent inaccessibles pour les pauvres, faute de moyens d’information (Internet) ou d’argent.

Près de mille dollars pour les couches

C’est cette mécanique qui explique un chiffre étonnant mis en avant par Cecilia Muñoz en mars. Les familles les plus modestes consacrent près de mille dollars (936 dollars, soit 878,20 euros) par an et par enfant en couches, ce qui représente 14 % de leurs revenus. Les familles capables d’acheter de grands volumes de couches, ou bien membres de chaînes de magasins qui pratiquent à l’occasion d’importants discounts dépensent moins de la moitié de cette somme, soit au total 1 % de leurs revenus pour les plus riches et 3 % pour les revenus médians.

Il se trouve enfin que les couches échappent aux filets de protection sociale qui existent aux Etats-Unis pour les plus démunis, contrairement à la santé ou à l’alimentation. Il est impossible de s’en procurer en utilisant les bons alimentaires, ou bien par le biais du programme Medicaid. Pour tenter de remédier à cette inégalité, la Maison Blanche tente de sensibiliser les industriels et les organisations de bienfaisance pour à la fois tirer les prix vers le bas et multiplier les points d’approvisionnement pour les plus démunis.

Une représentante du Connecticut, Rosa DeLauro, classée parmi les élus démocrates les plus à gauche, milite depuis longtemps contre cette « fracture des couches ».

Par le passé, en 2011, ses efforts avaient été tournés en ridicule par le féroce chroniqueur conservateur Rush Limbaugh. Ce dernier y avait vu une nouvelle preuve d’infantilisation de la société américaine souhaitée selon lui par le camp démocrate. Il est peu probable que le Congrès républicain se saisisse de ce dossier avant bien longtemps.

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