Avec Nuit debout le retour des tentatives de définition du mythique bobo
« Ils vivent dans les beaux quartiers / Ou en banlieue, mais dans un loft / Ateliers d’artistes branchés / Bien plus tendance que la Rive gauche / Ont des enfants bien élevés / Qui ont lu Le Petit Prince à six ans / Qui vont dans des écoles privées / Privées de racaille, je me comprends. »
Voici le tableau assez critique que dressait Renaud en 2009 de cette « nouvelle classe » de citoyens, les « bourgeois-bohème » à la française. Même 7 ans plus tard, alors que le mot est devenu si banal, insulte si facile ou badge de fierté si prévisible, la chanson reste un indicateur du flou qui entoure la dénomination. Des idées ou des concepts reviennent : entre-soi, gentrification, fort capital culturel… Mais une définition précise, irrévocable, a du mal à s’imposer.
En 2010, la sociologue Camille Peugny expliquait dans Les Inrocks que le terme était utile pour désigner les hommes et les femmes diplômés et issus de la bourgeoisie, mais qui refusaient une partie de leur héritage culturel. Mais elle n’allait pas jusqu’à en faire une catégorie socioprofessionnelle homogène.
« C’est une personne qui a des revenus sans qu’ils soient faramineux, plutôt diplômée, qui profite des opportunités culturelles et vote à gauche. »
Un « bobo » peut être issu de la grande bourgeoisie comme de la petite classe moyenne, il peut vivre en centre-ville comme en banlieue. On le définit donc davantage par son mode de vie, ses attributs. C’est quelqu’un qui fait du vélo. C’est quelqu’un qui est abonné à Télérama. C’est quelqu’un qui mange bio, qui a une profession artistique, créative ou intellectuelle. C’est quelqu’un qui vote à gauche. Autant de cases qu’on peut remplir pour atteindre le top niveau « bobo ». Et souvent, ces cases sont remplies par ceux qui veulent définir quelqu’un qui les agace profondément.
Insultes et revendications
Le concept est resté suffisamment vague pour devenir une insulte, tellement banale que même les hommes politiques l’ont intégré à leur arsenal. Même les hommes et femmes politiques d’extrême droite, comme Marion Maréchal Le Pen qui, pendant la campagne des régionales en 2010, lançait cette phrase qui a valu sûrement plusieurs minutes de travail avec son conseiller : « Dix bobos qui s’extasient devant des taches rouges, ce n’est pas ma conception de la culture. »
Face à cet emploi majoritairement dépréciatif, il y a eu des initiatives pour réhabiliter le terme. Il y a deux ans, les journalistes Laure Watrin et Thomas Legrand publiaient La République bobo, qui dénonçait la construction purement médiatique du mot rejeté par nombre de sociologues et voulait démontrer que le mode de vie en question, s’il est très individualiste, se préoccupe (aussi) de l’avenir de la planète et des moyens de recréer du lien social.
Dans cette mesure, arguaient les auteurs, le bobo est peut-être en train de réinventer des façons d’être ensemble dans une société morcelée. Certains, comme Solange te parle, franchissaient même le Rubicon et revendiquaient leur « boboïtude ».
Nuit debout et le grand retour de l’insulte « bobo »
L’émergence du mouvement Nuit debout au c’ur de Paris a été l’occasion de lancer une nouvelle saison de l’interminable série de définition sociologique du « bobo ». Le chroniqueur Eric Verhaegue a écrit sur Figaro Vox « Nuit debout, le crépuscule des bobos », où il s’étonne de « l’homogénéité sociale » de cette « gauche bobo » qui se réunit place de la République.
On y retrouve les accusations traditionnelles. Privilégié, le bobo est par nature « déconnecté », des ouvriers, des jeunes issus de l’immigration, des salariés et même des familles. Or, comme nous l’expliquions plus haut, le terme « bobo » se rapporte précisément à une classe fourre-tout, mal définie, résolument non homogène en termes de revenus et d’origine sociale et dont le dénominateur commun est plutôt du côté du capital culturel.
Dire que les bobos sont place de la République, c’est donc admettre, en un sens, que le mouvement est socialement hétérogène, même s’il est culturellement unifié.
Une accusation dont se saisit l’auteur de livres pour enfants Eric Sénabre, dans une tribune publiée dans Libération : « Et si on fichait la paix aux bobos » Il décrit son mode de vie bobo avec des mots et les arguments, là aussi, traditionnels vélo, lait de soja, jeux éducatifs en bois pour les enfants avant de poser la question : « Est-ce un crime » Reprenant en substance l’argumentaire développé par les auteurs de La République bobo, il réfute l’idée d’une classe sociale homogène et financièrement privilégiée, avant de dénoncer la facilité de cette insulte passe-partout qui permet de discréditer instantanément tout ce à quoi elle s’applique :
« Le mariage pour tous Une idée de bobos. L’écologie Un passe-temps de bobos. La fraternité Une lubie de bobos. Aujourd’hui, le mot bobo est devenu la réponse à tout, les deux syllabes qui disqualifient d’emblée tout projet humaniste. C’est que le bobo est, par définition, incapable de sincérité. »
« Ce n’est plus une minorité privilégiée, c’est la masse »
Discréditer Nuit debout en la décrivant comme un « mouvement bobo » n’est pas forcément efficace, notamment parce que le terme a fait du chemin depuis son apparition, et recouvre une catégorie socioprofessionnelle qui a muté, comme le souligne le sociologue Emmanuel Todd, interrogé par Fakir, le journal créé par François Ruffin, auteur du documentaire Merci patron ! « Les jeunes diplômés du supérieur, c’est désormais 40 % d’une tranche d’âge. Ce n’est plus une minorité privilégiée, c’est la masse. » Et que ça n’a plus de sens de ranger tout le monde à la même enseigne de « privilégiés » :
« Les stages à répétition, les boulots pourris dans les bureaux, les sous-paies pour des surqualifications, c’est la même chose que la fermeture des usines, que la succession d’intérim pour les jeunes de milieux populaires. »
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