Au procès  Catwoman  l’inutile déballage de la vie privée d’un témoin

Au procès  Catwoman  l'inutile déballage de la vie privée d'un témoin

Lorsque vous êtes entré, vendredi 6 mai, dans la salle d’audience du palais de justice de Créteil, précédé de l’huissier, vous teniez un livre de poche à la main, que l’on devinait avoir été apporté pour tuer le temps dans la pièce réservée aux témoins. Vous avez marché d’un pas que vous vouliez ferme jusqu’au prétoire, sans chercher à croiser les yeux rivés sur vous de celle à laquelle vous deviez votre présence à la barre de la cour d’assises. Vous avez été son amant. Elle est jugée pour avoir tenté d’assassiner son mari qui était assis là, lui aussi, à quelques pas de vous.

Vous avez répondu aux questions pendant plus d’une heure. Des bancs du public, on ne voyait que votre dos, qui se tendait de plus en plus sous la veste. Vous êtes chef d’entreprise. Tout en vous dit l’homme aisé, bon vivant, plutôt sûr de lui dans la vie ordinaire.

Vous ne connaissiez sans doute de la justice que celle que l’on voit dans les films ou lit dans les romans policiers. C’était votre première vraie rencontre avec elle. Vous deviez avoir à son égard ce mélange assez commun de défiance et de respect.

Dans cette affaire, vous n’êtes coupable de rien.  Celle qui est accusée n’a jamais évoqué devant vous son funeste projet et ses deux seuls complices comparaissent sur le même banc qu’elle. Une fois, deux fois, elle vous a demandé de l’argent et vous lui en avez prêté. Elle vous disait qu’elle était endettée, que son mari lui avait coupé les vivres et qu’elle n’avait plus de quoi nourrir les deux enfants qu’elle avait eus d’un premier lit. Vous n’aviez pas de raison de ne pas la croire et encore moins d’imaginer qu’avec cet argent, elle projetait de recruter un tueur à gages. Vous ne connaissiez l’époux que par le portrait peu flatteur qu’elle vous en faisait et puis, vous l’aimiez bien, cette femme. Vous vous étiez croisés dans votre jeunesse et vous vous étiez retrouvés, des années plus tard. Chacun avait fait sa vie, avec son lot de bonheurs et de heurts conjugaux. Vous étiez disponible pour une aventure, elle aussi, ça tombait bien.

Vous avez vécu le meilleur de l’adultère, la légèreté, le désir, les retrouvailles à l’hôtel, les voyages.  Il y avait bien eu quelques moments de tension entre vous, comme ce jour où elle avait débarqué à votre domicile sans vous prévenir. Vous n’aviez pas apprécié la surprise et vous le lui aviez dit. Il vous arrivait aussi de la trouver envahissante avec ses textos enamourés. La lassitude commençait à vous gagner, vous songiez à prendre vos distances. Mais vous ne saviez pas trop comment vous y prendre. Elle était tout de même charmante, et gaie, et élégante et disponible. Et tout cela au fond ne regardait que vous deux. Et puis l’affaire est arrivée.

Evidemment, face à une tentative d’assassinat de mari, la police s’est intéressée à vous, l’amant. Interpellation. Garde à vue. Perquisition. Interrogatoires. Épluchage soigneux du téléphone, des comptes bancaires, de l’agenda. Vous l’ignoriez, mais ce n’était rien, encore, par rapport à ce qui vous attendait devant la cour d’assises.

Le président vous a accueilli avec toute l’autorité et la solennité que lui confèrent son rôle et sa robe rouge. Il vous a d’abord demandé, comme le lui impose la procédure, si vous vouliez faire une « déclaration spontanée ». Vous ne saviez pas trop ce que pouvait signifier la « spontanéité » dans un tel lieu. Vous avez répondu que vous préfériez que l’on vous pose des questions. Vous étiez attentif, vous réfléchissiez avant de répondre. Il vous a demandé de qualifier la relation que vous aviez eue avec l’accusée. Vous avez cherché le mot le plus juste ou le moins faux et vous avez dit :

– C’était des périodes récréatives. 

Il a eu l’air de bien aimer l’expression, le président. Il vous en a proposé une traduction.

– Un amusement  

Vous avez observé que ce n’était pas tout à fait cela. Que vous vous entendiez bien tous les deux mais que vous n’envisagiez pas de faire votre vie avec elle, parce que justement, vous sortiez d’une histoire douloureuse.

Le président a plongé dans son dossier et en a sorti les notes de vos séjours communs à l’hôtel. Il s’est éclairci la voix pour lire distinctement les destinations – New York, la Floride – et détailler le montant des factures. Il a dit que c’était « beaucoup d’argent » tout de même.

Vous n’avez pas su quoi répondre. Vous ne saviez pas que le prix d’une nuit d’hôtel entre amants était un délit, et vous avez raison.

Il vous a alors interrogé sur l’argent que vous avez prêté à l’accusée. Ça l’étonnait beaucoup, le président, qu’un homme puisse prêter de l’argent à sa maîtresse. Il voulait comprendre pourquoi vous l’aviez fait.

– Ben, parce que je suis généreux.

– Vraiment très généreux, a observé le président.

Vous avez osé répliquer que vous voyiez cela « plutôt comme une qualité. » Le président a soufflé dans le micro.

Dans le dossier, il a puisé un procès-verbal d’audition d’une parente à vous. Aux policiers qui l’interrogeaient, elle disait avoir été « soulagée » quand vous lui en aviez confié vouloir mettre fin à cette relation. Le président accordait beaucoup d’importance au témoignage de cette parente. Il a voulu que vous expliquiez pourquoi elle était « soulagée ». Vous ne saviez pas quoi répondre, vous vous demandiez certainement ce que les commérages d’une cousine sur votre vie privée fichaient là, dans une cour d’assises. Et vous avez raison. Peut-être même avez-vous songé un instant à le lui faire remarquer. Vous avez éludé tout en confirmant qu’en effet, vous aviez eu l’intention de ne pas prolonger cette liaison. Le président a voulu savoir à quand « précisément » remontait cette idée de rupture. Vous ne vous en souveniez pas « précisément. » Vous avez quand même donné une date. Il a remarqué que, des semaines plus tard, vous continuiez à la voir.

– Oui, de temps en temps.

– Au moins une fois toutes les deux semaines, a corrigé le président. Et il semble que vous veniez à son domicile quand son mari en partait. 

Il y avait du reproche dans sa voix.

– Et donc pourquoi donc ne l’avez-vous pas quittée  

Vous auriez préféré ne pas vous appesantir, vous deviez sentir son regard à elle dans votre dos, vous dire qu’elle en avait déjà assez sur les épaules comme ça, avec la tentative d’assassinat et l’association de malfaiteurs qui lui sont reprochées. Vous n’aviez pas envie de l’accabler. Mais le président n’était pas du même avis. Lui, il avait un délibéré à préparer avec les jurés. Et il avait manifestement envie d’engranger tout ce que vous, l’ancien amant, pourriez dire de moche sur elle. Vous avez hésité un peu, et vous avez murmuré :

– Ce n’est pas si simple.

Il aurait pu comprendre cela, l’homme sous le président. Comme le comprenaient sans doute les six jurés qui vous faisaient face et le public avide qui vous écoutait. Il a préféré reposer sa question. Vous vous êtes senti obligé de vous justifier.

– C’est que je n’aime pas faire de la peine. 

– Mais vous avez déclaré vous-même que ce n’était qu’une récréation…

Il a laissé les points de suspension résonner quelques secondes dans la salle d’audience et retomber comme des pluies acides sur celle qui était assise derrière vous. Puis il a attendu que vous ajoutiez quelque chose.

Comme vous êtes respectueux ou simplement bien élevé ou que vous avez jugé nécessaire de remplir le silence, vous avez glissé que, si l’envie vous était venue de la quitter, c’est parce que, parfois, vous la trouviez un peu « intrusive ».

Nouvelle plongée dans le dossier.

– En effet. Il semble qu’elle vous a adressé plus de 5 000 textos et messages sur votre téléphone…

L’accusée a soupiré en baissant la tête. Vous avez incliné la vôtre.

– Et donc, alors que vous vouliez la quitter, vous la retrouvez encore à l’hôtel à Paris le 12 juin, soit la veille de la tentative d’assassinat dont elle est accusée, a précisé le président.

– Mais pour moi c’était un jour ordinaire !

– Bien sûr, bien sûr. Mais maintenant que vous connaissez la suite, qu’en pensez-vous

Vous n’avez guère eu le choix de la réponse.

– Avec le recul, évidemment, c’est terrible. 

Le président a eu un petit air satisfait. Il vous a demandé:

– Et à l’hôtel, avez-vous des relations sexuelles avec elle

Vous ne vous y attendiez pas, à celle-là. Vous avez écarté un peu les mains et haussé les épaules. Le silence qui a suivi était plein d’images. Vous avez sûrement compris l’effet désastreux que pouvait avoir, sur les jurés, le fait qu’à la veille même de son projet d’assassinat, l’accusée ait pu vous rejoindre entre les draps.

– A quelle heure vous êtes-vous quittés

– Je ne m’en souviens pas précisément. En fin de matinée sans doute.

– Vous avez fait la grasse matinée, a observé le président.

Sa part d’interrogatoire était terminée. L’avocate générale a pris le relais. Elle a posé bien en évidence sur son pupitre le compte-rendu de la perquisition à votre domicile. Dans votre salle de bains, précisément. Un tableau, fourré dans le coin d’une étagère, au dos duquel les enquêteurs ont relevé un mot manuscrit signé des initiales de votre maîtresse.

Elle les a prononcées à voix haute et feint d’interroger.

– Qui est-ce

– C’est elle.

– Vous souvenez-vous de ce qui est écrit

Vous avez bredouillé.

– Euh, un peu. Pas vraiment…

Dans votre dos, l’accusée a levé les yeux vers vous. Son mari aussi.

L’avocate générale a lu les mots tracés un jour par une amante heureuse et assouvie. Des mots intimes, forcément ridicules, déplacés, obscènes, dès lors qu’ils échappaient à celui-là seul auxquels ils étaient destinés. Et encore plus obscènes lorsqu’ils étaient prononcés là, publiquement, dans une cour d’assises, sans qu’aucun motif légitime ne justifie cette lecture. De gêne et de désarroi, vous avez détourné le regard pour ne pas voir ceux de la cour et des jurés. Elle les a cités une deuxième fois un peu plus tard, pour que personne ne les oublie et surtout pas ceux qui allaient avoir à la juger.

La défense n’a pas bronché. A un moment, le président vous a dit que c’était fini et que vous pouviez désormais assister à la suite des débats si vous le souhaitiez. Vous avez repris votre livre et vous avez remonté toute la salle d’audience jusqu’à la sortie en essayant de ne pas vous prendre les pieds dans les marches. Vous aviez l’air perdu.

Vous veniez de découvrir la laideur des assises lorsque l’on y confond instruire, accuser, avec souiller.

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