Au Pérou  PKK  remporte la présidentielle d’une courte tête

Au Pérou  PKK  remporte la présidentielle d'une courte tête

Le Monde
| 06.06.2016 à 00h48
Mis à jour le
06.06.2016 à 11h49
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Par Paulo A. Paranagua

Dimanche soir 5 juin, le candidat de centre droit, Pedro Pablo ­Kuczynski, 77 ans, dit « PPK », emportait l’élection présidentielle au Pérou avec 50,82 % des voix contre Keiko Fujimori, 41 ans, populiste de droite, après le dépouillement de 79,49 % des bulletins. Candidat du milieu d’affaires et des ambassades occidentales, M. Kuczynski recommandait à ses observateurs de surveiller le dépouillement pour « qu’on ne nous vole pas les suffrages ». La fille de l’autocrate Alberto Fujimori (1990-2000), espérait encore un renversement de tendance, grâce au vote du Pérou profond.

La carte électorale de dimanche montre toutefois que M. Kuczynski est parvenu à surmonter son handicap à l’issue du premier tour, le 10 avril : sa faible implantation en province, à l’exception d’Arequipa. Ainsi, sa réputation de représentant de l’élite blanche de Lima semblait confirmée, par rapport à Keiko Fujimori, implantée aussi bien dans les périphéries pauvres des villes que dans les Andes ou l’Amazonie.

Entre les deux tours huit longues semaines , les sondages ont favorisé tantôt l’un, tantôt l’autre. En avril, les intentions de vote pour « PPK » ont rattrapé celles de « Keiko », sans le moindre effort du candidat, qui s’est permis un voyage d’une semaine aux Etats-Unis. La fille Fujimori a rapidement récupéré son avantage, avant de le perdre à la suite de révélations venues de Washington et de ses propres choix de campagne.

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« Non au narco-Etat »

La divulgation d’une enquête de l’agence antidrogue américaine, la DEA, contre Joaquin Ramirez, secrétaire général de Force populaire, le parti fujimoriste, a porté un coup fatal aux efforts de respectabilité patiemment déployés par la candidate. Son coéquipier et mentor, José Chlimper Ackerman, a manipulé un enregistrement diffusé par les médias, ce qui a aggravé les soupçons. Le « non à Keiko » des manifestations de rue avant le premier et le second tour s’est doublé d’un nouveau mot d’ordre : « Non au narco-Etat ».

« Keiko » avait remporté le premier tour haut la main, avec deux fois plus de voix que ses principaux rivaux, M. Kuczynski et Veronika Mendoza, candidate de la nouvelle gauche. Depuis longtemps, la fille Fujimori donnait des gages d’ouverture et multipliait les professions de foi démocratiques, respectueuses de l’Etat de droit et des libertés. Invitée à la prestigieuse université Harvard, aux Etats-Unis, en 2015, elle avait surpris par des positions progressistes sur les questions de société, comme l’union civile des personnes du même sexe.

Elle avait conclu le débat télévisé du premier tour par un véritable coup de théâtre, un engagement pris en direct, qui balayait les objections à son encontre, liées à sa filiation. Alberto Fujimori, 77 ans, purge une peine de vingt-cinq ans de prison pour violations des droits de l’homme et corruption. « Non à un nouveau 5 avril », avait-elle promis, en référence au 5 avril 1992, date du coup de force de son père, qui avait fermé le Congrès et neutralisé le pouvoir judiciaire.

Son avantage au premier tour de la présidentielle s’était doublé d’une victoire de son parti aux législatives à un seul tour, puisque Force populaire obtenait la majorité absolue au Congrès, avec 73 élus (sur 130). Cependant, « Keiko » semble avoir voulu compléter les voix manquantes pour le second tour par l’addition d’un certain nombre de « niches » : ainsi, aux évangéliques les plus réactionnaires elle a promis de s’opposer au mariage gay, donnant un tour conservateur à une campagne qui avait jusqu’alors tenté de garder le cap au centre. Elle a multiplié les promesses aux mineurs illégaux, à la mafia du bâtiment, aux policiers.

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« La rénovation fujimoriste a été un désastre », écrit Steven Levitsky, l’universitaire américain qui avait invité « Keiko » à Harvard. Même si la fille a écarté les figures les plus compromises avec l’autoritarisme de son père, « les nouveaux fujimoristes ne sont pas davantage des démocrates », estime M. Levitsky. Sans compter que la candidate a été plombée par les Tweets de son propre frère cadet, Kenji Fujimori, réélu au Congrès avec un nombre de voix record. Aux dernières nouvelles, Kenji, choyé par son père, ne s’est même pas déplacé dimanche pour voter’

Crise des partis politiques

Avec la seule formation implantée sur tout le territoire, Keiko Fujimori était parvenue à surfer sur la crise des partis politiques et de la représentation nationale, fragmentée en petites entités créées pour la circonstance, comme Peruanos para el Kambio (« Péruviens pour le changement »), qui reprend les initiales de « PPK ». La quasi-disparition du plus ancien et traditionnel des partis, l’Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA), de l’ancien président Alan Garcia, illustre l’ampleur du déclin. Désormais, il ne reste au Pérou plus que deux camps, le fujimorisme et l’antifujimorisme, deux conglomérats hétérogènes.

« PPK » dispose au Congrès d’à peine 18 élus, moins que la gauche qui a porté au Parlement unicaméral 20 représentants. « Les fujimoristes ont été une opposition loyale », assurait entre les deux tours Carlos Bruce, réélu au Congrès sur la liste PPK. Le nouveau président sera obligé de négocier avec eux, faute d’autres options. Ni l’ancien président Garcia, ni le candidat de centre gauche Alfredo Barnechea, éliminés et humiliés au premier tour, n’avaient donné de consigne de vote. Veronika Mendoza a fini par se résoudre à soutenir « PPK » à la veille du scrutin, alors que ses électeurs et ses partisans n’avaient pas attendu pour se positionner massivement « contre Fujimori ». L’électorat péruvien étant volatil et ne respectant aucune discipline de vote, il n’est pas sûr que le revirement de « Vero » ait contribué au résultat final.

Les deux finalistes partagent les orientations économiques suivies par le Pérou depuis une quinzaine d’années. Il est peu probable que ce consensus s’étende aux réformes structurelles dont les Péruviens ont besoin pour sortir de la précarité. M. Kuczynski prétendait qu’une victoire de Keiko Fujimori enfoncerait le Pérou dans « la médiocrité ». Reste à prouver qu’il peut mieux faire.

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